le roman de Marie-Caroline Gallot

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20. Les parpaings jaunes


« Enfin il fut devant le Ver Meer, qu’il se rappelait plus éclatant, plus différent de tout ce qu’il connaissait, mais où, grâce à l’article du critique, il remarqua pour la première fois des petits personnages en bleu, que le sable était rose, et enfin la précieuse matière du tout petit pan de mur jaune. Ses étourdissements augmentaient ; il attachait son regard, comme un enfant à un papillon jaune qu’il veut saisir, au précieux petit pan de mur. " C’est ainsi que j’aurais dû écrire, disait-il. Mes derniers livres sont trop secs, il aurait fallu passer plusieurs couches de couleur, rendre ma phrase en elle-même précieuse, comme ce petit pan de mur jaune". »
Marcel Proust, La Prisonnière

Chercher le petit pan de mur jaune dans le tableau des insomnies. Accrocher du regard cette bouée de sauvetage en forme de petit pan de mur jaune bien à soi. Faire des fouilles, le remonter du souterrain, épousseter, expertiser, se faire archéologue malgré soi. Angoisse de ce qu’on va trouver. Vestiges bien enfouis ressortis à grands coups de pelle et de truelle. Chantier douloureux, salaud de petit pan de mur jaune. Dans l’histoire il n’est plus jaune, il est jauni, couleurs affadies, trop de machines à laver. Pourtant il s’est construit sans qu’on le voit, work in progress bien planqué. Il s’est érigé dans le dos, on fait bien des enfants dans le dos, lui c’est pareil. Imperceptiblement les parois écartées se sont soudées, la cicatrice s’est cousue, le gouffre s’est rebouché, comme des parpaings qui viennent obstruer une fenêtre qui ne sert plus. Lui il est venu panser une chair ouverte qui appelait une suture. Coup de truelle pour reboucher le trou, coup de pinceau pour empâtements. A l’œil nu on ne voit pas que se mélangent, sous les couches de peinture, le carton-pâte, le pain d’épice, le bitume froid, l’asphalte nu, les pneus de voiture et les miettes de soi.

 

19. Extraits de son Journal – Année 2014- Septembre à février.


proposition de départ

Je suis tombé sur son journal. Je partageais sa vie mais je ne pensais pas qu’elle tenait un journal. Elle qui consignait des faits toute la journée, c’est étonnant de le faire aussi en privé. Enfin j’imagine que ce n’est pas pareil. Je ne sais pas. Aujourd’hui elle n’est plus là.

Jeudi 22 septembre

J’ai encore rangé des vies. Cela les rassure, ne savent plus s’entendre. Me sens diapason malgré moi, malgré eux aussi. Parfois j’ai envie de leur casser la gueule avec ce qui serait un bon gros diapason-masse. Comme quand on enfonce les piquets d’une clôture. Je me souviens, enfant, quand on faisait ça avec papa. Je tenais le piquet, cela tremblait, mais je maintenais, il lançait des grands coups de masse, poteau après poteau. « Un vrai garçon manqué v’ote fille », qu’il disait le voisin. J’avais envie de lui casser la gueule.

Mercredi 15 octobre

Parfois je me demande si je ne devrais pas changer de boulot. Le prestige imaginé n’est pas au rendez-vous. Tout ce temps passé à griffonner des banalités au Bic- et encore, ces temps-ci, j’ai une greffière efficace. Prix du Mac de Madame ? 2500 euros. Elle s’emmerde pas celle-là, moi avec mon Bic bleu je fais pitié. Je crois qu’elle est prof ou instit, je ne sais plus, consigné dans le dossier, laisser les dossiers au palais, cloisonner, je n’y arrive pas vraiment. Déposer ici ce qui vient. Va-et-vient.

Lundi 10 novembre

Quelle salope celle-là ! Certains jours, rester impassible est difficile, mais j’y arrive. La Merteuil, lettre 81- j’essaye de l’imiter. Le coup du bâtard me met toujours hors de moi, rapport à mon grand-père, il en a souffert. Je bous, mais dans mon for intérieur- mon voisin de classe en CM2, il se trompait toujours en dictée, il écrivait for comme fort. Enfin il était un peu nul en tout, beaucoup de fautes, me demande ce qu’il est devenu. Doit travailler à l’usine du coin.

Jeudi 25 novembre

Grosse affaire, éprouvante, accident, à qui la faute ? Intersection de vie broyées. Choses de la vie. Le pauvre type. Parfois, les histoires que je consigne dans la salle F22 troisième sous-sol ont des airs de film. C’est rare, mais ça arrive. Road movie, love story, horreur. Tréfonds. Le week-end, je ne regarde que des comédies musicales, ça m’apaise.

Vendredi 12 décembre

Parfois je ne comprends pas mon frère. Me parle de trucs qui me dépassent, comme son bouquin de presque 1400 pages, j’ai oublié le nom de l’écrivain, ça commence par un B je crois, un titre en chiffres. Bien incapable de me souvenir, il est un peu perché mon frère, mais je l’aime bien quand même, ça me sort du palais.

Lundi 4 janvier

L’année a recommencé en ronronnant, histoire banale, dégueulasse mais ordinaire, pas dans l’ordre de l’acceptable, dans l’ordre du monde comme il va, cahin-caha. Intrusion, viol, vie qui se vident, condamnation, damnation. Besoin de prendre l’air. J’étouffe.

Mardi 12 janvier

Nous avons signé chez maison Phénix®, c’est sérieux, s’occupent de tout, le palais me prend trop de temps. Romain aussi, très occupé, gestion de start-up et tutti quanti. Peu contrariant sur les détails, disposition, carrelage, papier peint, on a pris le pack all inclusive, pas à choisir. Son seul souhait est de pouvoir se reposer dans un canapé blanc, en cuir. On ira chez Cuir Center®.

