Ana Ressouche | Brison

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Ana Ressouche a fini d’hiberner et habite une maison à construire. Son blog : l’archipel des mots

Elle avance entre les deux battants de la grille. Autour le feuillage dense, haie pas trop taillée aux bras grimpant sur les tiges de métal, passer devant la porte du garage, ses étagères emplies de vieux vélos, de trucs, de choses, essence, humidité. Les petits graviers crissent, les plantes grasses croissent, amas de formes fractales et plus ou moins obscènes, vert sombre, entassées sur un fin substrat de terre dans des creux de roche dont on ne sait trop si ils ont été creusés ou non pour elles. La porte est là, peut être ouverte, peut-être rouge, avec une vitre dépolie au milieu, là où à Noël, une fois au moins, elle se souvient avoir vu sa mère accrocher une couronne de sapin ornée de bricolages d’enfants. On n’entre pas, à l’intérieur il fait froid, elle continue vers le jardin car c’est le jardin qu’elle a envie de revoir, le jardin qui descend, jardin étagé, jardin d’été et d’hiver. Sur sa droite elle ne prend pas les quelques marches qui mènent au petit balcon dont la colonnade court le long du mur et s’arrête à l’angle, le petit balcon d’où l’on voit le lac, petit balcon qui donne sur la porte de la loggia où l’on mange en été des cracottes avec du beurre et de la confiture, elle descend, passe devant les fenêtres à demi enterrées de la cuisine du bas, arrive à la porte de la loggia du bas, à l’intérieur de laquelle il y a ce transat dont le tissu représente une mobylette et qui a la particularité de pouvoir se balancer d’avant en arrière, et sur son chemin lorsqu’elle passe l’angle de la maison il y a encore ces petits graviers blancs et gris, un massif touffu de plantes le long du mur dont son grand-père aimait s’occuper, parmi lesquelles un bananier qui ne porta jamais de fruits, des campanules, et diverses autres essences inconnues qui se distinguent à peine les unes des autres. Tout au bout, à droite du grand buis-cabane, c’est l’escalier moussu qui mène à l’atelier, et à cette grande table de bois où vient se visser l’étau.

proposition n° 2

La façade de la maison est élevée d’un étage, mais on ne voit distinctement que le rez-de chaussée, car on manque de recul. Une porte est là, entre deux supports destinés à des plantes grimpantes qui n’y grimpent pas beaucoup, au dessus d’un petit perron (une ou deux marches). De part et d’autre de la porte, des bacs de pierre imitant la roche portent des plantes grasses. A droite, une porte-fenêtre donne sur une pièce dont on ne distingue pas l’intérieur. Les volets, de fins volets métalliques, sont ouverts. Plus loin, une large porte de couleur sombre – un garage. Le crépi de la façade devait à l’origine être d’un jaune pâle joyeux, il a terni. Au sol, des graviers de forme oblongue, lisses et doux, mêlés à une terre poussièreuse. A gauche de la porte d’entrée, le mur continue sur 5 ou 6 mètres, à demi couvert pas une plante grimpante, mais ne présente pas d’autres fenêtres avant l’angle.

proposition n° 3

Une porte métallique étroite entourée de hautes verdudes -– binione, chèvrefeuille ou simplement lierre, ou bien tout cela mélangé –- et les deux petites tourelles de pierre qui l’encadrent de part et d’autre, surmontées d’un petit chapiteau carré, cachées à demi par les feuilles, l’été. Derrière, la route que l’on aperçoit à travers les barreaux de la partie haute de la grille, la route avec le virage dangereux en descente qui aboutit juste devant la grande grille donnant sur le garage, le virage que l’on peut observer dans un drôle de miroir déformant pour savoir si la voie est libre, le miroir posé là, un peu en hauteur, en face du mur qui monte vers la maison d’en face, maison un peu fortifiée avec ce haut mur sans fenêtre donnant sur la route, et entre le mur et la route pas de trottoir, on ne marche pas le long de cette route. La maison d’en face est occupée par un couple que l’on ne voit jamais. On aperçoit le bord du toit de leur maison au dessus du mur. Un petit escalier de pierre et une porte. Il doit y avoir un garage quelque part, plus loin sur la droite ou sur la gauche. Des voitures passent le jour et la nuit, des motos, des vélos parfois. Les feuilles des plantes grimpantes qui couvrent les grilles tremblent lorsque les voiture passent, le vent des voitures les fait trembler, et on entend les conducteurs passer la vitesse inférieure à cause du virage, puis très vite le bruit s’estompe alors que les feuilles tremblent encore.

proposition n° 5

Le tout petit port de Mémart, même. Là c’est peu profond, ça plonge doucement avec des arbres têtards le long de la digue, aux jumelles on ne voit que quelques petits bateaux cachés entre deux bosquets de roseau, une jetée. Mais il est difficile de parler de jetée à Mémart, c’est timide, c’est plutôt une aspirée qui pointe timidement vers le lac. Remontons ensuite les canalisations pour arriver à la station d’épuration de Brison, récente, de forme géométrique, autour de laquelle l’eau se décante de bac en bac, station d’épuration plate qui s’étale en quatre directions, comme le ferait une rose des vents placée là pour dire ici le vent d’Autan, ici le Mistral, ici la Tramontane, ici le vent du Nord. C’est le vent du bord qui souffle le plus souvent par dessus le lac, le vent du bord du lac, celui venu du bord opposé, souffle ou brise, qui fait glisser silencieusement des nuages de rides d’un bord à l’autre à la surface de l’eau. Brison ce n’est pas juste « Brison », c’est « Brison-Saint-Innocent », comme on dirait « Brûlon-Sainte-Ursule ». Saint-Innocent possède une route, et une pointe. Sur cette pointe il y a un arbre. La pointe s’appelle par erreur de dyslexie la pointe de l’ardre. Saint-Innocent ne connaît pas son alphabet, mais ses mains sont pleines de galets. A la plage on hume le goût de terre dans l’eau, on se tord les pieds, on ramasse les capsules de canettes de bière écrasées par les voitures pour les mettre dans les distributeurs de balles rebondissantes.



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1ère mise en ligne 25 juin 2018 et dernière modification le 26 juin 2018.
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