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2017.07.05 | Ciclic de production culturelle restreinte

une autre date au hasard :
2008.05.22 | à Noirlac en ton cloître
Note du 12 février 2019 : me suis fait durement alpaguer ce matin pour avoir osé critiquer cette publication commanditée sur deniers publics et se prévalant de la sociologie (j’ai une autre conception pour la noblesse de cette discipline) : être écrivain aujourd’hui.

Je viens de relire et mon billet, et l’article. Je tiens à dire à celles.ceux qui s’y reconnaîtront que je continue de l’assumer complètement. Comme je suppose qu’ils.elles assument de me dire tranquillement que ça ne pouvait être qui suivi de censure professionnelle, bon, relativisons, à hauteur du département. Mais bon, bravo le dialogue et la critique – y compris dans l’espace d’un journal personnel.

Y aurait juste comme un certain ras-le-bol à être pris pour le bouc émissaire, et j’entends bien en tenir compte.

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J’ai de très bons rapports, et depuis très longtemps, avec l’équipe du Centre régional du livre de ma région, qui s’est longtemps appelé comme ça (« Livre au Centre ») avant d’être rebaptisé Ciclic.

Dans toutes les régions, on s’est habitué à croiser les responsables de ces structures, ils ne comptent pas leur peine, leurs kilomètres en voiture, soutiennent un tas de micro-initiatives, et font pression sur les politiques de chacune de nos provinces (imaginez...) pour leur extorquer trois sous à direction des métiers du livre.

Ainsi, Ciclic a initié une très belle proposition de résidences associant un auteur et un lieu, calquée sur ce qui se passe en Île-de-France, et c’est dans ce cadre qu’il y a 2 ans j’ai été associé au Pôle des arts urbains de Saint-Pierre des Corps pour ce travail sur la ville cartographiée depuis ses ronds-points, qui entre autres a été pour moi le virage pour l’utilisation de la vidéo. Ciclic propose aussi à de nombreux auteurs, comme Christian Garcin récemment venu de Marseille pour quelques jours dans le château de Balzac à Saché, d’explorer un des nombreux lieux littéraires de la région, pour un court texte qu’ensuite la structure fera imprimer et distribuer.

Il reste – pas pour Ciclic, mais pour l’ensemble de ces structures régionales – une ambivalence qui probablement, sur le fond, est une sorte d’écho fossile de l’intervention d’État dans la culture, ou sa version décentralisée : on aide les éditeurs qui vont mal, les libraires qui vont mal, les auteurs qui ne se remueraient pas la moitié d’une fesse sur le web, et on sonne en permanence les trompettes du déclin. Tendance à transformer le paysage littéraire en parc national protégé qui m’effraie un peu, parce que ce qui est toujours mis en avant c’est les immobiles, pauvres eux qui souffrent, et pas ce qui se bouge un peu le tronc au minimum.

Ainsi, c’est tout à l’honneur de Ciclic de financer toute une série d’études sérieuses, après la critique littéraire (le monde fossile de), voilà le tour de la vie des auteurs. On appendra ici, dans un beau texte illuminé et chaleureux qu’on gagne en général moins d’1 € par livre (c’est vrai), que les tirages s’effondrent (c’est vrai) et ainsi de suite. Mais c’est peut-être le texte qui désigne au plus près cette ambivalence : le mot écrivain, né au XVIIe siècle, doté de sa construction symbolique au XIXe, n’est certainement plus un qualificatif pertinent pour décrire comment notre activité d’auteur se mêle aux vecteurs changeants de l’interaction du langage et du monde.

Mais où je n’en suis pas revenu, c’est par le texte commandé à une sociologue (directrice de ci, directrice de ça...) pour expliquer ce qu’est être un écrivain aujourd’hui. Y a de quoi être fier, parce que l’étude en question cite quatre noms, quatre seulement dont un et un seul de la région : Duras et Robbe-Grillet (ah oui, pas tout fait d’aujourd’hui mais tout presque hein, et il s’agit de montrer qu’il peut être noble pour un auteur de frayer avec les gens du cinéma, c’est pas comme s’il n’y en avait pas eu d’autres avant et d’autres après), puis rien que Stephen King et moi-même. Ah, j’oubliais : l’étonnement mentionné par la dite sociologue d’avoir aperçu un rappeur écrire un roman populaire – des rappeurs il n’en manque pas en langue française, et leur prise d’écriture c’est pas forcément des histoires à l’eau de rose. Mais de tous les auteurs de la région du commanditaire, donc un seul de cité et c’est ma pomme ! Remarquez, peut-être le grand King viendra lui aussi écrire chez Balzac, ça j’aurais plaisir à lui faire visiter, au fabuleux auteur de On writing et je peux transmettre l’invite ?

Et c’est là où je suis tombé de ma chaise (ah non, c’était sur l’iPhone, je faisais le grand-père sur le bateau pirate du parc de la Gloriette), c’est le pourquoi de mon intronisation dans les 4 noms cités, entre les 2 morts glorieux et glorieuse (je suis contre la grammaire du masculin dominant), et le grand frère notre King. Ah, on parle aussi de Fifty Shades of Gray, sous-merde industrielle, et de Julia Reda, députée pirate, c’est ça la pertinence de la sociologie pour une approche représentative.