Jeudi 1er février

Je n’ai jamais aimé me maquiller, ou peut-être jamais su, impressionnée par une mère eyelinerisée à la Gréco. Je crois que ça m’a coupé le trait. Les ongles, pas mieux, besoin de les ronger. Souvent je n’écoute pas vraiment, je consigne méthodiquement les faits, robot, automate de palais, que sais-je, la routine. Mais pendant que les doigts pressent le Bic, les yeux se posent sur les visages, j’aime observer le détail, comme ce matin, le coup de lame du rasage raté, oui, il devait être angoissé à l’idée de venir, antre de la justice, pas perdus, vie brisée, lame qui ripa. Petite cicatrice.

Trouvé ce personnage de juge, qui revient dans les textes, point de vue distant face aux vies qui défilent, impression que l’ensemble s’unifie…

18. Dans de beaux draps


« Ici, les lecteurs vont dire : « Qu’est-ce qu’il lui prend ? Rien ne s’est passé, puisque rien n’arrive. » Alors que ce qui est arrivé est ce qui s’est passé. Et, quand plus rien n’arrive, l’histoire est vraiment hors de portée de l’écriture et de la lecture. »
Marguerite Duras. « La Pute de la côte normande. »

Ce qui est vrai : que les draps furent lavés. D’habitude tout passe à 40° malgré les recommandations sur l’étiquette, mais ce jour-là, 60°. Si 90° n’avait pas présenté un risque de rétrécissement, on aurait opté pour. Programme, hublot, pas beaux. Ils auraient pu être jetés aussi, mais au prix des parures de lit, s’en débarrasser aurait frisé le luxe. Les capsules avec adoucissant intégré placés au cœur du désastre, pour l’assouplir. Se mettre dans de beaux draps. Pourtant ils n’étaient pas blancs. Bicolores. Et puis de toute façon plus personne ne va à la messe. A combien il met la machine dans la chanson ? Faites bouillir, oui ça bout. Et puis de toute façon dans cette histoire vraie on ne recherche pas le rose initial, la joue reste pâle point barre. Joues d’Albertine, désir du baiser, à la machine aussi, programme court. Ce qui est vrai c’est qu’Albertine est enrhumée ce jour-là. Elle aurait pu dire qu’elle était enrhumée, elle aussi, mais elle ne dit rien. La machine tourna, roula, emballa, l’affaire est dans le sac. On y place les sous-vêtements, pour les protéger du roulis, va-et-vient, bringuebalement, balle à linge.

Codicille : ai cherché un fait vrai comme concret… avec des airs dans la tête, de la machine à laver aux joues d’Albertine… pleines de détails pour de vrai.

17. Pas de


proposition de départ

Pas d’une fin ouverte, pas de confort diégétique, labyrinthe, Thésée au fil coupé, Ariane sur liste rouge. Identification rangée à la cave. Inutile de préciser Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé est purement fortuite. Vieux débat. Pas trop de lumière, juste une petite veilleuse, une de celles qui rassurent un peu les enfants quand ils ont peur du noir, mais qu’on éteint quand ils sont endormis. Un livre ouvert du dedans. Du dehors, verrouillé, il ne faudrait pas qu’on puisse sortir avant la fin. Pas de failles visibles comme quand on prévient « attention à la marche », non : failles des maisons fantômes de parcs d’attraction. N’y aura pas de titres aux chapitres, on se reposerait dessus, pas un manuel. Pas maniable, mais traduisible. Pas de notes de bas de pages, il tiendra tout seul, sans appuis, apesanteur, vertige, je ne sais pas, les notes de bas de page je ne sais pas les insérer, je ne sais pas les lire bien, j’en ai peur, viennent stopper l’élan, imposer le rythme. Pas de livre à saccades, pas de heurts. Repos.

Codicille : j’ai toujours admiré Bergson parce que ses textes sont si clairs qu’il n’y a pas ou très peu de notes de bas de page. Pour le reste, intuitions sur un livre à l’état de non-être.

16. Notes du traducteur dans une langue à venir


proposition de départ
1

Les titres des chapitres sont un ajout posthume, un petit carnet intitulé liste de titres ayant été retrouvé par des proches et confié à nos soins pour bon usage.

2

L’appellation coca zéro fut depuis remplacée par coca sans sucre. « Pour ceux qui s’interrogeaient sur la disparition de Coca-Cola zéro sucres, rassurez-vous, il est toujours là ! Si son nom a changé, la recette et le goût restent exactement les mêmes. Seulement ne dites plus Coca-Cola zéro sucres, mais Coca-Cola sans sucres ! » Source : site Coca Cola France. https://www.coca-cola-france.fr/nos-actualites/nos-actus-marques/coca-cola-zero-sucres-devient-coca-cola-sans-sucres

3

La dénomination crayon pour les yeux n’est pas retenue, par risque de confondre l’eye liner avec le crayon Khol découvert en Égypte avec le tombeau de Toutankhamon. 1920.

4

Sandwich triangle, que nous avons choisi de traduire par club sandwich, avec du pain de mie ou du pain polaire. Ne doit pas être confondu avec le dagobert, sandwich belge aussi appelé club, mais composé d’une baguette garnie. Forme différente. Contenu identique.

5

Se carapater : dér. du m. fr. carre « coin », xves., Gréban ds Gdf., lui-même déverbal de carrer* « donner une forme carrée » et de patte* ; dés. -er. Source ; TLF. La traduction oblige à vider le terme de tout visuel.

6

Nombreuses références à 2666 de Roberto Bolaño. Les numéros de page renvoient à l’édition française de 2008. Folio. Voir aussi intervention de l’auteure, actes du colloque des 9 et 10 octobre 2003, Paris IV.

7

De l’ancien français bastard, latin médiéval bastardus. Surnom attribué à Guillaume le Conquérant, « origine obscure » du mot. Source : Dictionnaire historique A. Rey. Nouvelle édition 2016. Traduction en un mot impossible.

8

L’Alfa Romeo Giulietta Sprint n’est plus produite depuis 1965.

9

Peu de précisions. Faux ongles en gel, en acrylique, en capsules, ponçage, nail art, à faire poser ou à coller soi-même.

