L’immeuble de berlin

Il y a cet immeuble qui devrait se confondre avec le ciel, auquel il ne faudrait pas penser. Il est tellement là qu’il semble mauvais de le voir, il est trop grand pour être ici.

Ce n’est rien, cet immeuble n’est pas grave, une somme de reflets. Aucune chose telle que ce que nous voyons de loin n’existe : l’immeuble n’a pas de façade, sa transparence manque d’être, il dissimule mal son inexistence. L’immeuble est un édifice bâti dans une faille, sa masse n’a base qu’au néant.

Pourtant il y a ces cadres démesurés de fenêtres imaginées en métal rouge brûlant l’été. Ceux qui habitent aux étages savent comme ces cadres sont rouges : nous ne les croyons pas, il faudrait que l’immeuble lui-même nous le dise. Ça ne suffit pas de voir ces fenêtres tenues par ces lignes de loin minces comme des cordes.

Je me tiens à distance et mon corps avance, il sait la séduction des choses qui n’existent pas, il ne rentrera pas à l’intérieur, l’immeuble n’est pas fait pour ça. Sa seule raison est d’être vu : mais de qui ? puisque il me prouve à force d’être là que mon regard est une anomalie. Un tel bloc n’est pas conçu, il n’a pu qu’atterrir, descendre de lui-même à l’intention seule des yeux, avec pour but de les provoquer. Tout fait : l’immeuble n’a pu naître que tout fait vêtu de dix-mille miroirs effrayants les nuages rendus ténus à son approche. Pourquoi faut-il qu’à Berlin soit quelque chose si gros ?

La route que j’avais prévu d’emprunter continue de me suivre, mais l’immeuble est brandit si haut que je la sens légèrement osciller, les jambes prennent garde et n’osent avancer trop vite sans l’équilibre que le chemin connu leur procurait. La torsade du cou s’accentue, ma vue se tend pour atteindre le sommet, mais elle ne sait pas ce qu’elle vise car l’immeuble n’a pas d’existence, il n’a pas grandi.

C’est une apparition que le ciel oublia d’effacer.

Maintenue seulement par les tiges des regards passants, il semble que si l’on cligne rien n’en restera. Ma tête s’aligne de nouveau, quitte la chose cherchée et rejoint l’axe coutumier. Il est désormais certain qu’il n’y avait pas d’immeuble.

A propos de Aristide Gripon

Rien fait vingt-six ans d'affilée.

3 commentaires à propos de “L’immeuble de berlin”

  1. Un étrange mirage … impression d’un jeu avec la focale d’un appareil photo. j’aime votre écriture. Merci !