contribution auteur | Danielle Masson

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Elle aime écrire, elle aime faire écrire les autres.
Dans sa campagne en Provence verte, elle n’a jamais le temps de s’ennuyer : il manque des heures à ses journées.
Car il en faut du temps pour regarder s’épanouir la nature et tous ses trésors.
Elle s’appelle Danielle mais signe 32 Octobre.
Son blog à l’abandon : jetons l’encre

Ses contributions à l’atelier ville.

Propositions 1 _ 2 _ 3 _ 4 _ 5 _ 6 _ 7 _ 8 _ 9 _ 10

proposition n° 4

Arthur Pleureur est intarissable.

Cela aurait pu avoir lieu à cet endroit. Les coordonnées auraient été GPS 48° 0’ 21.996" N 0° 11’ 58.402" E mais cela aurait été un souvenir d’enfance. Un peu lointain et surtout un peu trouble et peut-être enjolivé. Cela aurait pu être aussi là, avec les coordonnées GPS du repère de la carte : 47° 40’ 47.654" N 0° 27’ 4.99" W. mais non, cela n’avait pas été possible. Cela aurait peut-être pu causer des troubles dans la vie familiale. Alors, c’est là et c’est aujourd’hui et hier et demain et avant-hier et après-demain. Oui c’est bien là. Noter exactement les coordonnées GPS du lieu où va se dérouler l’action : 43° 26’ 30.559" N 5° 50’ 46.464" E. Lui connaissait, avait connu et était là aujourd’hui comme hier et demain et plein d’après-demains. Il avait un nom, dont parfois encore on se moquait : Arthur Pleureur. Que de mauvais jeux de mots avait-il entendu mais les percevait-il encore ? le lieu était toute sa vie. Un petit hectare pour paradis des deux et quatre pattes : c’était cela qu’il avait espéré, essayé d’obtenir depuis si longtemps et maintenant qu’il lui appartenait, il y passait ses jours et ses nuits quand son capitaine lui laisse quelque répit. Ses rhumatismes, son arthrose, sa jambe un peu folle, souvenir d’une poursuite qui avait mal tourné pour lui… il les oublie car tous lui donnent tant.

Pour en savoir plus sur lui, il va suffire de mener l’enquête auprès de ses protégés. Mais pour cela, il va être nécessaire de ne pas oublier vêtement chaud, bonnet, écharpe et bottes, si le temps est au froid. Sinon, allons ne perdons pas de temps, il y a du monde à voir. Certains coquelinent, cancanent ou crétèlent. D’autres braient ou chevrotent. Les derniers palabrent, jasent ou jabotent. Une belle brochette de sons se mêle aux chants des oiseaux. Il faudra du temps pour recueillir le récit de chacun. Un Nagra fera très bien l’affaire ; acheté sur un coup du cœur lors d’une vente aux enchères, il damnera le pion à l’enregistreur du téléphone portable. Celui-là servira juste à prendre les photos de chaque protagoniste. Un cahier à spirales et à petits carreaux complètera parfaitement votre panoplie de reporter. Au passage, heureux quatre-vingt dixième anniversaire au plus célèbre d’entre eux.

Arthur Pleureur pourrait tout vous raconter mais il préfère que vous découvriez tout tout seul : il vous mène, vous guide, vous laisse vous approcher, vous dit de vous méfier en vous prévenant que personne n’est dangereux mais parfois un peu collant et imprévisible. Un de ses pantalons s’en souvient et aussi son pull rouge auquel il tenait beaucoup. Socrate l’a tiré un matin, le foin ne devait pas mis en place assez vite, il avait un peu les crocs et a dû le pendre pour quelques carottes. Arthur en aurait des choses à vous raconter mais il préfère que vous découvriez tout grâce à ses fidèles qui n’ont pas leur langue dans leur poche, façon de parler bien sûr. Il peut vous être certifié qu’aucun kangourou ou wallaby n’est abrité dans le lieu. Arthur Pleureur , lui, vous parlera de petite maison, de poulailler, d’abris, d’arrosage, de graines, de paille, de foin. Il sera internissable.

Pour ne rien oublier, il le sait, il y a les mots et les photos. Il prendra le temps, cet hiver, il se l’est promis, de faire un calendrier avec douze pages qu’il offrira - il faut se dépêcher, un calendrier s’offre avant le 1er janvier mais pas après le 30. Il fera aussi une compilation de tous ses textes et de ses recherches sur le lieu. Il écrira sur sa tribu, sa grande tribu. Plus qu’à se mettre au travail. En avant toute !

proposition n° 3

Se lancer à la poursuite du mythe de Prométhée après l’écoute de Transmissions avec Sylvain et Philippe Tesson et avec en fond sonore Angélique Kidjo et son « Lonlon » envoutant, difficile mais porteur…

Il rapporte l’histoire de cette cheville en quatre variations :

Selon la première, la cheville était celle de la jambe droite qui heurta une jardinière où s’épanouissaient encore des fleurs de chrysanthèmes rosées en ce jour de décembre.