11

Le cas du for intérieur est complexe, car il renvoie à une problématique morale dans laquelle nous ne pourrions pas nous aventurer ici. Nous avons préféré conserver le terme malgré des hésitations à le traduire par conscience morale, ou encore conviction. Comprendre : lieu de l’intime assurance.

12

La bobinette cherra, c’est comme Sésame, ouvre- toi, on ne traduira pas.

Codicille : Des difficultés à. Contre notes.

J’ai toujours eu peur des notes de bas de page. J’ai mis longtemps pour savoir comment les insérer sur Word, pour les travaux universitaires. J’ai beaucoup redouté, pendant mes études, de tomber sur une colle intitulée : la note de bas de page. J’ai été très mauvaise en traduction. Le pire, version latine. Je comprends mais je ne trouve pas le bon mot. « Traduttore, traditore », perplexité. J’admire les traducteurs. Claro m’enivre.

15. JAF


proposition de départ

Elle n’avait rien de ce qu’on peut s’imaginer de Madame la juge. Arrivée là parce qu’elle était studieuse, mais d’une sorte d’application sans passion. Ruée dans le droit, réfugiée dans les lois, les articles, les paragraphes, les alinéas, les décrets. Citer, se cacher derrière. Elle avait toujours détesté les concours de plaidoirie, l’éloquence, pas son fort. « Sa tête remue de gauche à droite ». Marionnette pas bête, pas belle non plus. Pas là pour ça. Cheveux gras, pourquoi ne les attachait-elle pas ? Vautrée dans un petit fauteuil, au fond d’une salle nue, elle écoutait sans envie des histoires d’hommes et de femmes, qu’elle vidait de toute leur épaisseur humaine, –celle qui avait gonflé avec les années, les amours, les disputes, les presque rien qui faisaient tout – pour les ramener à des réglages administratifs, pratiques, pragmatiques. Calculs de revenus rapportés aux charges, horaires de rendus d’enfants, partage de biens, qui garde le Mac, qui garde la voiture, qui garde le chien. Avec son Bic bleu, elle perçait insensiblement des ballons de baudruche. A la chaîne. Mécanique. Sans hic. Mais vautrée, « raide comme la justice », l’expression ne lui seyait pas, pas assez droite, trop indifférente, une indifférence qui commençait à lui tasser le dos, à lui appuyer sur les épaules. Un corps avec des sentiments en exil. Exit. On pouvait se demander si, sortie du petit bureau, elle riait. On pouvait se demander si elle savait arranger ses cheveux pour plaire un peu plus, les relever, dégager la nuque, ajouter un collier, pour peut-être rêver de se le faire enlever par des mains délicates. On pouvait se demander si elle jouissait souvent, si elle jouissait parfois. Non, cela ne colle pas. On a du mal à se demander, elle ne laisse pas de prise aux songes. Elle rentre tête baissée, elle fonce, pas envie de croiser des regards, bien assez vu des têtes, ils l’emmerdent tous. Viennent se plaindre, les cons. Réciter les lois, les articles, les paragraphes, les alinéas, les décrets : ses remparts. Le soir, elle enfile un jogging, deux tailles au-dessus, et sa veste polaire, trop grande aussi, peu importe. « Il en faut pourtant comme ça. »

Codicille : la consigne m’a d’abord fait penser à un passage, à un personnage chez Balzac : Poiret.

« Monsieur Poiret était une espèce de mécanique. En l’apercevant s’étendre comme une ombre grise le long d’une allée au Jardin des Plantes, la tête couverte d’une vieille casquette flasque, tenant à peine sa canne à pomme d’ivoire jauni dans sa main, laissant flotter les pans flétris de sa redingote qui cachait mal une culotte presque vide, et des jambes en bas bleus qui flageolaient comme celles d’un homme ivre, montrant son gilet blanc sale et son jabot de grosse mousseline recroquevillée qui s’unissait imparfaitement à sa cravate cordée autour de son cou de dindon, bien des gens se demandaient si cette ombre chinoise appartenait à la race audacieuse des fils de Japhet qui papillonnent sur le boulevard Italien. Quel travail avait pu le ratatiner ainsi ? quelle passion avait bistré sa face bulbeuse, qui, dessinée en caricature, aurait paru hors du vrai ? Ce qu’il avait été ? mais peut-être avait-il été employé au Ministère de la Justice, dans le bureau où les exécuteurs des hautes œuvres envoient leurs mémoires de frais, le compte des fournitures de voiles noirs pour les parricides, de son pour les paniers, de ficelle pour les couteaux. Peut-être avait-il été receveur à la porte d’un abattoir, ou sous-inspecteur de salubrité. Enfin, cet homme semblait avoir été l’un des ânes de notre grand moulin social, l’un de ces Ratons parisiens qui ne connaissent même pas leurs Bertrands, quelque pivot sur lequel avaient tourné les infortunes ou les saletés publiques, enfin l’un de ces hommes dont nous disons, en les voyant : Il en faut pourtant comme ça. »

Puis j’ai retrouvé un personnage secondaire dans mes textes, la juge de la #2 … et le codicille de ce texte 2, d’où à nouveau une petite phrase tirée de Thérèse Desqueyroux. Puis ai mixé tout ça, la mécanique de Poiret, la canne remplacée par le Bic et la casquette par les cheveux gras…Celle dont on attend tout pour soi mais qui n’a pas d’envergure qui puisse rassurer.

