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2020.02.16 | l’école d’arts, et après le squat

une autre date au hasard :
2006.12.18 | Sarkozy égaye nos rues

Je me souviens de ces enquêtes régulières du Ministère de tutelle, pour autant de rapports perdus dans les sables : école nationale supérieure d’arts, ils s’insèrent comment dans la vie professionnelle ? Un peu comme, quelques années après mon retour de la Villa Médicis, j’avais reçu un questionnaire : — Combien de temps avez-vous mis à retrouver du travail ? J’ai eu la réponse mais 30 ans plus tard, puisque de mes 60 à 66 ans (et 2 mois, radiation légale), j’ai occupé ce poste titulaire écriture à l’École nationale supérieure d’arts Paris-Cergy, ça aura été le seul salariat depuis mes 29 balais — et ça y est, la successrice est nommée, il s’agit de..., de... ? Quel bien, quelle joie, quelle confiance ça m’a fait de l’apprendre, il fallait ça pour découvrir que la plaie n’était pas fermée.

Donc, c’est un ancien de Cergy, mais un de ces types géniaux et atypiques sur qui vous tombez dès le premier jour à l’école, et on est impatient qu’ils en virent pour pouvoir l’appeler ami et non plus élève, qui me sollicite. Des expériences de squat avec occupation, lui et quelques autres en avaient mené dès leur scolarisation, une belle expérience à Pontoise par exemple. Et il y a eu, sous l’égide officielle de l’école et de Yes We Camp, la belle expérience aussi des Grands Voisins.

L’insertion professionnelle, après l’école d’arts, ça ne va pas si mal : il y a tant à faire, tant de métiers, tant de directions, ça va de la thèse à archiviste dans une galerie d’antiquaire, du Capes obtenu haut la main à la photo de mode, et toutes les charrettes dans les métiers de la 3D, le graphisme free lance et qu’est-ce qu’ils sont doués, de la scénographie de film à et puis et puis. Et ça n’a pas attendu l’invention des masters de création littéraire : les écoles d’art ont toujours fourni plus d’éléments aux carrières d’auteurs que les facs de lettres (dont ce n’est ni le but ni le métier, d’ailleurs, et bien plus de plumitifs viennent des écoles d’ingé, de médecine etc). Mais, en tant qu’artiste titularisé dans une école d’arts, ce qu’on a à coeur de transmettre c’est plutôt l’art de la démerde, du boulot perso accompli à tout prix, la rage à tenir sur ce qui compte et on se débrouillera bien de la phynance, même si pour soi-même on n’a jamais su vraiment, et même si — surtout — c’est tellement plus rude pour elles.eux aujourd’hui que ça l’était pour nous il y a 30 ans (encore que, vu la multiplication de ces niches de boulots précis...).

Mais eux, ici, à la Tombe Issoire, c’est le nombre qui m’a surpris. C’est un ancien couvent. Ensuite, ça a été reconverti en foyer de migrants. C’était vide, ils ont occupé (la même équipe que le fameux « 59 Rivoli »). La mairie suit, pas trop le choix de toute façon : ce n’est pas vraiment chauffé (je me suis caillé les 3 heures, eux ils ont des réserves de plaids, je m’organiserai mieux la prochaine fois), mais au moins c’est éclairé. Le sous-sol c’est les ateliers communs, dont ce « jardin » (sur Instagram : @jardindenfert puisque tout près de Denfert), une cave pour la sculpture, une autre pour la sérigraphie, d’autres pour la musique, et des réserves puisque par exemple l’activité réparation vélo c’est une des multiples passerelles vers le dehors. Au premier c’est des expos (et c’est ouvert le dimanche aprem, allez-y), au-dessus c’est 3 étages de piaules individuelles ou d’ateliers, certain.e.s travaillant là mais n’y dormant pas. En tout, 50 à 70. Et parmi elles.eux, une dizaine d’ancien.ne.s Cergy. Une assemblée générale, chaque lundi, décide des tâches, des contraintes, des événements, je ne sais pas si ça concerne aussi les admissions ou évictions. Il y a une cuisine, et visiblement des boulangers et autres commerçants laissent à disposition leurs invendus.

Elles.ils étaient une quinzaine ce mercredi, alors on a décidé de continuer. Les occupant.e.s du lieu, puis quelques coopté.e.s, un étudiant informatique de l’UTC, une en licence philo à la Sorbonne. J’avais apporté un exercice, la prochaine fois on fera un mix entre proposition pour tout le monde, et temps réservé à leurs écrits perso. Évidemment, des récits et fictions lestés du choix de vivre là.

Mélaine comme Audrey, mes invitants, y insistent : le choix de construire des vies qui ne soient pas basées sur salaire et argent. Mais dès l’école Mélaine vivait comme ça, pratiques de récup en particulier — ou cet hiver qu’il avait passé dormant seul dans une péniche en semi-abandon, et l’inquiétude qu’on en avait. Et si justement, l’enjeu d’écrire ensemble, c’était de savoir en quoi ça fait bascule nos modes de représentation et récit d’une autre ville, d’une autre relation d’être à être dans le présent du monde ?

La question du collectif questionne aussi les pratiques, et en retour aussi nos écoles. Si écrire compte, ici, quels livres pour appui, ou pas de livre ? Un des jeunes présents fait d’étranges collectes de phrases, entendues, rêvées, pensées, recopiées, sur des post-it qu’il assemble en planches géantes qu’ensuite il suspend et on y déambule.

Pendant qu’elles.ils écrivent, je ballade mon GH5 dans les couloirs, je pousse des portes, on cause. Si tu es dedans c’est qu’on t’a ouvert, donc on ne te pose pas de question –– pourtant la moyenne d’âge est bien loin de mes cheveux blancs. Fin mars, après les élections municipales, la ville reprend le bâtiment, tout ça sera fini. C’est ça, en fait, que tu photographies : ni eux ni ces étranges assemblages, mais le fait que tout bientôt ce sera vide, entièrement vide de nouveau. Pelleteuses.

Pour l’écriture, j’ai prévu de venir 6 fois, on fera lecture ou édition au bout, même si déménagement d’ici là. Je préviendrai.

 

 


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 16 février 2020
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