< Tiers Livre, le journal images : 2016.08.03 | parpaings sur la Terre

2016.08.03 | parpaings sur la Terre

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2021.09.23 | énigme de l’expo rien

Le travail d’écriture tous ces temps est trop tendu, tenseurs des travaux en cours – nouvelle traduction Lovecraft qui embraye, cette série Baudelaire totalement imprévue, tenir le rythme pour les ateliers, le tas de sable à remuer à la brouette pour mise en place de la collec de livres –, ou juste le droit d’un peu de dérive et lecture, pour que le travail de journal soit régulier, et tout trop fragile pour le droit d’arrêter. Ou bien, dans ces choix d’orientation qui ne sont pas faciles à tenir, où il faut rester ancré dans sa première détermination même si le réel traîne des pieds, pas facile de rouvrir trop les trappes intérieures, mieux vaut rester concentré sur ces chantiers, où la masse de plaisir ou de vertige vient aussi, comme un miroitement, dans les difficultés même de ce qui avance parce qu’on le fait, y compris si on n’en voit que le petit bout qu’on traite. En même temps, ici, il y a les marches, et ce grand silence autour – qui aide à refaire un peu du silence dedans. Parfois je prends l’appareil-photo, parfois pas. Hier après-midi, par exemple, juste avec ce petit zoom grand-angle qui me sert aux vidéos, mais peu opérationnel pour la photo fixe. Mais il est ultra-léger, stabilisé, et c’est plutôt des plans de 3 ou 4 secondes que je fais, accumulation sans trop savoir là non plus quel récit pourra en surgir, mais après cette année de lancement de la vidéo, besoin aussi que ça se réorganise, qu’on retende les ressorts. Pourquoi photographier ceci et pas cela, ce n’est pas une question de beau. Le beau est dans la géométrie : une échelle droite, la bouche noire d’une bétonneuse, le jaune pâle de planches obstruant la future fenêtre, répondant à celui de la palette abandonnée, plus les touches orange de ces plastiques et conduites de chantier. Le beau est dans la pauvreté des matières, et dans ce qu’elles fixent du travail à main d’homme. Donc j’ai photographié ça. Ce matin, pourtant, à se remettre au travail, c’est cette image mentalement qui revenait et que je suis allé chercher. Après ce hameau on avait dû faire demi-tour : les gens du lieu ont converti un ravin en décharge sauvage et puante, comme il était courant il y a 20 ans mais devenu quand même plus rare maintenant, et se sont débrouillés pour obstruer le chemin de randonnée, signe sans ambiguïté. L’insistance de cette image alors justement qu’il y a des décisions à prendre, sur les tâches, sur l’orientation, sur la maigre économie qui nous tient en tenaille. Ou bien simplement que la construction en cours de ce que tu nommes maintenant je fais mes livres, tu en serais là. Il y a au moins l’échelle et la bétonneuse, on pose ses parpaings comme on peut, on n’a aucune idée de ce qui s’ébauche, sinon rester dans ce rapport de nécessité, de bord du chemin, d’accroche au sol, de l’impératif à d’abord accomplir le travail. Même si, quoi. Y compris quand tu découvres qu’intérieurement tu l’as déjà prise, la décision, à rebours de tout ce que te dit ta raison, et même les efforts que tu avais faits dans ce sens.


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 3 août 2016
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