14. Saloperie


proposition de départ

À quoi cela aurait servi de toute façon ? À rien, à faire des histoires, on faisait toujours des histoires, je n’aurais pas supporté d’apporter une pierre de plus, ni même un grain de sable-grain à moudre — sur l’édifice des histoires, des histoires sales, ou des sales histoires, je ne sais pas quel ordre de mots irait le mieux, et puis de toute manière les mots mentent, en ordre ou en désordre. Les mots des vivants, de la merde en boite, pas façon Manzoni, non, des petites boites même pas recyclables, même pas exposables, même pas empilables pour faire beau dans la déco, rien. Peut-être que maintenant que je suis morte, je suis derrière les mots. L’envers du décor, le cul du mot, ce que le mot ne perçoit pas quand il marche, comme quand on est debout, encore vivant, sans voir ses fesses, mais qu’on avance. Maintenant je le perçois, le derrière, mots de morts, place sûre, pour de vrai, croix de bois, croix de fer, si je mens je vais en enfer, j’y suis déjà, même pas peur. Finie la vie de motus et bouche cousue, bien cousue. Ne pas pouvoir en découdre, tu te serais fâché, tu pouvais répondre, là tu ne peux plus, bâillonné sans bâillon, obligé d’écouter, je n’aime pas quand tu argumentes, tais-toi, écoute, tu n’as pas le choix, j’ai brûlé les bouchons d’oreille, de la mousse bien inflammable, ne cherche pas ils y sont tous passés. Je t’ai volé la vedette, je t’ai piqué ta mort, j’ai dégagé avant, même pas prévu. Tu as trop médité sur la mise en scène de la tienne, premier essai raté, nouveau joueur joue encore, à trop jouer on ne joue plus, jeux de mains jeux de vilain, tu restes, je pars, bien fait pour toi, je suis prem’s, tes mains de vilain ne te servent plus à rien. Range les, sors les écoutilles. Oreilles, ouvertes, en grand. Je suis la morte qui peut te dire que tu n’as jamais compris, je suis la morte qui peut te dire que tu as toujours voulu te montrer, sans savoir être -– espèce de monstre –-, je suis la morte qui peut te dire que tu as toujours voulu être le plus fort en passant pour le plus doux -– gant de fer main de velours, perdue dans les effets, raison des effets, renversement continuel du pour au contre, Blaise s’incruste dans la conversation–, je suis la morte qui ose te dire que tu n’as jamais senti -– esthète de téléréalité–, je suis la morte et tu es le vivant, rira bien qui rira le dernier. Je suis la morte qui rit–toujours avoir des vache-qui-rit dans le frigidaire -–, tu ne connais pas l’homme qui rit, tu as tort ça t’irait bien, cicatrice, rire pour de faux, grande balafre, Gwynplaine, lui, il a rien fait, c’est pas juste, c’est pas comme toi–. Oui, je suis la morte qui peut te dire que tu m’as broyée. Rideau, je retourne derrière les mots, avec mes morts. Tu n’es pas invité. On parle entre morts, tu n’entendras pas, plus de réseau là-haut, seulement droit à un appel, un seul, un dernier coup de fil, celui-ci, sur ton fixe, sur le fil, funambule, bout de ficelle, tire la chevillette la bobinette ne cherra plus, elle avait chu ce soir-là, saloperie de bobinette.

Codicille : partie d’un personnage de la 13, d’une vivante empêchée à une morte parlante. Une parole avec des échos de vieilles histoires, de bobinettes, de mots de cour de récré, de mots de grands, mots qui mentent et bouches qui se décousent.

13. le fait que


proposition de départ

Le fait que le souvenir du flanby que l’on gobe à la cantine pour faire rire les copains s’imposa, le fait qu’aux yeux des enfants le frigidaire ne contient jamais assez de produits lactés transformés type flanby, le fait qu’elle s’en voulait de penser au flanby alors que l’heure est grave, le fait que les heures graves on ne les planifie jamais alors qu’on devrait pour savoir bien les remplir, bien les jouer, bien les graver, le fait qu’il y a des noms gravés sur les stèles qui s’effacent parce que plus personne ne peut venir s’en soucier et qu’ils deviennent des noms qu’on oublie, le fait qu’en face à cet instant il y avait un corps étranger qu’elle voudrait oublier mais qu’elle ne pourra pas, le fait qu’on ne peut pas choisir ce qu’on garde et ce qu’on oublie, le fait que le refoulement la madeleine et Nietzsche avaient tous raison et tort et qu’au final on subissait les aléas de la mémoire, le fait qu’on s’en prenait toujours plein la tronche comme une grosse claque de souvenirs à qui on ne peut pas dire dégage, le fait qu’il fallait dégager la route le matin quand il avait neigé même quand on avait pas de pelle et se débrouiller avec un vieux balai trop mou pour chasser la neige, le fait que ses jambes furent ce gros balai trop mou pour le chasser, le fait qu’on disait toujours qu’il avait un balai dans le cul mais qu’on ne vérifiait jamais cette rigidité soupçonnée, le fait que l’Ère du soupçon ça rassurait parce que ça dégommait le « for intérieur » qui « n’avait été qu’un miroir à alouettes », le fait qu’il faisait toujours la faute en écrivant « fort » à la place de « for » parce que quand il était petit le maître avait décrété qu’il était nul en orthographe et que depuis il était devenu fort mais il se trompait juste sur for comme une trace nostalgique qui lui collait à la plume, le fait qu’elle adorait les passages où les Dalton sont punis avec du goudron et des plumes, le fait qu’elle s’était écorché les pieds sur le goudron et qu’elle aimait les punitions, le fait qu’on a mal quand on a pas envie, le fait qu’on ne parle bien que des choses qui ne font pas mal, le fait que de toute façon la douleur c’est relatif et qu’on pouvait dire « même pas mal » pour tromper l’ennemi dans la cour de récré, le fait qu’on était plus dans une cour de récré et qu’on ne s’arrangeait plus avec la douleur, le fait qu’elle rentrait sans frapper un peu comme les enfants des voisins, le fait qu’un enfant ça ne frappe pas ça entre et ça dit bonjour avec des dents perdues placées sous l’oreiller avec plein d’espoir, le fait que l’espoir fait vivre c’est n’importe quoi quand on y pense, le fait que de toute façon noir c’est noir, le fait qu’on changeait des titres de livres et qu’ils ne restèrent que dix, le fait qu’à dix il en manquait un pour faire une équipe de foot, le fait qu’ on joue avec les pieds mais que son pied est immobile alors qu’il devrait frapper l’entre deux jambes, le fait que l’Entre-Deux-Mers elle n’en achetait jamais alors qu’elle buvait beaucoup de vin blanc, le fait que la cave était propre mais vide et qu’elle se tut.

