2009.08.18 | de si Québec est sur un fleuve ou une mer
Enfant, on habitait cette ancienne île. Ou le pourtour de l’ancienne île, rue d’En-Haut, rue d’En-Bas, avec l’église et le cimetière, les écoles et la Boucarde, les venelles et nous le garage. Mais le centre entier de l’île, et son élévation principale, l’ancienne abbaye fermée dans ses murs. Dedans, des arbres — sinon pas. J’en ai encore souvenir des visites de la partie publique : par exemple un fanon de baleine, recueilli sur la côte en 1835 (de la date je ne me serais pas souvenu, mais quand je l’ai revu avant-hier aussitôt il s’est ajusté sur l’image souvenir, comme de n’en jamais avoir bougé). À l’été, par dessus le mur au fond du garage, on causait avec ceux du château, qui venaient pour les vacances, du contenu de ces conversations avec l’autre de mon âge, par dessus le mur qui nous séparait, je n’ai pas souvenir, mais qu’elles existaient et où elles avaient lieu, oui. Je me souviens aussi, quand on avait creusé pour installer le pont-élévateur du garage, de la découverte de ce souterrain qui rejoignait par en bas et l’église et le château. C’est de cela qu’on a parlé, avec Dominique Sorrente, quand avant-hier il nous a accueillis. Je n’étais jamais entré dans ce monde de puissantes ruines et fragment brut d’histoire dont il est le maître (ou surtout des factures, élagages, toitures). À cause du souterrain il nous a montré les cryptes, escaliers se perdant dans la nuit, soupiraux et traces de fouilles. L’hiver, depuis l’école primaire (elle est devenue un bureau d’assurances, le platane est resté — et les gogues, curieusement les gogues — mais le mur et le préau ont été soufflés) on se mettait à trois ou quatre pour sauter le mur du domaine interdit et empocher ces marrons beaux et luisants dont à l’automne j’ai toujours le goût, on venait jusqu’où commençaient les grilles et vieilles pierres mais trop la trouille on n’allait pas plus loin et on cavalait pour le retour. C’est ce frisson qui m’a tellement soudé, dès les huit ou neuf ans, au Château de Pagnol ou au Grand Meaulnes mais ce même frisson était là intact, tandis qu’aujourd’hui j’en franchissais les grilles. Dans l’énigme des sagas familiales, une autre partie de l’abbaye est en vente à la découpe, on le vit comme de s’en séparer soi-même. Avec Dominique Sorrente (on a le même âge à quelques semaines près, il y a aussi Chamoiseau et Yvon Le Men), on ne s’ancre pas dans le passé, et ce qui peut surgir de nostalgie en partage dans ce village désormais pas en très bel état. Moi je rêvais à ce que ce serait une grande lecture Rabelais, genre 10h ou 11h sous les arcades du scriptorium, mais c’est précisément ce qu’accomplissait Dominique avec ses propres textes et amis (Nouvelle comète, par les Ivres Vivants) ce dernier vendredi. La mairie a mis un cadenas neuf sur l’accès à ce qui reste du garage, non détruit. Au moins, lui, il habite, dans ce grand malgré à quoi nous force le monde.
1ère mise en ligne et dernière modification le 23 août 2025
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