Trambly

La maison de Trambly est à l’angle de la rue. On entre par un grand portail ouvert aux quatre vents, sauf les voitures. Dans la cour intérieure, il y a un chien, un chat, des poules peut-être, ce n’est plus sûr. Un hangar avec des outils, de la ferraille. Quelques marches montent au perron, sous un auvent. Dedans, il y a du bois au plafond, des poutres : c’est une maison robuste derrière la façade rose, douceur à l’angle de la rue. Il y a des couloirs, des pièces qui communiquent, un labyrinthe où l’on se perd. Deux chambres se partagent le même cabinet de toilette : ne pas oublier de tourner le verrou des deux côtés. Le grenier est bas et immense : c’est le dortoir des enfants. Nous avons cinq ans, huit ans, et douze, puis seize, nous sommes une vingtaine. Les matelas sont collés serrés sous le toit de briques rouges, et nous nous couchons en rang d’oignons, comme au réfectoire des colonies, à la guerre comme à la guerre, avec des rires de chatouilles, et des confidences en messes-basses. En bas, les parents festoient, l’hiver dans la pièce commune, autour de l’immense table face au feu de cheminée. Ça mange et ça boit et ça rigole, et ça joue de l’accordéon, surtout Didier qui est beau avec ses cheveux longs prématurément blanchis et ses yeux bleus ronds et rieurs – je l’aime bien, Didier, quand il joue du piano. Ça tourne et ça trinque et ça se prend par l’épaule et ça se tape un coup dans le dos, tellement ils sont contents, les parents, de se retrouver – surtout quand les enfants sont couchés. L’été, ça se passe dehors, dans la cour, avec le chien, le chat et les poules (je crois). Il y a aussi un cochon, mais en broche celui-là (je n’aime pas). Tout le monde fait un cercle autour de la bête qui tourne et de Didier et de l’accordéon. Je me trompe, ce n’est pas que l’été. Je nous revois avec cagoules et manteaux – la mémoire ou les photos : le mien est à carreaux rouges et bleu marine. C’est une journée ensoleillée dans l’hiver bourguignon. A Trambly, c’est méchoui à toute heure de l’année. La dernière fois que j’y suis allée, j’ai dormi dans une autre pièce – plus petite, avec fenêtre sur l’église, plus petit comité, six pensionnaires à tout casser – à côté d’un joli garçon blond. Il a passé son bras autour de mon cou. Il se peut que j’aie tremblé.    

A propos de Claire Le Goff

Pratique théâtrale, mise en scène et écriture à Bastia, Compagnie Ghjuvanetta. Enseignement du français langue étrangère. Quelques publications : Mademoiselle Grelon (La Scène aux ados, Promotion théâtre, éditions Lansman, 2015), Des Miettes (recueil de nouvelles La Peau des autres, éditions La Passe du vent, 2015), Café de la Porte Dorée (recueil de nouvelles, concours Musanostra 2018), Contre le mur de pierre, Et sa désolation (recueil à venir, Musanostra 2020). Blog d'écriture en cours, Confiture d'épinards. Heureuse d'être parmi vous !

5 commentaires à propos de “Trambly”

  1. Simple et fort comme d’heureuses retrouvailles et pourtant le temps passe… j’aime beaucoup la fin.