Codicille : a suivi la consigne parce que ça fait du bien de se couler dedans pour ne pas trop réfléchir, a pris le personnage de la 12,a pensé aux concaténations de la comptine « Trois p’tits chats , bouts de ficelle, chapeau de paille » etc.. A Pensé à un for intérieur qui s’écroule parce qu’il n’est qu’un leurre et que l’extérieur frappe trop fort.

12. Dans une cave propre


proposition de départ

Les larmes coulent à l’intérieur elles ne sont pas à partager avec un œil en face si serein alors bien gardées elles restent dans l’œil vide qui ne se pose pas et attend et ressent que pourtant dedans elles hurlent à grands flots les larmes en lames qui éraillent les paupières ces barrages qui tiennent bon contre la pression du flux

L’intérieur crie tiens bon seul allié cet intérieur planté là en face de l’ennemi extérieur pas à soi pas dans soi pas avec soi mais pourtant arrivé pas à pas à pas de loup alors il n’y a que ce maigre soi sur qui compter ce soi qui crie du dedans mais que personne n’entend à part elle

Déjà le surface trahit cet intérieur qui gémit déjà la chair se tend se mue épiderme chair de poule alors que même pas peur comme on disait à la récré foutaises qu’on ne peut plus croire plus dire plus entendre

L’extérieur immobile mais imperceptiblement aspiré poils relevés seins dressés nuque bloquée orteils croisés le gros sur le petit juste à côté sorte de réflexe pourtant inédit du pied

Mains opérateurs absents ouvriers en grève soldats terrassés par l’ennemi et son artillerie lourde tâche insurmontable les bras m’en tombent les mains avec de quoi leur en vouloir pas si compliqué une gifle mais non rien

Aucun secours des alliées du bas jambes traitres tétanisées tremblote généralisée œuf mi mollet aspics de cantine flanby caramel elle n’avait jamais aimé la gélatine pourtant

Les larmes se retiennent les paupières barrages résistent encore mais les pores ne se bouchent pas salope de peau tu peux pas te la fermer ne pas transpirer ne pas suinter rester ferme comme sur les photos de ces corps parfaits sans soucis sans blessures sans cicatrices sans traces bien secs même en mouvement non il faut que tu ramènes ta moiteur alors qu’on l’avait pas commandée

Rien n’était commandé ou plutôt tout en fonction de la perspective prise sur le corps à corps on disait toujours ça question de point de vue ça aussi tiens tu l’entends et tu te tais la cave est propre et le sens du silence n’est pas univoque

Codicille : cette semaine j’ai lu deux livres. Fille de Camille Laurens puis Chavirer de Lola Lafon. Cette semaine j’ai regardé la consigne de la 12 en 4 fois 8 minutes par ci 8 minutes par là. Pas eu le choix. Puis ces fragments de consignes se sont mis à faire écho à des scènes lues dans ces deux livres, avec des petits corps bloqués, à faire écho avec des fragments de vie entendus, lus, parcourus.

11. Manucure


proposition de départ

Non, elles ne savaient pas, elles limitaient leurs mains à des usages bien comme il faut, briquer la cuisine, porter une bague à l’annulaire gauche , ou au droit, pour celles qui étaient en attente de. De temps en temps, petit plaisir de la manucure, on variait les couleurs, les effets, avoir l’ongle chic, quoi qu’il arrive. Pas les mains sales. Mon dieu , non pas ça voyons ! Ça ne se faisait pas, le plaisir devait être avouable, devait être celui que l’on partage, celui de deux corps réglementaires, bien alignés, bien touchés, rien d’autre. Se retrouver face à soi effrayait-t-il à ce point les jeunes femmes ? Alors, elle leur expliqua. La serveuse ne prêtait pas attention à ce quatuor attablé, elle avait ses doigts à placer sous le plateau, elle, pas le temps d’écouter , pas le temps de laisser flotter les doigts, chacun à leur place les doigts, pour le parfait équilibre du poids de leurs verres vidés sans vergogne. Danser entre les tables, les mains bien hautes , des artistes de l’ombre qui vous faisaient place nette entre chaque plat. Les pieds aussi devaient souffrir, il lui fallut des chaussures confortables sans doute. Elles ne prêtèrent pas attention à la discrète équilibriste qui leur arrangeait la scène. Faisait partie du décor, incursions discrètes de ses mains , une assiette qui se pose, repart, s’empile, parfois se casse…Maladroite ! Toujours la faute d’une main, deux mains gauches, la gourde ! Alors oui, elles menaient cette conversation à voix basse, sur les voies souterraines. Non, jamais, pas de plaisir, pas comme ça. Des mains à jouir à l’arrêt, ou même pire, car pour arrêter il fallait commencer. Non, des mains jamais sorties de l’emballage, comme ces poupées que la mère n’avait pas le droit de sortir de leur boite transparente, pour ne pas les abîmer. Elle ne joua jamais avec, pas de traces dessus, pas d’empreintes, jamais attrapées, empoignées, bercées, caressées. Juste exposées sur un meuble, les poupées de la mère, quand elle était petite. Elle se dit que finalement, avec leurs doigts bien rangés, ses amies, oui parce que c’était malgré tout ses amies, étaient pareilles à ces petites poupées sous leur cloche de plastique. Pas de jeu, pas de plaisir, pas de contact de soi à soi, trop peur de ce qu’on trouverait dans les abîmes du désir. Il fallait soigner les surfaces. Reprendre par exemple la conversation sur les types de manucure, sur les meilleurs prothésistes ongulaires de la ville, les crèmes les plus efficaces, parce que quand même on commençait à vieillir, on avait plus vingt ans, les mains étaient un signe palpable, il fallait limiter les traces, les sillons, et surtout, ne pas explorer ces dangereux sentiers. Une exploration à deux doigts de soi, si proche qu’elles eurent peur, peut être. Il fallut leur tendre la main, un mimétisme abstrait, on était au restaurant, et les dessous de table c’était pas leur truc. Juste trouver les mots du plaisir, et espérer qu’un jour, leurs mains se déplient, se trouvent , s’extasient, et les fassent jouir.

