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2016.09.28 | araignées noires

Depuis 15 jours c’est la bagarre. On a nettoyé et bombé tous les accès, tous les joints, toutes les bordures. Et pourtant, principalement le soir ou à l’aube, ça y est on en voit une, immobile, posée là dans un coin, un angle du mur en hauteur, carrément au plafond ou en plein milieu du carrelage. Ces araignées noires sont énormes. Elles ne tissent pas de toile, se tiennent juste là immobiles. Mais ont d’étonnantes réactions de vivacité quand vous les approchez, à croire qu’elles perçoivent visuellement vos mouvements. Ce n’est pas spécialement chez nous, ce qui nous a rassuré. C’est un peu tout le monde alentour, c’est la rançon de la vie à la campagne, les Parisiens ont blattes et puces de plancher donc pas supérieurs en la matière. La raison en serait à la dureté extrême de la tettre, toute sèche en cette fin d’été. Ces araignées y vivent dans des trous, ne pouvant creuser elles entrent dans les maisons parce que c’est plus d’ombre et un taux d’humidité plus convenable. Pourquoi éprouvons-nous une telle répulsion à ces bestioles ? Je ne sais pas si c’est tout le monde, moi ça ne me fait pas crier. C’est juste un peu curieux quand on les attrape avec une feuille de PQ et que ça craque sous les doigts, ou sous le pied si c’est par terre. Reste les grandes pattes, qui restent de tous côtés. Quand on les retrouve sous forme de cadavre, recoins de stores ou joints de porte, pareil, un amas de ces longues pattes sèches. La plupart du temps, comme tout le monde, ou si trop en hauteur, on branche l’aspirateur et on les avale. Elles tiennent quoi, comme colloque, dans le sac surpeuplé ? Survivent-elles et comment ? C’est là qu’on amorcerait une autre strate de réflexion : le terre est dure à nous aussi, surtout en fin de mois, ou pour les vieux corps. Ou pour l’état général du monde. La confusion humaine indique clairement une fin potentielle à l’espèce – et elle en aura installé elle-même les conditions. Est-ce que ça signifie pour autant la fin du monde, ou le coup d’arrêt à l’histoire de la planète ? Bien non. Les araignées, par exemples, sont prêtes. Les araignées noires, dans les ruines de nos maisons de parpaings, sur la terre que nous aurons désertée, personne ne viendra plus les écraser. Elles en feront quoi, de la planète ? Ça les regarde. Lire écrire ne les intéresse probablement pas. En tout cas ce n’est pas dans les rayons de nos livres qu’on les retrouve. S’organiseront-elles pour penser ou se doter d’outils, grossiront-elles encore plus ? On a si peu de connaissances sur qui on était nous-mêmes il y a 125 ou 200 000 ans, à l’émergence africaine des premières migrations de sapiens qui nous engendrèrent (avec quelques mélanges néanderthaliens, certains de nous plus que d’autres. Peut-être que toute cette organisation de ciment, que nous avons déployée à la surface du monde, de Manhattan à Mumbai en passant par notre pauvre coin de rue, ne visait dans l’ordre universel qu’à leur préparer les alvéoles de leur évolution, comme nous préparons aux abeilles leurs propres alvéoles. Il paraît qu’aux premières pluies d’automne on sera un peu moins envahi par les araignées noires – on verra, je l’espère. Mais ce n’est pas sûr. Pas sûr du tout. Peut-être cherchent-elles simplement à préparer le relais. Ou peut-être, comme elles ne sauraient penser ce relais, ce serait à nous de les accueillir, de leur transmettre (au moins nos regrets ?).


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 28 septembre 2016
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