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2007.04.07 | se mettre en trente pour traduire Dylan

Avec la semestrialisation, pas facile de s’insérer dans le rythme des facs : à peine on a commencé que c’est déjà fini. Bien dommage. Pour cette fin de résidence, Guillaume Cingal, prof d’anglais, m’avait proposé comme un cadeau : puisque je travaille sur Dylan, et que traduire Dylan est bien obscur, pourquoi pas apporter mon travail un samedi, et mobiliser quelques étudiants pour s’y lancer ensemble. L’information circule, et ce matin, quand j’entre dans la salle, on est 30 (et même 32, si je compte Cingal et moi-même). Beaucoup d’anglicistes, mais pas seulement : certains viennent de linguistique, de droit, une vient de la prépa du lycée d’à côté (plus une étudiante de Clermont-Ferrand, et un autre de Paris 7), ajouter 3 autres enseignants : belle confiance.

Je raconte un peu mes questions concernant Dylan et l’écriture, son rapport à Ginsberg, qui lui-même l’envoie vers Rimbaud et Villon. On a la journée devant nous, on se répartit par petits groupes de 4 ou 5, chacun sur une chanson (Desolation row, Ballad of a thin man, Visions of Johanna, Subterranean Homesick Blues, 11 Epitaphs, I want you). Plusieurs groupes peuvent travailler la même chanson, par chemins différents. On se répartit : la fac est vide, nous en sommes les seuls occupants. Mais l’après-midi, nous serons confinés à ma salle A 80 et le couloir peint en rouge, avec des grilles de l’autre côté et le chien.

Le matin, on creuse : qu’est-ce qui résonne, et ce bazar de grammaire qu’est Dylan avec ses collages, ses allusions, ses passages du singulier au pluriel, l’aridité des assonances. Moi j’apprends énormément. On dépiste des associations que je n’ai jamais vu recensées dans la dylanologie classique, par exemple avec la fondation du National Organization for Women (NOW), on creuse le lepers and crooks de Thin man. On termine par une lecture brute. Quand on reprend à 2 heures, je suis plus interventionniste : pousser le texte du matin dans l’hypnose de la chanson, oublier la rigueur de traduire pour pousser à bout le récit, le fait de langue, la relation qu’il instaure avec qui l’écoute, et surtout la cinétique — comment surgissent les images, comment les amener à leur implicite présence.

Mon ordinateur sert de juke-box, avec Guillaume on circule entre les groupes. Je sers de consultant : ce que fabriquait Dylan à ce moment-là, comment s’est passé l’enregistrement. C’est peut-être I want you, dans sa paradoxale simplicité, qui se révèle la plus délicate à transposer. Quand on écoutera le groupe qui s’est lancé dans Subterranean Homesick Blues, on comprend pourquoi ceux du rap honorent si fort Dylan.

Pour la lecture, j’aménage un sommaire dispositif bi-frontal dans le couloir. On va pouvoir chauffer la langue : je crois qu’on a entendu ce qui pouvait y rugir. A 5h30, le soir, bien pompé. Reste cela : 30 étudiantes et étudiants qui consacrent un plein samedi de soleil au dehors à s’enfermer dans la fac vide, pour s’interroger sur des rythmes, des vers, des assonances, la grammaire et la narration du plus simple mystère, la chanson.

stage traduire Bob Dylan, par françois Bon & Guillaume Cingal 2007
stage traduire Bob Dylan, par françois Bon & Guillaume Cingal 2007
stage traduire Bob Dylan, par françois Bon & Guillaume Cingal 2007
stage traduire Bob Dylan, par françois Bon & Guillaume Cingal 2007
stage traduire Bob Dylan, par françois Bon & Guillaume Cingal 2007

François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 7 avril 2007
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