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2015.07.10 | rapide vision des choses

Tout avait commencé le 26 avril 2010, lors d’une halte de quelques heures en voiture à Providence, à cause de Lovecraft, et découvrir combien il était peu honoré dans sa ville, et combien ce que j’apprenais de lui en quelques heures ne correspondait pas aux souvenirs assez gris de la lecture adolescente, parce que je n’avais pas eu accès à la langue, tandis que pour Edgar Poe oui. La photo ci-dessus pour preuve, en cinq ans une ville ça ne change pas tellement. La phrase de Balzac dans Louis Lambert, reprise par Curtius et qui plaisait tant à Benjamin : « toute poésie procède d’une rapide vision des choses », est-ce qu’on ne va pas se tromper nous-mêmes en résidant ici 40 jours ? J’y pensais ce matin : il y a des années que je ne sais plus ce que c’est que travailler en bibliothèque, encore moins travailler sans connexion. Et là, chaque matin de 10h à 13h30, je suis avec mon ordi sans rien d’autre (même pas le chargeur), mais avec devant moi la box 18 des carnets de Lovecraft, et ce matin, après 3 jours pleins sur le carnet et les 2 dactylogrammes successifs du Commonplace Book, pour la première fois sur ce carnet Remembrancer que je considère comme un texte en tant que tel de Lovecraft, un peu comme la Lettre volée de Poe toujours sous les yeux, mais pas considérée comme il faut parce que pas prise avec les bons outils. Je traduisais les fragments du Remembrancer, tranquillement, sans me hâter – à un moment j’étais seul dans la grande salle, avec seulement la personne chargée de la surveillance de la salle. Et, en même temps que continuer le Remembrancer qui est là depuis 1933, prendre des notes pour soi. Est-ce que j’apprends quelque chose de Lovecraft ? Ce n’est même pas de la pensée ni de la raison, puisque tout cela je peux le faire de chez moi à distance. C’est juste le rythme de la graphie et comment elle s’insère dans son support graphique. C’est l’échelle et le temps des choses – est-ce qu’à publier un auteur on peut transcrire aussi cela ? Et si je prends des notes pour moi, sur mon petit ordi, des notes qui n’ont rien à voir avec Lovecraft, est-ce que ça justifie que je sois là, au point d’obliger une bibliothécaire à rester dans la salle pour une seule personne, qui a oublié sa caisse de carnets parce que désormais je l’ai bien en tête et que c’est juste capter cette proximité ? Ensuite j’ai repris la tâche de tous les jours aussi : enlever mes lunettes, et regarder à 2 centimètres les gribouillis hiéroglyphiques du journal 1925, jour après jour, deux semaines par jour.Image ci-dessus : Providence, centre-ville, la même vitrine photographiée le 26 avril 2010 et le 8 juillet 2015.


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 10 juillet 2015
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