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2016.11.07 | c’est rien ou c’est tout

Ça a commencé comme un jeu. J’avais devant moi, vendredi, dans l’amphi du lycée Rabelais de Chinon, deux classes 1ère et une de 2nde. Une équipe d’enseignants impeccable, tout se passait bien. Mais il me semblait que ce serait bien de finir par un exercice collectif à haute voix. Deux listes qui se répondent ? Parmi les élèves, les options théâtre et options cinéma comprennent tout de suite et se lancent (merci Flavie, Calypso, Jade et ?). Les garçons, sauf Quentin aveec qui j’ai parlé un peu plus tôt au CDI, font de la résistance passive. Question d’âge ? Ou que les classes ne se connaissent pas si bien entre elles ? On monte le volume et la dynamique, mais les voix masculines sont toujours étrangement absentes. J’apostrophe l’un d’eux, en trio compact avec ses deux copains, et je n’avais pas pu les mettre en lecture. – Tu fais quoi dans la vie, à part le lycée ? – Rien. – Tu fais quoi comme sport ? – Rien. – Tu fais quoi comme musique ? – Rien. Alors ça devient un jeu : – Tu fais quoi quand tu es chez toi ? – Rien. Ses copines s’en mêlent, se mettent à chuchoter tout autour : – Jeux vidéo, jeux vidéo… Alors je rebondis : – Tu fais quoi comme jeu vidéo : – Tout. Le soir, à la lecture au Café Français, j’irai chercher ce texte du Tiers Livre où, à toute question, le philosophe Trouillogan répond par monosyllabe. Mais dès l’après-midi j’avais réagi : – Tu ne dis pas le nom de tes jeux préférés, tu réponds par « tout », c’est ça Rabelais, c’est ça la littérature. Tu as demandé au langage en lui-même de donner au-delà de la réponse signifiante. Le « tout » t’affirme toi en même temps qu’il répond, de mon côté le contrat est rempli. On sort dans un bizarre état de ces rencontres. Il faut s’habituer, en lycée (c’est différent dans ma propre école), à « envoyer » sans retour, du moins retour immédiat, comme se raser devant une glace où on ne voit rien. On en sort plus dans le doute et l’écrasement physique par ce sens unique, que par l’effort même (construire, être précis, faire avancer, maintenir…). N’empêche que, depuis trois jours, c’est ce que je garde : ce monosyllabe qui reprenait la forme syntaxique établie, mais de refus, son « rien » et la renversant en « tout » qui ne nous laissait pas entrer, mais confiait tout le secret à la langue.

 


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 7 novembre 2016
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