2007.07.21 | bord de mer avec écrivains, jour 3
Si dans l’Atlas des régions naturelles d’Eric Tabuchi et Nelly Monnier on clique sur marais poitevin puis sur silo, on le verra apparaître de suite, en vieux Don Quichotte dans le plein vent d’ouest, attendant à jamais ses moulins : ils ont aussi photographié le temps. Ou bien, si on clique, dans leur classement « voyages », sur « 14/01 à 04/02 2025), il apparaîtra aussi mais accompagné d’un clin d’oeil discret qui m’honore, le vieux portail rouillé du garage de l’enfance, en pays sinistré. Mais le vieux silo, poste avancé dans les digues, plus de vingt ans qu’à chaque passage j’essaye d’en faire trace. Trace de mes pratiques photographiques tardives et appareils aussi, mais bien sûr, depuis qu’existe l’Atlas, une autre attention au geste. Sans doute j’appuie moins sur les curseurs de LightRoom (le même silo, ici en 2019). Il n’en reste pas moins que jamais je n’ai pu comprendre le profond de l’attitude d’Eric et Nelly, dans leur astreinte à ne conserver qu’une seule photo, un seul cadrage, de ce monde désaturé qui érige en monolithe les milliers d’images assemblées dans leur site (ou la collection des sept livres existants, ou les tirages dont j’ai deux achetés, et un offert — autre secret datant du même voyage —). En tournant autour du vieux silo retrouvé, cette fin de semaine dernière, évidemment à cela que je pensais. Peut-être pour mes apprentissages via le dessin industriel ou d’architecture : non pas forcément l’image en série, mais ce qu’on nomme vue partant d’un ensemble dénombrable et nécessaires de plans, face, profil, dessus (par exemple, si on devait les introduire dans un logiciel de restitution 3D), c’est ce qui me fascinait aussi, et me fascine encore, dans la fabrication de ces images 360, même si les contraintes d’usage les réduisent encore et toujours à une niche. C’est ce qui rend si ambivalent aussi notre goût des repérages Street View. Il m’a fallu quoi, six minutes pour ces images déjà mentalement bâties, cadrées aussi selon la récurrence des rêves, mais au moins j’avais apporté ce lourd Sigma 24 1.4 (sur leurs moyens formats Fuji, je crois qu’Eric et Nelly travaillent au 50, moi c’est le refus de zoom et ni le 18 ni le 35 ne me procurent cette balance du 24, où la distorsion des lignes force à la refabrication intérieure de l’objet — et je sais qu’ils n’aiment pas les ciels gris, mais les lointains incendies dévastant l’Espagne assourdissaient cet après-midi là les lumières). Sans doute aussi une question de support : si ce site est un livre, qu’il n’y a jamais tirages ni expos (non mais...), c’est une lecture-narration, une lecture par défilement, et le rapport de l’image à la réalité dont elle construit l’illusion, c’est d’abord le temps de défilement de la suite d’images, leur ordre donc et leur répétition et variation comptant, plutôt que l’image comme lecture. Mais on est si peu à s’intéresser à tout ça : peut-être vraiment accède-t-on à la photographie quand on décide de l’ignorer. Je maintiens donc ma série de douze, quand bien même le voilà, le vieux silo de l’enfance, intronisé dans « l’Atlas ».
1ère mise en ligne et dernière modification le 23 août 2025
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