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2015.07.11 | tout ça pour moi tout seul

 

Ce matin j’étais tout seul, de 10h15 à 13h30, dans la grande salle de la bibliothèque John Hay, avec ce carnet de Lovecraft qui me semble n’avoir pas été pris au sérieux dans ses incidences sur l’écriture, Remembrancer. Tout seul non : face à moi, à 2 tables, et se relayant toutes les heures, la personne de la bibliothèque chargée de surveiller les chercheurs à qui on a mis à disposition des archives. Au point que vers midi moins dix, allant pisser et lui ayant signifié (non mais, s’il fallait faire ça tout le temps) que je revenais dans 5 minutes pour une raison aisée à comprendre, quoique nous ne soyons pas du même continent, j’ai craqué : je lui ai dit que vraiment, comme on était vendredi, s’ils préféraient que je me tire ailleurs et que j’aille bosser au Starbucks du coin... Elle m’a assuré que non : – That’s our work, m’a-t-elle dit.

Est-ce que j’aurais travaillé aussi bien dans le petit studio sous-loué à cette étudiante en literary arts, ou sur un des tabourets du Starbucks avec vue sur carrefour ? Probablement oui, mais pas la même chose, pas de la même façon. Je traduis certainement Lovecraft de la même façon – mais devant les yeux j’ai le rythme de sa graphie, la taille des lettres qui s’adapte au carnet, les micro-déchiffrages à reprendre depuis les transcriptions existantes (j’ai copié sur mon disque dur le fabuleux CD-Rom d’Hypocampus).

Il y a des aspects quantitatifs à ce travail. J’ai passé de lundi à jeudi uniquement sur les 3 versions du Commonplace Book, et hier seulement j’ai commencé à glisser sur Remembrancer. Ce midi, une fois pigés les problèmes de structure – comme Lovecraft avait souligné ces titres, les reprises de notes d’un chapitre après avoir rédigé le suivant, les graphies et ponctuations des accumulations, à un moment j’ai eu envie de pousser un grand cri de joie, mais vraiment.

Évidemment, tu ne fais pas ça dans une grande salle où tu es seul avec une personne qui est censé considérer tous tes gestes (alors même qu’on ne rentre ici qu’avec son MacBook sous le bras et rien d’autre) et que, comme chacun et chacune de ses collègues, elle passe son heure de veille sur le web. Ce qui me fait plaisir, puisque le web c’est ça que je fais, moi aussi.

Quand je suis sorti, à 13h40, les 2 personnes derrière la banque d’accueil, la jeune stagiaire et le vieux monsieur qui a été une fois à Paris, tous deux très gentils avec moi et même plus besoin de leur demander ma box 18 des carnets de Lovecraft, faisaient des origamis en couleur : le vieux monsieur apprenait à la stagiaire des formes belles et compliquées, mais quand même, de l’origami. L’université est en vacances, c’est légitime.

Je suis parti avec cette image, d’ailleurs, au bout de mes 3h30 : ce que je fais sur mon Mac du Remembrancer, est-ce que ce n’est pas un peu comme leurs si fabuleux pliages ?

C’est pour ça que je ne sais pas, pour la réponse de la dame tout à l’heure : est-ce que ça les arrangerait, finalement, qu’il y ait au moins un lecteur et un seul, plutôt que de fermer boutique ?

Moi, ça m’est égal – je sais que je ne suis pas venu ici pour rien. Je vous assure que ce moment où je venais de boucler ces 5 lignes d’une des « compressions » du Remembrancer (HPL prend successivement 17 nouvelles de l’auteur Montague Rhode James et les comprime en quelques lignes pour en extraire un thème de fiction réutilisable), j’ai vraiment eu envie de pousser un cri de joie.

L’après-midi, visite de la Lippit House (aussi important que les manuscrits) et longue marche vers India Point (vidéo).


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 11 juillet 2015
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