Codicille : partie de cette images des serveuses aux mains discrètes et efficaces pour aborder une autre distraction discrète dans lesquelles les mains ont le beau rôle. Et puis en arrière-plan, comme pour les Maisons Phénix, les mains manucurées un peu comme les décors aseptisés…

9. Comme dans les livres


proposition de départ
« Ce serait une salle de séjour, longue de sept mètres environ, large de trois. A gauche, dans une sorte d’alcôve, un gros divan de cuir noir fatigué serait flanqué de deux bibliothèques en merisier pâle où des livres s’entasseraient pêle-mêle. »
Perec, Les Choses : Une Histoire des Années Soixante.

Oui bien sûr niveau hygiène, ils étaient réglos, ce devait être facile à désinfecter, un sol sans surprises, sans trop de pieds de meubles à soulever pour nettoyer. Dans un de ces placards laqués à poignée dissimulée, devaient reposer au moins un de ces aspirateurs autonomes, petit, rond, silencieux, et puis un autre, gros, bruyant, performant, qui lave et aspire en même temps. L’essentiel serait-il ailleurs, comme on dit ? Peut-être que s’il y a des livres, ils sont cachés ? Imaginer une cachette à livres la rassura.

Elle aurait au moins pu demander s’il fallait se déchausser, c’était plus correct. A croire qu’elle ne savait pas combien on y avait mis dans cette baraque. C’est simple, quand elle mange des gâteaux apéros, soit elle s’essuie sur elle, soit tout tombe par terre. J’ai peur pour mon canapé, le blanc c’est salissant. Manquerait plus qu’elle allume une cigarette. La dernière fois, des cendres plein la terrasse, imagine sur le carrelage brillant. Avec le froid qu’il fait elle va fumer dedans, ça va jaunir le mur. Heureusement avec l’appareil à vapeur, on pourra rattraper le coup. Bizarre qu’elle ne nous parle pas du nouveau tableau, il est accroché en face d’elle, elle aime bien l’art pourtant. Il est chic, un peu stylisé, on avait pas mal fouillé chez Confo. pour le trouver celui-là. Une bibliothèque ? Tiens c’est vrai, là dans l’angle entre le canapé et l’aquarium, pourquoi pas. Mais ça doit prendre la poussière, les livres. J’ai une tablette, ça suffit et c’est plus facile à nettoyer.

Aujourd’hui, sur les plans 3 D de votre future maison, vous pouvez même voir des personnages, vos avatars standardisés, souriant, posant, attendant, heureux d’habiter dans un lieu en plan, sans imprévus, sans traces, sans miettes. Toute lisse l’image, les visages aussi, pour mieux vous inviter à la projection, ici. Si l’on soulève le toit, un peu comme sur ces plans d’architectes, on peut les apercevoir, dans leur maison tout droit sortie du catalogue Maisons Phénix®. Conventionnellement assis sur un canapé en cuir blanc, attrapant et reposant de temps à autre leur verre de champagne sur une table transparente, presque invisible. Peu de mouvements, ils se regardent. Oui, une vie invisible, rangée, placards dissimulés. Vue d’en haut, rien ne dépasse. Vue d’en bas, sûrement pareil, peu de meubles sous lesquels oublier des poussières. Touche de couleur unique dans ce noir et blanc sans souffle : les petits poissons tropicaux. On aurait pu rajouter une étagère avec des livres, pour les couleurs des tranches. Il faudra y songer sur les futures brochures, ça leur donnera peut-être l’idée, qui sait.

Codicille : Choix de cet intérieur (4) pour les absences et le vide que j’y ai trouvé en écrivant la 8, puis des échos lointains venus des Choses de Perec (je suis dans le train je ne peux pas relire, je télécharge le livre après avoir tout écrit, et glane une phrase avant d’arriver en gare, je tombe sur cette bibliothèque….), le statisme Hopper (images en vrac, dans mon train qui défile à grande vitesse), et la Complainte du Progrès qui résonne… sans parler des intérieurs dans lesquels on est parfois sans voix, sans livres.

8. Vides et pleins


proposition de départ
extérieurs 1

Lieu d’exhibition autorisée. Les zones sans trace se faisaient rares, sur les corps comme sur les plages. Un tronçon de sable, sans vendeurs de glace, sans maillots de bains, sans seaux en plastiques , sans bouées colorées à face de licorne. Un presque rien de corps simplement nus, suffisamment éloignés les uns des autres pour ne pas avoir à subir les conversations , des distances respectueuses non imposées, simplement senties. Une mouette de temps en temps, pas très sauvage, pour le décor, histoire de faire plage, comme des mouettes en carton- pâte déposées exprès par une main bienveillante et habile qui lui fournirait un décor, pour de faux, pour la bercer dans son envie de dépaysement. Mais la nudité des corps dépayse bien plus que la mouette.

extérieurs 2

Quai de gare un jour de rupture, ouverture romanesque de sa petite vie sans grandeur. Tout autour, des spectateurs inconscients d’assister à un drame intérieur. La joie des visages, ces innocents coupables qui troublaient et animaient sa scène intérieure. Un transfert dans un lieu de transit, le choc des rythmes. Ronron mécanique et réglé des escalators impassibles, venant défier les piétinements empêchés des voyageurs pressés. Brouhaha continu , valse des corps qui cherchent à s’éviter mais se rentrent dedans, tout allait trop vite pour réfléchir. Un décor qui accule. Elle ne trouva pas son rythme, sur un quai de gare, un jour de rupture.

extérieurs 3

Vies en boite, existences en caisses, corps en bière. Silences. Même des dates qu’on distinguait à peine, corps aux oubliettes, plus personne pour les pleurer. Celui de la petite fille n’avait rien à faire dans cette rangée de graviers blancs, la troisième à gauche, avant dernier emplacement, juste à côté de la concession funéraire de la famille de l’ancien maire de la ville-hommage, dégoût, ironie d’un sort réglé trop tôt. Grande place pour ce si petit corps, on passerait le petit portillon rouillé et grinçant, on marcherait, respectueusement, dans l’allée centrale , avant de tourner, là-bas au fond, pour la veiller, pour fleurir sa mémoire, pour prier son âme, à genoux dans les gravillons blancs . Souvent, des enfants, ses amies sûrement, déposent des dessins que la pluie lave si vite qu’elle recommencent avec application, ces petites Pénélope qui ne verront plus la petite fille, celle qui repose là , troisième rangée à gauche, avant dernier emplacement.

