Marine Vassort | à tue-tête (quatre fragments)

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L’AUTEUR

Marine Vassort vit dans le sud-est de la France, elle écrit de la poésie, du théâtre, des récits, et anime des ateliers d’écriture : la-lieuse.org/, son site 
marinevassort.blogspot.fr/.

Elle a publié : 
 Brûleuses, carnet tangérois, carnet de voyage, ebook, juillet 2011, éd. La Lieuse.
 Entre deux chaises, théâtre, décembre 2010, éd. Passage & Co.
 Paroles d’errance, récits, 2006, éd. P’tits Papiers, ainsi que plusieurs textes dans des revues de poésie.

LE TEXTE


 spirale est un corps agricole immobile au sein de cercles concentriques.

 fractal est le récit d’une amitié potagère éphémère.

 paradise est une promenade, un jour de mai.

 blacklist est un condensé de phrases énumérant l’histoire trouée d’une vie penchée sur une brume de filiations.

Ces textes sont issus de « Tue Tête », ensemble en construction.

 

Et tout à coup ce filet d’eau sur un volcan, la chute mince et ralentie de l’esprit.
Antonin Artaud.

 

spirale


Tu es dans la pièce d’une maison au bout d’un chemin entouré de prés. Ce chemin est lié à un village connecté à des villes. Les villes ressemblent à d’autres villes du pays. Ce pays est intégré à un ensemble de pays situés sur un même continent côtoyant d’autres continents séparés d’eau. Tu demeures sur une terre dont le mot dans ta langue n’a point de synonyme satisfaisant sinon celui de terreau. Tu existes sur une sphère, jamais tu ne remarques sa rotation, figure appartenant à un ensemble d’étoiles et de planètes dont les limites nommées galaxies sont discutables.

Tu es un corps mobile agissant la plupart du temps économiquement, une nécessité programmée, un corps qui ne peut vivre radicalement la réclusion ou l’ermitage, siphonné d’idéaux, sinon tu serais d’office un corps marginal parmi les corps marginaux. Tu es un organisme vieillissant ancré sur une frontière cernée de paysages.

Tu enfouis chaque jour tes ongles. Tes ongles sont noirs tels des salsifis. Tu es un corps qui plante, contemple, sait de façon directe que l’information, la cellule, l’atome, les liaisons, la peau, les muscles et os, le coin, la pièce, le quartier, la capitale, le continent, l’ensemble, l’autre, la boule munie de ses mers et océans, montagnes et cratères, forêts et déserts, neiges, sables, gouttes, germes sont la réplique d’un infini cosmos.

 

fractal


Tu achètes un sachet de graines de tournesol, tu as besoin de plantes qui fassent de l’ombre autour du potager. Il est censé contenir des semences solaires qui devraient monter assez haut pour créer des ombrelles protégeant les légumes. Tu ouvres le sachet, entreprends le semis, dans ta paume des dragées roses. Tu lis les inscriptions sous le rabat : « graines impropres à la consommation humaine et animale, contenant… ». Tu es épouvantée, planter ces hybrides destinés à emplir des vases. Tu enfouis les graines superflues et empoisonnées, faut pas gâcher on ne sait jamais, mais tu les places dans une terre argileuse où seuls thym et romarin tiennent. Les graines combattent. Quelques tournesols poussent, ils ont très soif, ne rayonnent que peu. Ils sont minables, ne produisent en aucune façon l’effet escompté. Tu souffres pour eux, expliques ta compassion du fait de leur origine frelatée. Ils fleurissent sans splendeur, se fanent avec détachement. Tu ne vas pas les voir, ils meurent sur place, reste de vieux bâtons rêches et grisâtres. Tu les transportes au compost et oublies leur décevant passage.

Le temps mental file linéaire vers un objectif connu de tous et tu. Les saisons recyclent jusqu’au printemps. Tu repères au milieu du potager une déjection, un seul plant qui se met à grandir si haut qu’il devient un monarque absolu. Tu l’auscultes, l’attends. Tu lui causes, il te répond, te procure calme. Tu te découvres cette amitié avec une plante hydrocéphale, à sang froid, à pas de sang du tout, à suc, à sève.

