L ‘ a n c ê t r e # 2

Assoupie vient la boutique de Kalliroï          présentoirs de fortune         pièces uniques         parfois orphelines        dépouillées de leur alter comme cette boucle de cuivre tressé        ressort tendu à l’opale enchâssée        la boutique est étroite        encombrée          pas de mot pour dire cette luxuriance de rouille et d’éclats                curieusement on respire                chaque objet est une porte antique                 tenons-nous le pour dit        Kalliroï est sans pareille        trois ans que je n’ai pas vue et elle me reconnaît         cherche à baisser le son du transistor déphasé où grésille la voix d’une autre sorcière        une voix de feu de camp sauvage à incendier une nuit sans étoiles        Kalliroï se trompe de sens        la voix hurle a capella et elle ne s’en aperçoit pas        m’étreint comme une sœur perdue        m’enveloppe de ses yeux combustibles         ses R roulent du charabia        tripote le transistor dans le bon sens        jure        parle d’une chanson qui parle de chevaux         retourne à son établi et comptoir        fils de fer cuivrés perles éparpillées        euros martelés        c’est interdit hein        attrape sa pince coupante et tortille ses fils à une vitesse prodigieuse                 Et apportez-moi mon cheval qui avale les pierres        sûrement une chanson de mille ans        on la croirait folle         elle l’est peut être         ses doigts tordent et coupent         marmonne des mots indistincts         sourit                      je ne comprends rien         vertige de la langue inconnue        de sons blancs de sens        pleine de roulades        de nasonnements         de gorges crépitantes         accents graves et clapotis        grésillements pétarades        mouillures        I don’t understand Kalliroi                tourne vers moi son iris citrine         elle a perdu ses papiers d’identité et c’est toute une histoire avec la police locale obligée de retourner à Héraklion justement difficile de quitter l’île sans papiers        tintement d’écailles        téléphoner encore et encore au consulat         les papiers attendront la mauvaise saison                il y a trois ans        c’était une dent recollée à la colle à bijoux        tout une histoire aussi         dentiste effaré        Kalliroï gonflée         trifouille dans un coffret aux senteurs d’ambre                  perles crémeuses          torsades        serpents        fibules         face à elle se trouver claire et vierge comme une feuille de papier        naître hier        ou peut-être demain         la boutique de Kalliroï c’est Kalliroï         diablerie du désordre et de la folie vive        prodige des doigts qui bougent tout seuls         Kalliroï est un lierre        mange l’or mange la pierre        je ne suis pas d’ici et pourtant je suis d’ici            la nostalgie n’obéit qu’à ses propres lois                                                                                                           Apportez-moi mon cheval                                                           qui marche sur le marbre et ne laisse pas de poussière

2 commentaires à propos de “L ‘ a n c ê t r e # 2”

  1. Cette Kalliroï, quel mystère, quelle ensorceleuse avec ses yeux citrine, peut-être même quelle diablesse ! Elle est insaisissable et cependant omniprésente – un lierre qui mange, qui dévore, ne fait qu’une bouchée de… Le texte est truffé de perles, les   sont à peine nécessaires, les pauses sont partout pour tenter de percer le mystère… et quelle adéquation entre le personnage et l’écriture – bref, je me suis régalée !