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2016.03.07 | sur, préposition

une autre date au hasard :
2011.08.19 | Ouessant #3, brume

« Il est tout le temps sur son téléphone. » Ça ne m’avait pas choqué, l’expression, parce que l’évidence d’image est immédiate : même sans mon voyage en Chine il y a 1 an, une silhouette penchée sur un téléphone en plein contexte socialisé, on est habitué. En même temps, un téléphone, on ne va pas le chevaucher ni l’enfourcher. Autrefois, on le décrochait, portait à l’oreille, et jamais on n’a dit de quelqu’un qu’il est toujours « sur« un livre. Depuis une petite poignée d’années la préposition « sur » a élargi son territoire : en s’appropriant le territoire, justement. On n’est plus « à » Paris (voire « dans » et même « dedans » : « Jamais n’avait été ouy que dedans Paris / on eust vendu fumée de roust en rue », Rabelais, Tiers Livre – mais on s’enfonce dans la ville post-médiévale sans doute plus que dans la nôtre aujourd’hui), on est « sur » Paris et ça suffit. L’oreille tendue devrait bien délaisser quelques heures sa bibliographie XVIIIe pour nous installer un index [1] : allez chercher l’article concernant « sur » avec son « chercher » pourtant bien efficace... Pour ma part, ne me suis jamais résolu à « sur » plus nom de lieu. À moins de la magnifique note de Pascal : « Travailler pour l’incertain, aller sur la mer, passer sur une planche », mais la mer n’est pas un lieu, et si on tombe de la planche on comprend la raison de la préposition. Je ne m’étais pas choqué de l’extension : « aller sur Internet », ou sa variante « aller sur Facebook », radicalement différent avec « aller » qu’avec le verbe être, comme dans « c’est sur Wikipedia ». En ce cas, le « sur » définit juste un changement de contexte aperçu, un lieu oui mais sans repère ni accroche, qu’on survole. Et Facebook n’est pas un objet précis, juste une scénographie intermédiaire entre le réel banal et triste qu’on fuit et l’utopie sociale encore si loin à venir (il faudrait que je précise ici mes protocoles Facebook très précis pour qu’ouvrir ma page soit le paysage qui me convient). Je vis avec plusieurs écrans : là, à ma table, la grande dalle 27’’ qui est comme un atlas à elle seule (mais je ne dis pas : « je suis sur ma dalle », l’écran du PowerBook qui va m’accompagner cette semaine à Cergy puis à Lyon. Puis l’écran de l’iPad qui sert à lire ou aux consultations hors écriture, enfin le mini-écran de l’iPhone (même pas le dernier, juste le 5S). On peut être « sur » un problème : je n’en manque pas. On peut être « sur » un livre : j’en ai un en cours, et l’alpinisme à mains nues en milieu hostile pourrait être une bonne métaphore. J’ai parfaitement compris ce qu’indiquait le « sur » dans « il est toujours sur son téléphone » : une activité variable, pas forcément impliquante, utilisant un support précis mais qui n’interfère pas avec cette activité elle-même. N’empêche que. Photos : Clermont-Ferrand.


[1Mais réponse dès l’heure du réveil à Montréal, voir ici usage échenozien du « sur »...

François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 7 mars 2016
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