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dans la ville-monde pas de maison des livres

En 2007, Christine Ferrand de Livres-Hebdo m’avait invité à tenir, sur 4 semaines d’affilée, la chronique confiée à un écrivain. Ça coïncidait avec un précédent voyage à New York, la dernière chronique Livres-Hebdo s’était appelée rayon writer’s aid. Je n’ai jamais pu venir dans une ville sans visiter ses librairies, et pas de raison que ça change. À New York, j’en visitais systématiquement (non exclusivement, d’ailleurs) trois : la Borders de Columbus Circle, parce que c’était une sorte de coupe archéologique extrêmement précise de l’organisation commerciale de l’édition US, y compris dans leur espace auteur avec rencontre tous les soirs. Et puis un coin cafétéria bien convivial aussi, curiosité de ces gens qui y apportaient 10 ou 12 bouquins neufs pour manger leur cheese-cake, mais il y avait une wifi gratuite j’en profitais. Un peu plus haut, la Barnes & Noble de Lincoln Center, celle-ci c’était pour moi incontournable, parce que la proximité de la Julliard, de l’Opéra etc faisait qu’il y avait un gigantesque rayon musique – il y a 2 ans encore j’avais fait une razzia Hendrix. Reste, sur Broadway, angle 12 st, la grande caverne de Strand et ses livres d’occasion, un Gibert démultiplié, aux allées hautes et encombrées.Les deux premières ont été remplacées par des boutiques de jouet ou restauration, ou administration non identifiée pour la Barnes du Lincoln. Je suis rentré aussi dans la Barnes & Noble de la 5ème Av., vers la 45ème. Au centre : les nouvelles tablettes Nook. Au fond, les nouvelles liseuses Nook éclairées. Et cette semaine, Microsoft lance sa Surface, les Apple Center sont remplis (non, Dan, suis même pas entré...). Au sous-sol des Best Buy qui sont la référence pour le matériel informatique on vend aussi l’iPad mini, à côté du Kindle Fire (j’en ai acheté un ce matin, test à venir, scotchant), il y a aussi le Kindle PaperWhite en démo mais rupture de stock (pour mettre plus la pression sur les achats de Kindle Fire ?). Mais au moins dix modèles de liseuses présentées, éclairées, basiques. Toutes avec librairie intégrée (c’est ce sur quoi compte Barnes & Noble), mais toutes – Kindle et Kindle Fire y compris – avec possibilité d’utiliser ses propres fichiers. Pas question de jouer les épouvantails à moineaux. Et pour moi la disparition de ces trois librairies que j’aimais, et dont j’avais besoin, qui motivaient en partie la relation à la ville, lui donnaient épaisseur, est une blessure. Mais, en 2007 comme 2008 et 2009 (je n’étais pas revenu depuis décembre 2009), justement l’importance de venir regarder ça de près. Si le basculement vers la lecture numérique semble irréversible, c’est que l’ensemble de ces appareils gagne en ergonomie, en accessibilité, en confort de lecture (sur iPad mini, le poids de l’iPad diminué, on peut bien sûr lire des heures et heures), qu’on a dans l’avion ou dans son cartable la totalité de sa bibliothèque numérique (ou la possibilité de la charger depuis sa Dropbox sans surcharger l’appareil), pas le souhait de revenir en arrière. La question se formule autrement : ce que les US ont abandonné, même à New York, avec une masse intellectuelle critique plus décisive que toute autre ville ici, est-ce qu’on pourra nous le sauver ? Les lieux physiques de rencontre et d’échange (la salle pleine à Kleber il y a 1 semaine) qui étaient les lieux du livre dit physique, comment peuvent-ils phagocyter leur part d’usages du texte qui ne passent plus par ce support physique – à commencer par les grands lecteurs ? La solution Barnes & Noble, à échelle d’une chaîne, proposer une tablette qui privilégie la médiation libraire (et avec ePagine et FeedBooks on a deux modèles d’excellence de ce qu’il est possible de faire), maintenant que le jeu reste ouvert, est-ce qu’on peut encore l’impulser ? L’Allemagne le tente, c’est aussi je crois le but du projet interprofessionnel MO3T. En attendant, New York propose désormais le premier modèle d’une ville internationale de premier plan (cette sensation qu’on y a d’y être chez soi, d’une ville-monde qui est ville pour tout le monde), mais sans librairie. Même plus la peine d’évoquer l’expression traditionnelle brick & mortar. Et pourtant ils lisent...


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 12 novembre 2012
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