Augusta

là         ça        sentait la pénombre         la lueur des tomettes         rouges échauffées       par le feu de la cheminée        qui aspirait doucement        de sa langue brûlante        la marmite en fonte        qui pesait bouillante        irradiée des caresses        léchée des flammes        dans l’âtre        dès le matin        pour toute        la journée        pour toute        la vie de la maison        pour toute        la vie de ses occupants        l’oncle qui gemmait        la tante que j’aimais        aux sourcils noirs        épais         au-dessus de ses yeux sombres        qui me regardait        en m’aimant        dans ma robe de velours rouge        et jabot de dentelle        une robe de communiante        figée        ce jour-là        par la photo sous la première solive de la vaste cuisine        où régnait        la tante que j’aimais        la femme de l’oncle sec        qui parlait        peu        pas        plus        figé       ce jour-là        devant le foyer        le feu lové sous la marmite        à petits bouillons autour de la poule       les jambons énormes crochetés        aux poutres basses        qui mangeaient        la lumière de deux petites fenêtres ouvertes        sur l’airial        sur le sable plus loin        où l’on déterrait les asperges                comme des perles de prix arrachées à la lande        qui n’était pas coutumière du fait        qui ne lâchait rien        la Lande       si ce n’est sous les coups du hapchot        qui prenait souvent         la Lande        des vies        comme autrefois        quand c’était encore le temps des marécages        des fièvres        qui avait pris la Lande        cette sœur        de la tante que j’aimais        cette femme au visage de lune        éclairé par de grands yeux marrons        au fond desquels chauffaient        les flammes de l’âtre        derrière la silhouette sèche        de l’oncle sec        sous son béret        silencieux          racorni jusque         dans son tréfonds        tanné        boucané       à la fumée de l’âtre        derrière laquelle il s’abritait        pour ne plus voir les grands yeux marrons de la tante que j’aimais       la sœur d’Augusta        morte        un jour anonyme        à 23 ans        d’une diphtérie        23 ans        3 enfants        on ne faisait pas venir le docteur        pour rien        Augusta

A propos de Isabelle Dartiguelongue

Prof de français, je parle chinois aussi, et j'aime quand les deux langues se catapultent. Prof de FLE aussi. J'aime les mots, et courir, et danser - et ici, à Tiers Livre, c'est la valse des mots, les miens, les vôtres. Me sens chez moi, même si très souvent en voyage.

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