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clé du casier

« Et profitez bien de vos vacances. » C’est gentil, bien sûr, sauf que ça tombe mal : ce ne sont pas des vacances, qui commencent, mais simplement la fin d’une expérience, du moins sa fin calendaire et matérielle. Pour le reste, je n’imagine pas qu’une part des étudiants avec qui on vient de bosser huit mois, les écrits en cours, les puits juste ouverts, on ne prolonge pas un lien serré – il y a des blogs, des échanges, des chantiers. « Et profitez bien de vos vacances » : c’est donc ce qui leur arrive, tous les collègues croisés ces huit mois dans les couloirs, les voilà en vacances jusqu’à début septembre ? Bien de la chance, les Québécois, pour occuper les cinq ans qui les séparent d’une année sabbatique à l’autre (non, je plaisante : ceux que je connais, je les vois mal s’arrêter quatre mois). En tout cas, pas l’impression d’être vraiment en vacances, avec les 3 heures prévues avec eux demain, les travaux qu’ils doivent me rendre sur Espèces d’espaces d’ici le 30, et probablement pas mal de rendez-vous individuels. Vous me voyez lui dire, à celle qui rassemble ses textes sous le titre Chronique des deuils amorcés, et venue de sa ville d’enfance et d’adolescence, Mistassini-Dolbeau jusqu’à Québec la pauvre, Québec la dure (ce qui fait qu’on s’attache à cette ville pas grande mais austère, par rapport au grand brassement de signes et de langues qu’est Montréal – Québec, North disent ceux d’ici lorsqu’aux US on leur demande de préciser d’où ils sont au Canada) avec un[e] job pour payer ses études, oh rien de méchant, juste distribuer le cannabis dans un centre de soins palliatifs pour cancéreux et jeunes malades du Sida : – Adieu, étudiante, je vais profiter de mes vacances... ? Bon, ça m’a fait drôle, de trouver ce matin le papier ronéoté (remarque que l’information m’avait aussi été transmise par e-mail, mais ça fait plus officiel, un papier écrit en gras et souligné sur fond rouge dans le casier n° 84 qui m’était attribué – par exemple, ici, les étudiants m’envoient leur travail par mail toute la semaine, mais lorsqu’il s’agit du travail final, paraît que les autres enseignants demandent sur papier – moi je vois pas trop la différence mais laissons). Donc voilà, encore cours demain, encore 10 jours de rendez-vous, suivie, échange, encore 10 jours ensuite pour lire et commenter les travaux, mais c’était ce matin, l’injonction d’avoir à rendre la clé du bureau, sans oublier celle du casier, au risque de perdre la caution qui m’avait été demandée etc. etc., sans compter que revenir en Sarkozie et reconstituer la matérielle c’est pas forcément une perspective très vacances : pour ça que c’était un cadeau si magnifique, de la part des deux facs, cette année de répit et changement radical pour parler la littérature, chercher autrement en soi – et ça, non, les mois prochains ça ne va pas être mis en vacance. Je finis par me faire à l’idée que le pragmatisme du nouveau continent ne coïncide pas avec nos propres habitudes intérieures, mais quand même : j’aurais bien préféré qu’on trinque, avant de me signifier comme ça que c’était fini, au revoir ? Photo dédicacée à Philippe Didion.


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 21 avril 2010
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