L’été, c’est le temps des petits cirques – ou des cirques fractionnés : le nom Fratellini, le nom Zavatta disséminés dans une myriade de petits chapiteaux. L’été dernier, l’un d’eux, garé sur la rocade près de Jardiland, avait laissé s’échapper ses zèbres. On avertissait les conducteurs : ralentir, zèbres. Mais j’avais carrément oublié le nom de Roger Lanzac. Pourtant, trois voitures avec haut-parleurs sillonnent tout l’après-midi les rues endormies pour dire qu’il y a 50 animaux pas moins (sans le détail cependant), et que ce n’est pas cher. L’inverse de la stratégie du Cirque du Soleil – mon dernier souvenir de cirque, à Québec, été 2009 –, mais combien avons-nous chacun de souvenirs liés à cette proximité, voire cette pauvreté des roulottes et de ce qu’on y montre. Une infinie reprise de La Strada encore plus dans nos têtes que sur le champ de foire de nos villages. Dans la télévision naissante, une fois par mois, La Piste aux étoiles (y aller rien que pour la musique), et pour présentateur ce grand échalas à voix de basse profonde (ô cette charge de Guy Lux sur la culture à la télévision !), avec sa coiffure brillantinée et ses poches sous les yeux. Il s’appelait Roger Lanrezac, né en 1920 comme pour durer toujours. Sur l’affiche, le tigre est anthropomorphe – les représentants en voitures neuves ou d’isolations pour les pavillons, dans les galeries de supermarché, ont un peu cette expression et ce mouvement –, et Lanzac semble avoir à jamais 25 ans. Mais qui, parmi les passants à qui s’adresse l’affiche, pourrait se souvenir de la Piste aux étoiles et de son animateur, quelle autorité confère-t-il, à tant de distance, à l’humble spectacle sur routes de province ? Reste le tigre : chercher le tigre, savoir le tigre – et qu’en soi il ne ressemble pas à un représentant de galerie commerciale.