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journal | Proust en loge

une autre date au hasard :
2019.09.21 | Louvre musée vide #01

Ce qui reste d’un moment comme hier soir – je mets de côté les visages amis croisés, ou les personnes jamais rencontrées auparavant, sinon par mail, et d’un coup on a une silhouette, une voix –, bien avant le contenu c’est les questions de rythme. Ce qui fait que progressivement ce rendez-vous qu’on a devient principal. Puis, dès le matin, une sorte de vide qui repousse le réel à distance, même si on peut prolonger les tâches en cours. Le train en pleine journée, le sac ordonné, même ce bref sommeil compte. Puis la loge. Rien de spécial, sinon que la fenêtre et son rideau de salle à manger de province donne directement sur la rue Quincampoix, là où autrefois on venait pour ce magasin de guitares réservé au folk, une sorte d’adresse nationale unique pour les dulcimers, les mandolines et voir les Martin – disparu tout cela. L’échange nécessaire avec les technicos. Un écrivain par définition c’est toujours assis mais moi je lis debout (pas mal qui écrivent debout aussi, ça date de longtemps dans l’histoire). Trouver le bon emplacement, un peu décalé à jardin, garder la petite table pour poser le bouquin et l’iPad en mode chrono (n’en ferai pas d’autre utilisation, mais dans le train encore me serai servi de l’iPad pour ultime promenade Recherche). Assurer un minimum d’éclairage salle, interagir avec les visages et ne pas être devant le mur noir du théâtre sous projos. On m’amène un pied de micro à perche, je vais pour dévisser la perche, et ça leur convient, aux gars, qu’on ne soit pas indifférent à ces choses-là. Il part dans les réserves et rapporte un pied droit, avec le socle rond en bas. Je plaisante en disant qu’il y a peut-être mes initiales gravées dessus (on devrait le faire), me souvenant de cette lecture sur le même plateau, Jacques Bonnafé lisant/disant des traductions des paroles de Bob Dylan, et moi des fragments de biographie liés à cette chanson précisément, Claude Guerre – qui commençait son mandat comme Olivier Chaudenson le prend aujourd’hui – s’occupant de tout le reste. Je pars faire un tour des rues environnantes, marcher dans le silence, vérifier ce qui se passe du côté respiration. Comment, mentalement, j’habite encore l’aciérie de Fos où j’ai passé deux jours d’immersion hallucinante et riche mardi et mercredi, et cette architecture intérieure à la Piranèse est plus forte que la vielle réelle et banale, ça ne fait rien, ce sera comme dire Proust dans l’aciérie mentale. Une impro d’1h10, ce qui est le cahier des charges, j’ai un court texte lu au début, un court texte lu à la fin (je l’oublierai), et trois rendez-vous de parcours (je ferai en gros les deux premiers). Dans l’entrée public, je suis seul à nouveau dans la petite loge, les mains vides, la tête encore plus. Faire des photos des objets, de la fenêtre, de l’arrière-scène ça occupe. Marrant, dans les Stones, que Ronnie Wood se soit mis à twitter de cette façon-là aussi (le soir même, à Boston) – ce soir c’est Facebook qui m’aura servi comme d’un journal d’instants ( ? – avantage du journal, te forcer à débusquer des expressions que tu n’aurais pas été débusquer sinon). Puis le top, dans le noir tu rejoins ton micro et ça commence. Le moment ensuite où à nouveau bref échange avec quelques-uns, puis métro assis dans le train où resterai plutôt comateux et inactif, lesté de sueur, avec devant un qui dort, à côté de lui un gars qui lit le guide du Routard et prépare un voyage à Bali et près de ma place une fille dans sa musique et son téléphone (rien à dire, je suis dans le mien aussi, même si ça se limitera à lire le journal). Rumination de ce qu’on aurait dû dire et qu’on n’a pas dit. Rumination de ce qu’on s’est laissé à faire ou répéter alors qu’à tel instant il y avait une passe plus funambule. Rêves étranges et lestés de morts dans la nuit à suivre. Puis le matin qui n’est pas un départ, mais juste un après. Qu’on crève d’envie quand même de recommencer : pourquoi nous propose-t-on si peu que la littérature soit voix et sueur ? (et musique, aussi, parce que les copains musiciens, quand ils viennent dans cet endroit, sont d’abord dans leur propre solitude et que c’est cela qu’ils vous apprennent – en tout cas c’est ce que je dois à D.P.). Merci à Olivier Chaudenson, longue et belle route à la Maison de la Poésie – c’est pas facile –, et merci aux présents.


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 15 juin 2013
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