#1

Dans le petit chemin qui va vers la plage le sol est gris et un peu sablonneux, on trouve des flaques quand il pleut et dans ces flaques l’eau se mêle au sable, le ciel se mêle à l’eau, sur les côtés et même au milieu montent des tiges vertes, plantules de zones humides pas trop profondes, poussant là groupées, têtues, dans ce que j’appellerai longtemps la rizière, et je guettais l’apparition d’une graine, car on trouvait du blé à croquer le long de tous les chemins creux alors pourquoi pas du riz, j’aurais voulu déjà avoir sous ma dent et sur ma langue le goût du grain de riz, grain blanc comme le mur où à quelques centimètres du sol je creusais accroupie l’année de mes quatre ans, ayant trouvé un outil dont j’avais décidé qu’il avait pour usage de percer les murs, je creusais le mur avec l’intention de faire advenir quelque chose, quelque chose qui se manifesterait d’abord par une fine couche de poussière répandue à la surface du sol puis par une petite cavité sur le mur, cavité que l’on pouvait sentir du bout des doigts mais trop profonde et trop étroite pour que le doigt y entre, et soudain ce n’était plus si intéressant dès lors que le projet dépassait le champ de ce qu’il m’était possible de voir et de parcourir du doigt, ce n’était plus si intéressant de creuser les murs, même si cela avait été une révélation de constater que contrairement aux sols généralement très solides les murs étaient faits d’un matériaux friable, à tel point qu’une petite souris dotée d’un désir suffisamment grand et d’un outillage adapté pouvait en venir à bout, les murs ne sont pas faits pour résister comme peuvent l’être les lourds sols de carrelage aux couleurs incolores où mon frère et ma fille ont appris à ramper, le carrelage qui se lave si facilement avec des produit aux odeurs de pins ou de muguet mais dont on ne sait jamais bien s’il est propre ou sale à cause de sa couleur sale, brun avec des taches brunes ou beige avec des taches beiges, la jointure entre chaque carreau tirant sur le gris sombre, parfois noire, est-ce de la saleté ou simplement de l’usure, faudrait-il frotter encore, n’est-ce pas stupide de vouloir que le sol soit vraiment propre du simple fait qu’un enfant y rampe, qu’un enfant y bave, qu’un enfant y pose ses mains minuscules, ses bras, ses jambes, ses pieds et parfois sa bouche, les enfants une fois devenus grands n’ont pas de scrupules à avaler de la terre, par exemple celle qui est au sol de la cabane dans le buisson, là où l’on s’installe quand on ne veut pas être vus par les adultes, la petite cabane à ras de terre où l’on pose la dînette, la terre sombre et poudreuse que l’on met dans les assiettes, que l’on balaie avec un bout de branche, qui macule les genoux et les chaussures, la terre qui toujours reste sèche même quand au dessus il pleut et que l’odeur de la terre sous la pluie envahit tout, et sous les pins derrière la plage ce n’est pas de la terre mais du sable, les cimes sont hautes et pourtant c’est comme si c’était la même chose, comme si le sol attachait aux pieds de la même manière, bouquets d’épines sèches mêlées au sable, branches tombées, racines, c’est ici ma maison, c’est ici que je suis chez moi, je peux y marcher pieds nus – j’ai récemment aidé à poser le sol d’une cabane, j’ai porté des poutres et des planches et j’ai vu le plancher se fabriquer sous mes yeux à trois ou quatre mètres du sol, ensuite j’y suis montée, je me suis allongée sur ce sol en devenir, ce n’était qu’un peu de bois suspendu entre les arbres, mais déjà on pouvait s’y appuyer, on y respirait bien, ça sentait bon, ça vibrait, on y a renversé par accident le fond d’une bouteille de rhum, c’était le début d’une longue série d’accidents heureux, et déjà on habitait le ciel.

A propos de Ana Ressouche

Ana Ressouche apprend à nager dans les ateliers de François Bon. Elle publie des textes sur un archipel (http://larchipeldesmots.legtux.org). Elle aimerait développer des projets d’écriture et de d’irrigation avec d’autres apprentis nageurs. Elle patauge aussi un peu ici : https://www.facebook.com/ana.ressouche .

8 commentaires à propos de “#1”

  1. Quel beau sol. Un sol où l’on pose ses pieds, qui est sujet aux accidents, qui ne peut pas être aseptisé. Sol aussi que l’on s’approprie. Pleins d’idées que j’aimerai avoir et suivre.

    • Merci Rudy! Les idées sont à tout le monde, n’hésite pas à suivre ce que tu veux suivre et à précéder ce que tu veux précéder. Tu as raison, les sols sont des objets que l’on s’approprie par les mains, par les pieds, par les yeux, par les mots aussi. Je n’y avais pas pensé mais dans mon cas c’est particulièrement vrai. Je vais guetter les autres textes depuis ce prisme là…

  2. Lu !

    J’adore vos cabanes en construction et vos maisons abandonnées en voie de « cabanisation ». Je suivrais le fil, j’imagine que vous continuerez ???

    Il y a un numéro de la Revue 303 sur les cabanes. Très beau et passionnant, selon moi.