Récits

Ma mère m’a raconté que je suis né avec difficulté dans ses cris. Les sages-femmes encourageaient et étaient habillées de blouses blanches mais, raconte ma mère et c’est le côté dépaysant de l’affaire, il y avait aussi dans l’allée des chanteuses qui donnaient du cœur à l’ouvrage avec des boubous bariolés et des bracelets cliquetants, et des boucles d’oreilles en graines de cacaoyer qui se balançaient à mesure qu’elles tambourinaient et scandaient et qu’elles accompagnaient les femmes mais ma mère voulait qu’elles se taisent. Les autres femmes à côté accouchaient comme des lettres à la poste, le sourire en sus, ma mère pleurait ma pauvre maman, les placentas des autres passaient dans des plateaux comme les plats du jour dans une brasserie parisienne. Ce n’était jamais pour elle. A la fin la métro ils l’ont placée dans un recoin et on m’a sorti aux forceps. C’est ce que j’ai toujours entendu ma mère raconter.

J’étais gros, j’étais violet, j’étais marqué – mais j’étais sorti.

Mais si… si avant cela ma grand-mère maternelle n’avait pas travaillé ce jour de septembre 1952… Elle serait allée uriner dans le trou du jardin, et pas dans l’une des toilettes modernes dont l’administration où elle était secrétaire était équipée. A quoi ça tient. Ma mère n’aurait pas vu le jour longtemps, pas assez en tous cas pour que je naisse vingt-cinq ans plus tard, au début du mois de décembre 1977 alors que j’étais annoncé pour le 25 novembre, dans une clinique de la Martinique.

En allant chercher mes médocs, hier, je suis passé devant un certain nombre de sorties d’école. On ne les voit pas pareil quand on est de l’autre côté. Les enfants se salissent dans les bacs à sable, soulignent la date, copient les consignes et repassent la Seine sur le polycopié. En fin de journée, ils ont les mains qui sentent le ballon et la craie, et les torchons de la municipalité. Leurs parents ont patienté à la grille. Quand la grille s’est ouverte, je passais devant en voiture avec mon ordonnance et je me suis souvenu.

Aveugles les hommes et les femmes fatigués d’une tâche qui a pris tout le temps et tout l’esprit, aujourd’hui comme hier et demain rebelote. Le médecin a dit que si ça ne marchait pas on changerait de protocole. Je suis vieux, je suis ridé, je suis fatigué – mais je veux rester en vie.

A propos de Mateo London

J'aime lire, marcher, me promener à vélo. J'aime raconter des histoires. J'aime les contes orientaux. J'aime la philosophie. J'aime un peu la poésie sonore. J'aime travailler. J'aime apprendre. Il y a aussi plein de choses que je n'aime pas. http://mateolondon.wixsite.com/mateolondon