Selon la deuxième, la tête qui aurait dû commander la dite jambe avec au bout la cheville devenue meurtrie était plongée dans le texte racontant les aventures d’un certain Jeffrey Aspern.

Selon la troisième, le cri émis lors du choc le fit sursauter lui-même et ne parlons pas des habitants du potager qui soudain se turent.

Selon la quatrième, la cheville souffrit mille martyres plusieurs jours et ne fut soulagée que par l’hypnose : inspirer, expirer, inspirer, expirer et la douleur, enfin, s’envola sur les ailes du papillon rouge apparu comme par miracle.

Mais il demeura ce rappel à l’ordre continuel.

Les quatre variations essaient d’en cerner le mal. Comme il existe vraiment, il doit finir grâce à une cane à pommeau argenté ciselé. Plus classe qu’une simple béquille ou cane anglaise !

proposition n° 2

« Ai-je donc l’air si mauvais ? pensa Maïakovski, et il sourit à la petite vieille. Puis il lui dit : n’ayez pas peur, je ne suis qu’un nuage et je ne demande rien d’autre que descendre de ce train. »

Aurait-il aimé écrire dans un texte juste à la page 66 cette phrase qu’Antonio Tabucchi glissa-t-il à la page par laquelle Olivia de Lamberterie commençait systématiquement les livres qu’elle lisait.

C’était obligatoire. Il commencerait ses écrits toujours à la page66.
Pas de page avant. Inutile

Non, mais nécessaire s’il voulait respecter ce qu’on lui proposait aujourd’hui.

Pourtant, un bout de récit c’était frustrant, navrant, ahurissant.
Cela servait à quoi. Oui à quoi ?

L’histoire doit être complète sinon cela n’a ni queue ni tête et cela troue le cœur.

Tant pis, il se lança, inscrivit en haut à droite, page 66 et cela aurait pu donner cela :

Moi, Clotilde, je suis celle qu’on surnommait à l’école, du temps de la photo de classe, « la rochonne ». J’ai été aussi Grincheux. Cela me mettait encore plus en colère. Personne ne se rappelle si mes yeux étaient pétillants de malice et pourtant ils l’étaient mais j’aimais mon attitude de toujours révoltée ou bougonne. C’était moi.

Moi, Clotilde, je suis celle qui n’a jamais oublié Sophie. Je n’ai pas la mémoire courte.
Je me souviens aussi d’Alice, qui deviendra je crois comédienne mais je peux me tromper. Il y a eu aussi de loin en loin des rencontres avec Myriam, Joelle, Catherine, Annie mais il n’y eut plus Finette, partie trop tôt mais qui restera comme un caillou dans ma chaussure.

Sophie est devenue musicienne. Elle deviendra célèbre et enregistrera quelques disques, qui ne sont jamais loin de moi. Moi, je m’essaie à la poésie mais comment rivaliser avec Rimbaud. Pourtant, j’aimerais tant être publiée.

Oui cela aurait pu être cela la création du début, de la fin de ce bout de texte écrit qui n’a pas été fini comme tant d’autres qui dorment dans son tiroir, sur son cahier, dans son disque dur…

Mais cela aurait pu être aussi ce morceau de texte avec page 66, inscrit au milieu en bas de page :

« Elle avait reçu ou vécu, il ne sait plus, si extraordinairement longtemps, elle voudrait bien mourir rien que pour changer… »

Et juste à ce moment-là son pied heurta une jardinière de chrysanthèmes et un cri retentit… un cri de douleur… il en était à la page 50 du roman court de Henri James, Les papiers de Jeffrey Aspern.

— Depuis le temps que je te dis de ne pas lire en arpentant la terrasse, voilà ce qui arrive quand on s’essaie à une mise en voix d’un texte. Depuis le temps que je te le dis. Tu as mal ?

— Un ta g… ! retentit presque aussi fort que le cri précédent

Et voilà des bouts de textes qui ne veulent rien dire où il manque un avant, un après.