extérieurs 4

Ils feraient les extérieurs plus tard, quand les tapisseries seraient posées et la cuisine bien équipée. C’était important de faire ses extérieurs. Discipliner la nature qu’on s’était offerte à crédit, pour bien montrer qu’on était chez soi, qu’on avait mis sa patte. « Le premier qui, ayant enclos un terrain, s’avisa de dire, ceci est à moi.. » Rousseau et fils, paysagistes, en Charente Maritime, un hasard pareil existait dans le bottin. Bien posséder son terrain pour qu’il se mue en ses extérieurs. Gravillonné, bétonné, terrassé, aseptisé, le sol ne respirerait plus. Peu importe, on y verrait clair . Pas comme chez les voisins, qui laissaient tout aller à vau l’eau. Lierre triomphant sur le crépi, pas de terrasse en teck , pelouse à trous, mauvaises herbes en bacs à fleurs et des poules partout. Il devait y en avoir de la fiente sur leur pelouse, c’était sûr, pas capable d’entretenir leurs extérieurs ces gens-là, des citadins qui ne géraient pas la campagne qu’ils avaient enviée, Bouvard et Pécuchet de mes deux . Eux, c’étaient des gens bien comme il faut, et cela se verrait sur les extérieurs. On demanderait des devis aux paysagistes, et si ça passait, peut-être même une piscine, avec un sol en Hydro Way®tout autour, paraît qu’avec ça, le sol respirerait quand même un peu.

intérieurs 1

Le mur noir brillant avait sûrement été choisi pour pallier l’absence de fenêtre. Seulement un petit velux, de la rue rien ne devait se voir. Corps pudiquement dénudés. Odeur de cire et de sueur, d’onguent et de crèmes aux titres prometteurs, garantie suffisante pour ressortir avec des corps modelés, renouvelées, redynamisés, rajeunis. Table médicale , lissages des chairs, spatules à dompter les poils résistants, pinces de précision, outillage d’un chantier sans cesse renouvelé.

intérieurs 2

La chambre qu’on ne décorerait pas. Interdite au chantier. La toile de Jouy bien sûr c’était vieillot, bien sûr les rideaux étaient jaunis, les cadres poussiéreux, depuis longtemps ça ne se faisait plus d’accrocher tous ces ancêtres statiques prenant la pose pour la photo de leur vie. Oui, mais tu refermeras la porte sans poser de question, et tu n’enduiras pas les murs de gris taupe, même si c’est à la mode et que tu veux tout casser.

intérieurs 3

Un Zinc à vies. Il avait dû en entendre des histoires. Un peu rayé, pas toujours propre, auréoles de verres croisant auréoles de vie . « Eh ! quoi ! vous ici, mon cher ? Vous, dans un mauvais lieu ! Vous, le buveur de quintessences ! Vous, le mangeur d’ambroisie ! En vérité, il y a de quoi me surprendre. » Il répondit qu’il avait perdu son auréole dans la fange du macadam. Du macadam au zinc, on entrait, parcours titubant, entre les tables sans nappes, entre les chaises en bois aux assises un peu dures, aux dossiers épurés, planche en bois et basta, on était au bistrot. On venait s’accouder , pour un jaune, pour un noir bien serré, sur le zinc à histoires.

intérieurs 4

Vivre dans un intérieur sans vie, tout droit sorti du catalogue Maisons Phénix®, drôle de renaissance. Pas un bibelot, ici on ne devait pas inviter la Tante qui offre des vases, ni même la grand-mère qui lègue une boite à bijoux. Traces de vies effacées avec soin, carrelage noir reluisant, quelle que soit l’heure. On n’arrivait jamais à l’improviste cependant, pour être reçu il fallait être convié, date fixée un mois à l’avance. Canapé en cuir blanc, ça faisait chic avec le carrelage brillant. Pas de livres en vue, ça prend la poussière les livres.

Codicille : pas bien sûr d’avoir respecté la consigne, du mal à vider les lieux des êtres mais c’est sorti ainsi, des histoires de vies qui rencontrent des intérieurs et des extérieurs, croisant parfois Flaubert ou Baudelaire au comptoir ou dans le jardin….

7. intersection


proposition de départ
« Trop vite, trop vite, faut pas dire ça, on en sait rien, il allait à sa vitesse »
Les Choses de la Vie, Claude Sautet.