Voilà, tel que c’est dit : « on peut parier qu’un pôle de production culturelle restreinte, composé d’auteur·e·s et d’intermédiaires dotés de capital symbolique se maintiendra ou se recomposera dans l’avenir. En témoigne d’ores et déjà l’apparition sur internet de sites comme publie.net, librairie en ligne, et de l’expérience du Tiers Livre [...| deux initiatives lancées et animées par François Bon ». Passons sur le mot librairie en ligne concernant mes amis qui ont repris publie.net en 2013, un petit clic aurait été bénéfique pour savoir qu’il s’agissait d’un éditeur, et j’aime ce mot animé : voyez-vous, Internet un genre de centre aéré... Plus qu’on ne met pas un humble nom comme le mien dans un rapport rémunéré sans préciser de qui qu’il que s’agit : au moins ils auraient pu dire écrivain tourangeau, je sais pas ?

« Pôle de production culturelle restreinte, composé d’auteur·e·s et d’intermédiaires dotés de capital symbolique » : au CNRS de l’EHESS on est capable d’inventer des phrases comme ça, vive la recherche d’État, on s’est aperçu de l’existence d’Internet !
 
Rien de vindicatif ni d’aigri, les amis, on a suffisamment fait de bagarres ensemble et de route ensemble, même sans phares. Mais juste, est-ce que vous pourriez m’expliquer ? Pourquoi je suis le seul auteur cité de votre région ? Pourquoi me voilà bombardé avec les 2 morts, le King, et Fifty Shades of Crap ? Indépendamment du fait que Stephen King et Robbe-Duras ça dit certainement quelque chose à vos lecteurs, mais le pauvre blogueur que je suis, même au privilège de l’ancienneté et dans la légitimité régionale, certainement pas (ah si, j’avais eu un entrefilet dans la Nouvelle République du Centre-Ouest à la sortie de mon Dylan en 2006). 

Mais surtout, quand même : Internet ça fait pile 20 ans que mon site existe, ça lui a quand même laissé le temps d’apparaître, non ? Mais qu’est-ce que ça veut dire, c’est quoi mon crime, pour que je sois réduit à un « pôle de production culturelle restreinte » ?

Et puis on mène assez de sérieuses bagarres, depuis longtemps : ainsi les millions d’euros dépensés (les responsables sont toujours en poste, parfois à leur 7ème ministre de la culture) pour des incompréhensions majeures, de 1001libraires et mo3T au défunt ReLire, alors qu’un petit centième ou millième de ce gâchis, consacré à aider la création littéraire sur le web, multiple, profuse, audacieuse, aurait pu tellement nous aider – mais non, ce ne sont pas des écrivains n’est-ce pas...

Alors oui, c’est la honte, j’écris sur un ordi (depuis 30 ans), j’ai des potes sur Facebook (depuis 2006, donc 12 ans), un compte Twitter (depuis 2008, donc 10 ans), j’aime jouer des arborescences de mon site, et depuis 2 ans je complète d’un petit journal vidéo. Mais en quoi c’est si différent, à la connexion près, de l’écosystème d’un Lovecraft (je travaille dessus, et au CNL on ne m’a pas snobbé en termes de pôle de production culturelle restreinte), ou de ce qui se passe dans l’expérience de tant d’auteurs, entre carnets, dessins ou photos, journaux, publications à temps rapide ou lent ?

C’est précisément ce qu’on essaye pour soi-même de comprendre. Vrai que pour ça on se sent un peu seul, des fois. Ça s’appelle écrire, en gros, mais c’est pas la tâche noble d’écrire, telle qu’on l’aime dans l’aide publique aux nécessiteux. Nous on se bouge, on essaye de faire respirer nos lectures, on essaye que passer par l’écriture soit aussi un des essentiels partages, on réfléchit en acte à ce lien du temps et du vif, à ce qui passe par l’image, donc en intervenant sur les réseaux et en y étant si possible de façon critique.

On nous recase dans cette « étude » se prévalant de la sociologie le sempiternel couplet en quoi « l’intervention des écrivains dans les hôpitaux, les écoles, les prisons » (sic, et c’est très gentil pour eux tous) est un bon remède à l’effondrement du métier. C’est pas tout à fait ma conception du creative writing et pourquoi on s’y démène.

C’est mal vu, vous voyez. Ça reste louche. Ça fait pas dinosaure à protéger. On est juste un pôle de production cultuelle restreinte.

C’est surtout ce restreinte qui m’atteint dans ma fierté, en fait. Sur le web je prétends à la littérature générale, et pas trop à la production culturelle. Et plutôt envie qu’on me fiche la paix, que ces niaiseries permanentes.

Bon, j’ose pas demander combien vous avez payé ce torchon, mais juste, puisque vous le mettez en Une de votre dossier, et qu’il est question des auteurs, justement ceux qui vivent dans votre territoire, pourquoi moi tout seul à voisiner les morts (et le King), et pourquoi cette phrase, ça veut dire quoi, s’il vous plaît, mes amis, expliquez-moi ? Ou peut-être me ferez vous la grâce d’éviter que je sois nommément cité dans ce charabia ? C’est juste une détresse, même plus une lassitude....

Image haut de page : Apparition de Saint-Jérôme à Augustin, Vittore Carpaccio, toile commentée dans un des chapitres de Après le livre, Pôle de production culturelle restreinte, 2011.

François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
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1ère mise en ligne 12 juillet 2017 et dernière modification le 12 février 2019
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