Ils leur manquent une vie sur des pages blanches, au texte bien aligné, avec un retrait de première ligne, des numéros de page et une couverture. Oui une première de couverture avec un titre qui le fera connaître, une quatrième de couverture avec sa photo mais de dos et un résumé, un court résumé juste pour donner envie.

Tout d’un coup, il pense oui ! il y a celui-là de texte qui le tarabuste depuis si longtemps, qui le poursuit, qui le pourchasse, le numéro de page, la 66 en bas à droite, bien en évidence :

Là,
Nos pas étaient lourds, nos chaussures n’avaient plus d’ailes pour nous faire courir,
Notre cœur battait lentement et ne battait plus la chamade,
Nos mains ne se tenaient plus, elles étreignaient un mouchoir trop humide pour sécher nos larmes

Nous n’allions pas nous cacher au cimetière Saint-Nicolas
Nous allions nous recueillir et pleurer Finette.

Nous ne la connaissions pas beaucoup.
Nous nous étions perdues de vue.

Mais tout d’un coup, nous eûmes la certitude que c’était Firmin qui avait fauché Finette.

Mince, ce n’est pas cette page 66 qui le fera connaître. Il lui faut écrire les soixante-cinq premières. Insurmontable.

Et Rimbaud qui continue dans sa tête le voyage avec le Petit Prince, de qui suis-je le fils ?

Non, il ne va se prendre pour Pierre Michon. Non mais il va aligner ses lignes, il veut en savoir plus sur celui dont il a fréquenté la chambre ou presque à la Conception à Marseille. Il veut mettre ses pas dans les siens.

Il veut être Rimbaud, Clotilde, Finette et tant d’autres.
Il veut mille vies.

Non soudain, il se rappelle qu’il veut être lui, il veut revenir là où il aurait dû être, à la page 66 de l’opus où il se prenait pour qui déjà ?

Je suis né avec le siècle dernier et j’en ai habité des maisons mais je n’ai appartenu qu’à une seule famille. La maison, dont je me souviens le plus, fut longtemps la dernière sur la grande route. La maison était toute en longueur. Pour aller dans une pièce, obligation de passer de pièce en pièce ou alors passer par l’extérieur était possible, qu’il pleuve ou qu’il vente. Je trônais face à la porte de la pièce principale.

Je n’étais pas bien grand. Attendez, je me souviens de mes mensurations : 80 par 40 par 20.

Imaginez-moi. J’avais un balancier tout rutilant. Mes chiffres étaient noirs et romains.
Pour compliquer la tâche de tous les enfants qui m’ont admiré, mon artisan créateur n’avait pris la peine d’écrire que quatre nombres 12, 3, 6 et 9 et en plus, comme je vous l’ai déjà précisé, le tout écrit en chiffres romaines, XII, III, VI et IX.
Imaginez leur détresse quand ils me regardaient.

Impossible de repérer facilement l’heure du goûter. Trop compliqué.

Et il reste planté là devant tous ces bouts de texte qui le hantent et lui susurrent à l’oreille :

— Quand nous finis-tu ? Dépêche-toi. Nous ne voulons pas finir dans un feu de joie quand tu vas disparaître. Ceux qui resteront ne sauront pas achever tes livres jamais finis. Laisse une trace de toi dans leur tête et peut-être dans leur cœur.

Dis, eux tes petits-fils aimeraient peut-être savoir ce que tu avais dans la tête…

proposition n° 1

Une véranda aux montants et soubassements en tôle noire, aux baies vitrées dans lesquelles se reflète le paysage à l’infini, une voûte en pierres avec un crochet planté dedans.
Un crochet sans rien au bout… pour qui ? pourquoi ? pour une lanterne chinoise ornée d’une tête de bonhomme de neige à la carotte démesurée en lieu et place de nez.

Trois tableaux rectangulaires alignés sur un mur blanc, trois rectangles colorés en leur centre. Rouge, bleu, vert et pourquoi pas bleu, rouge, vert ou encore bleu, vert, rouge. Manque que l’escabeau pour en changer l’ordre ou le désordre.

Un crayon, un cahier… un clavier, un écran… une idée, un cerveau… un début de nouvelle ? quelle nouvelle ?

Un potager clôturé recouvert d’un filet vert ; trois maisonnettes en bois, la plus petite blottie contre la plus grande ; un trou dans une grille de fenêtre pour se glisser dans le garage attenant et surtout des volatiles qui coquelinent, cancanent et crétèlent.

Une terrasse en bois, des lattes disjointes, des jardinières dont une assassine d’un pied : toute une histoire non plutôt une nouvelle en devenir.



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1ère mise en ligne 26 décembre 2018 et dernière modification le 28 décembre 2018.
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