À contre-courant

Je suis née le jour de son anniversaire, une nuit de tempête. Je n’ai pas entendu les arbres tomber sur la route. Je me suis nourrie de son lait à en être malade. J’ai arrêté d’en boire, ça la fatiguait. Elle est partie se reposer. J’ai dormi mais surtout pas la nuit. Je n’avais pas compris le jour. Je me suis réveillée à l’école à contre-courant de mes projets d’enfant. J’ai répondu à un surnom à en oublier mon prénom. J’ai été en état de choc au prénom retrouvé pour une nouvelle personnalité. Fini de rire, il faut grandir. J’ai arrêté de rêver, il faut un métier, gagner sa vie, la perdre aussi. J’ai coupé mes racines, j’ai enfanté pour en donner. J’ai accompagné, me suis inquiétée pour tout ce qui n’est pas arrivé. J’ai travaillé, j’ai écouté, je me suis adaptée, j’ai pris l’habitude de m’oublier. Je me suis musclée pour être dans l’air du temps. J’ai regretté le jour de notre anniversaire. J’ai aimé, j’ai moins aimé. Je me suis retraitée après des années rémunérées pour endormir ma créativité. J’ai retrouvé les rêves, leur ai laissé autorité. Je me suis roulée nue dans la neige, j’ai tenté de compter les étoiles, je n’y suis pas arrivée. J’ai tangué sur les océans à en être malade. J’ai arrêté de vomir. Je n’ai plus jamais bu de lait. Je n’ai pas sauté en parachute. J’ai arrêté de grandir. Je m’assagis à l’intérieur. Je respire au dehors. Je transporte mon histoire. Je lis une addition d’émotions sur mon visage. Je ne peux prévoir le résultat, la somme finale.

A propos de Marie Moscardini

«Après une formation à Aleph en 2014, j'anime des ateliers d'écriture dans une petite ville de Saône et Loire.» Voir son site Nouvelles à écrire.

10 commentaires à propos de “À contre-courant”

  1. Tout de suite entraînée par ce début si intrigant d’un double. Merci pour ce texte intense.