Le tournesol finit par tomber la tête, s’était semé sans que tu saches pourquoi avec toutes les plantes à nourrir. Ventre et Esprit. Ce corps frêle, tangent. Son visage d’autrui ouvert, d’accueil. Perdu le proche soleil, vos conversations muettes ne sont qu’un prochain mai(s). Le tournesol hydrocéphale venait d’une famille F 1 F 2 ou 3. Il a transformé ces cellules pour se développer parmi spirit temporaire jusqu’au mitan de l’été. A tombé la tête avant le corps.

Tu la tranches.

Tu as cette grande couronne cernée d’une collerette brune entre les mains. En sortent un pince-oreille, une araignée prédatrice d’autres araignées, un diptère, une fourmi noire des bois. Tu poses la tête de ton ami guillotiné sur une page de journal. Tu lui tords l’abdomen cervical, attaques avec tes doigts sa cervelle qui est un ventre pour en extraire des centaines de graines d’un blanc pas tout à fait net. Lui reste des alvéoles vides et une tranchée sombre tel un fleuve asséché. Il est un pays du sud aux lopins dépeuplés, demeure au centre quelques foyers fertiles. Sur la page du journal, tu lis : « Le japon n’arrive pas à tourner la page Fukushima ». La fleur fractale est une avalanche. Les graines s’amoncellent. Tu les caresses, les émiettes, écoutes le son qu’elles font.

Tes mains placeront les dormantes dans la terre à nouveau multipliant les présences pour converser encore, tant que carcasse te porte. La patience, l’appétence, les mutations incessantes se classent-elles du côté de l’irréalité ? Ta réalité est un invisible où se faner est permuter.

 

paradise


Tu marches, tes paroles rebondissent sur une ciste, une euphorbe, une ronce. Tu cherches l’ortie. La grande enfant ouvre le chemin munie de ses sabots de plastique rose. En descente, vos pas serrés sur les cailloux incertains. Si l’une dérape, l’autre rattrape. Tu marches vers son paradis.

Dès le déjeuner achevé, la grande enfant dit : « Allons à la petite mer ». Quelle mer même petite pouvez-vous découvrir sur ces collines calcaires recouvertes d’aiguilles brunes ? « La petite mer est à dix minutes. Elle est pleine de fleurs jaunes dont je ne sais le nom. »

Tu marches dans le secret de la grande enfant, curieuse de rencontrer un paysage sans soif. Un panneau indique qu’il est interdit aux humains de passer sous les roches. Elles peuvent se démembrer, d’un brusque coup du sort sur les corps. Les chiens courent sans interdit en allers-retours efficaces tissant le lien entre la nature et vous. Ils ne peuvent choisir, ils vivent entre deux mondes.

Tu marches sous un soleil naissant du vent après les pluies d’un mai ressemblant à une mousson dont tu n’as que le nom pour dire l’inhabituel, le radical changement en ce pays aux mémoires sèches, ce pays de périurbanisation où tu as appris par force, sans plus lutter, que le paradis ne peut germer qu’en tête de façon individuelle, exclusivement. Dans le secret de la grande enfant existe un paradis réel où tu aboutis suite aux glissements, essoufflements ; suite aux mains empoignant les arbrisseaux pour ne pas déraper dans les affluents de boue, les vasques remplies de la molécule, reine du vivant. Tu descends suivant l’étroit d’un canal bordé de mousses, de chênes, de pistachiers sauvages, de lianes tendues par les âges. Au bout, une cascade, des trous d’eau peuplés d’iris jaunes.

Tu traverses sur les pierres glissantes parmi les fleurs dont la nomination importe peu vu qu’elles sont un peuple de grâce. L’une ouvre les bras pour respirer au-delà de l’onde. L’autre dans l’eau de dos rit. Tu regardes l’iris, sa folle géométrie, cette beauté en équilibre, sa couleur qu’un dieu ne peut inventer. Le paradis de la grande enfant est une réalité naturelle. Tu peux te taire, ne plus imaginer en chutant dans le bleu, le jaune et infinis.

Assis sur une pierre résonnant de passages, un émerveillement sans puissance, accueilli par le peuple des iris l’humain interdit saisit. De paradis une vie tempête, suffit de suivre un être, fleur, chien, intempérie, grande enfant conduisant l’instant selon le désir d’être.

Tu ne cueilles pas d’iris, juste deux pommes de pin minuscules au sol déposées dans une capuche. En remontant tes poumons rythment l’enfer. Les chiens tirent leur maîtresse, ils savent qu’elles doivent être aidées pour revenir intactes et conscientes dans la périurbanisation dont le terme évoque promesses artificielles et normatives illusions. La grande enfant ferme le retour.

« La prochaine fois, tu mettras un short et des chaussures à crampons, nous irons... », saluer en silence le peuple des iris en nous dévêtant de nos signés paraître, de nos édens égotiques et magnifiants.

Avant d’atteindre le portail, la grande enfant dit : « Ils affirment qu’il nous reste deux cent ans à tout casser. Ils rajoutent que dans cinquante, le climat c’est classé ! ».

Ces fleurs jaunes dont le peuple est secret.

 

blacklist


Tu as quatre ans. Tu es dans un square. Tu portes une robe blanche de fille.

Ta silhouette est dessinée dans un livre scolaire en une région pleine de roseaux.

Tu possèdes un grand frère qui finit les poumons remplis de gaz.

Longtemps le monde est muet.

Tu prends la place du grand frère, devient celle qui réussit.

Le père discute avec le père les dimanches.

Le père du père est serein.

De l’argent est donné, les enfants sont éduqués, ils suivent la voie indiquée.

Le père s’en va au petit matin en posant un baiser sur les fronts.

Il laisse dans la bibliothèque la série des Jules Verne reliée.

Emporte ses costumes, achète une voiture foncée.

Le père rend visite. Il est accompagné.

Il se marie sans invitation.

Tu penses : « elle s’occupe de lui ».

On ne sait qui elle est.

Elle aime la couleur turquoise, en couvre sa nouvelle vie, un décalque.

Tu t’es jetée d’un aqueduc, est tombée dans une flaque.

Tu désires un homme qui a besoin de toi.

Tu t’enfermes avec la machine à bois, le compresseur, les pinces, tournevis et mastic.

Tu portes des boots avec fermeture éclair.

Tu étales des plans, colle des bouts d’allumettes sur des maquettes.

Tu imagines une ville verte.

Ne traverse pas d’océan.

Tu gardes tes monstres précieux.

Une fois, tu es avec le père dans une DS.

Une fois, dans une clinique.

Ossature de plâtre s’allonge. On t’entoure, on te parle, on t’apporte de quoi manger vite. Des miettes restent sur les draps. Ossature de plâtre trimballée sur un chariot, on te fait un nid de coton, on te coupe les fils. Ossature de plâtre regarde par l’unique fenêtre la vie. Ossature devient coquille puis sphère. Se brise. On te apporte de quoi jouir.

Le père dort dans un lit pliant.

Il donne des espèces sur un quai.

Tu les mets dans ta poche contre la haine.

Une racine file profond, rejoint une autre racine qui ne se fend, racine remonte jusqu’au tronc tirant.

Le père a rétréci comme une bestiole conservée dans du formol. Il est une sorte de galon, un vestige de guerre d’un combat auquel on a réchappé sans au départ vouloir s’y engager.

Au petit-déjeuner, le père murmure : « elle croit que je suis mort ».

Un ami se tue en ouvrant la portière sur une autoroute.

Ils franchissent un péage avec les cendres.

Les cendres par alchimie font un diamant.

Tu n’es pas une impératrice.

Le père se balance des week-ends entiers dans la position de l’index au coin des lèvres.

Tu ne dis jamais « parfait ».

Le père aime la voisine. Il aime la secrétaire.

Le père ne fait pas d’esclandre.

Il ne lit pas d’histoires.

Une femme annonce qu’elle est enceinte.

Tu piétines sur une terrasse.

Tu regardes sous la jardinière de béton un chat attaquant un rat.

Un rat sauvant sa peau.

Tu te penches pour apercevoir le bout de la ruelle habitée par les étrangers.

Le père achète du Schweppes, des gobelets de pâtes déshydratées.

Le père avance nu sur le carrelage.

Des escargots font la course dans une boîte à chaussures.

Il découpe des pêches dans un verre immense, rajoute du vin, du sucre.

Il y a un feu d’artifice pour la mi-juillet.

De longs pleurs rejoignent les brins d’herbe, entrent dans la terre.

Un mulot grimpe dans le néflier.

Ils attendent les fruits pâles.

Les sacs du père sont dans le débarras contre des casiers.

On ne voit pas quand il embrasse.

Il agence des tuyaux, tape sur des touches, gargouille dans un instrument de cuivre.

Des hirondelles luttent dans l’atmosphère.

Le père a de larges pieds blancs.

Dans la maison, il descend toutes les cloisons.

La porte de la maison de la plaine fruitière est fermée.

Le mercredi le père danse dans un salon en compagnie.

Il n’a nul besoin d’une sœur, même âgée, à quoi servirait ?

Un homme est vêtu de bleu et de jaune striés.

Ils ingurgitent une moquerie.

Une mère attend sept jours dans son cercueil.

On est sur le gravier.

L’alignement désunit la fratrie.

Le père pose un doigt sous sa moustache.

Il brûle toutes les branches.

C’est l’hiver.

Elle prépare un gâteau roulé framboise.

La confiture est une mince couche.

Un fossile extrait du sein des pleureuses.

Le bout reste asséché. Le restant rassis.

Sédiment de filiation.

Le père n’est pas simplement un être qui a vécu, c’est un être qui vit aphone dans sa forme.

Une table de ping-pong se déplie.

La table ressemble à un tableau.

Ils jouent à quatre.

Le père sautille et recule.

La table de ping-pong est un foyer.

Une mère surveille l’essaim.

Une pelle tue des taupes dans un jardin.

Se loge mystère en toi, cette psalmodie.

Le père est assis sur une tondeuse et effectue de larges courbes.

Il décroche une pendue dans la maison voisine.

Tu ne veux pas d’enfants.

Il dit : « tu m’étouffes ». Ça te suffit.

L’enfant se traîne en pyjama.

Tu t’allonges sur la liseuse.

Tu rêves qu’on livre du lait à la grille.

L’enfant se blottit contre la chienne noire.

Le figuier sue un jus blanc.

Sur le terrain s’accrochent les poussières du marbre poncé.

L’homme étale la magnésie nuisible à la roche.

Les générations passent les bornes.

Le père serre des mains sociales.

Possède une carte affiliée à un parti.

Les réunions où il se rend ne sont pas des réunions où l’on parle à plusieurs.

La poignée réduite du portail gris poli reste dans la paume de l’enfant.

La maison est sans cloisons.

Les étrangers de la ruelle retournent la terre pour planter des choses que l’on n’achète pas.

Dans le square l’enfant aime croire qu’il est seul.

La ronde des remparts, il l’emprunte protégé par de petites pierres.

Les pères construisent des machines et montent sur les manèges métalliques.

Six secondes l’enclenchement d’une pensée sans être sauvé.

Il faut appuyer sur la transaction.

Cinq tu es en vie. Six ...

La stratégie du mikado éclate en cent attaques.

Ils se battent au réveil, des aiguilles aux halos.

Ils sont les chefs et actionnent la lutte.

Ils libèrent des mômes ailleurs.

Six

Le père figure sur une photographie.

Il a une barbe et des cheveux blancs.

Le père : « je suis seul ».

Tu te souviens que le père n’est jamais seul, il a toujours une femme à ses côtés.

Tu es sans voix.



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1ère mise en ligne et dernière modification le 13 avril 2014.
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