Une motocyclette traversa le carrefour . Un lieu encore endormi, qui ne sait pas ce qui va lui arriver, qui ne se doute pas qu’il est un croisement propice aux scènes les plus ordinairement tragiques. Ils sont nombreux, ces endroits qui dorment avant qu’un drame ne les révèle, de l’ombre à la lumière, passage à niveau qui se referme trop tôt, nationale trop droite, virage de départementale trop serré, communale trop étroite. Toujours un trop tapi quelque part dans un fourré. Une motocyclette passa, un peu comme on dirait qu’un ange passe , malaise palpable, calme suspect. Hermès n’est pas là, personne pour garder le carrefour, la voie est libre. Rien n’arrive encore à ce moment- là, pas assez de protagonistes sur la scène. Dans la bétaillère, les porcs grouinèrent. Un porc, ça couine, ou encore ça grogne, mais grouiner ça rattache plus visuellement les cochons à leur famille, les suidés : groin, museau mobile , long et pointu. De pointe en pointe, de route en route, destin contre destin. Boby Lapointe au volant de la bétaillère Renault Goelette. Ta Katie t’a quitté. Oui, peut-être que celui qui entre en scène, à l’ intersection de sa vie bientôt sectionnée, pense à Catherine, mais rien de sûr . Ainsi, la motocyclette traversa, les porcs grouinèrent et la bétaillère cala. Une bétaillère n’est pas faite pour aller vite, elle ronronne sur les routes de campagne, mène les bêtes à l’abattoir, au besoin les change de pâture, pas comme une Alfa Romeo Giulietta Sprint. Un moteur de feu. Il ne pense à rien, il roule, il sait qu’une voiture pareille peut lui permettre d’arriver assez tôt pour ranger sa vie. Mais il n’envisage pas cette suspension-là, celle du temps, celle de son existence , de ses amours, de ses envies, des choses de sa vie, il roule, il fume, dans son Alfa Romeo Giulietta Sprint, on peut même alors imaginer qu’il sprinte, qu’il double, qu’il ne redoute rien. Leurs yeux n’eurent pas le temps de se rencontrer. Les oreilles peut-être. La motocyclette passa, les porcs grouinèrent, la bétaillère cala, ils ne se rencontrèrent pas et ils klaxonnèrent. Le klaxon de l’Alfa Roméo débute une funèbre symphonie. Aigu, insistant, pressant. Lui, il s’agace , il fume, ne ralentit pas, pourquoi ne lui dégage-t-on pas la voie ? Il freina, au dernier moment, parce que l’espoir d’un dégagement soudain de son destin l’habite jusqu’au bout. Que pense le conducteur du Berliet, de l’autre côté ? Il klaxonna aussi. Un dialogue éphémère s’engage entre les deux, voix grave du Berliet, voix aigüe de l’Alfa Roméo, la bétaillère suffoque, au milieu. La motocyclette passa, les porcs couinèrent, la bétaillère cala, ils ne se rencontrèrent pas, ils klaxonnèrent , il freina, et les pneus crissèrent. Gros plan. Tonneaux, fracas, vitre brisée. Vie brisée. Il se rappelle les choses de la vie, ils commentent la tragédie, la lettre n’arrive pas, il est à l’intersection de ses désirs, ne sait plus dans quel temps il se retrouve projeté contre les pommiers-des faux, mis exprès pour le rendu de la scène, décor bien campé, vie qui décampe. Un seul pneu tire son épingle du jeu, parvenant encore à rebondir, lui, non, plus de rebonds. La motocyclette passa, les porcs couinèrent, la bétaillère cala, ils ne se rencontrèrent pas, ils klaxonnèrent , il freina, les pneus crissèrent et il mourra bientôt.

Codicille : inspirée par les temporalités de cette scène, fameuse, de l’accident dans les Choses de la vie

6. Monsieur B.


proposition de départ

« Entre la mélancolie et ce “tu” il y avait tout un monde imaginaire que j’ai en partie épuisé dans les pseudonymes » Kierkegaard, Journal.

A.O Barnabooth. Archibald Olson Barnabooth. Ce pseudonyme contenait absolument tout, atypique, ridicule et majestueux, mou et sérieux, l’archi , belle parure initiale, qui venait se noyer dans le bout du nom,booth. Un nom en trois temps, comme une belle période, protase, acmé, apodose. Un nom en équilibre. Trouver son équilibre , c’était trouver son Barnabooth… ça c’était un projet ….Avons-nous tous un Barnabooth ? Ce devait être confortable de se cacher et de se dire avec un Barnabooth, une bouée de sauvetage, These Boots are Made for Walkin’, emprunter des boots ou une bouée, peu importe, il fallait avancer, partir, nager dans les eaux troubles d’une altérité que l’on ferait sienne. Trouver un nom, un bon pseudo, épuiser le monde imaginaire entre soi et soi, avec un faux tu, ni tout à fait toi, ni tout à fait moi, pas de prise. Parce que c’était lui, parce que c’était moi. Les pronoms ont ceci de pratique, qu’ils remplacent le nom, empêchent ce dire si précis. Elle rabâchait souvent : le pronom remplace le nom, le déterminant le précède, le précise, le détermine, c’est pas compliqué ! Mais rien à faire, les élèves confondaient toujours, dans l’exercice sur les natures de mots . Lui aujourd’hui, il cherchait une nature de nom propre, là, face à elle, qui corrigeait sûrement un exercice de ce type, les natures de mots, cours de grammaire, cycle 2, ou 3, il ne savait pas bien ce qu’elle enseignait ni à qui, au fond il s’en moquait, il cherchait son pseudonyme. Hier, elle lui avait raconté qu’elle était allée chez sa sœur, voir le nouveau chat, que la sœur l’avait encore appelé mimi . Sa sœur ne cherchait jamais le nom du chat, c’était à chaque fois pareil, elle lui avait fait la remarque. Les enfants avaient alors joué à le chercher, le nom du chat, mais la sœur n’avait pas écouté, répondant que de toute façon, il était inscrit comme ça chez le vétérinaire. Le pragmatisme de sa sœur la désespérait, elle lui avait raconté. C’est ce qui lui avait donné l’idée du pseudonyme, même s’il n’avait pas bien écouté, car il ne s’intéressait pas aux histoires du chat de sa sœur. Il avait d’autres chats à fouetter. Il fouillait, oui, mais n’était que renvoyé à des échos infinis, balloté de Charybde en Scylla- des beaux noms ça, dans lesquels il était plaisant de vautrer la langue, tout en sachant qu’on échappait au danger, la sœur aurait pu s’en inspirer pour le chat, il lui dirait peut être- des bruits qu’il voulait taire, des liens qu’il ne voulait pas faire, mais qui s’imposaient dans tout le fracas de leurs sonorités .Archibald Olson Barnabooth appela, dans une forme de symétrie , Benno von Archimboldi . Partir avec Archimboldi et Barnabooth , c’était comme un voyage délicieusement impossible, doux et loufoque, dur aussi parfois, parce qu’on ne rit pas vraiment avec Bolaño. Pelletier, Morini, Espinoza et Norton, les archimboldiens. Mais il ne voulait pas en être, devenir une catégorie critique, non, il cherchait un pseudonyme, c’est tout. Il tenta de s’arracher de là, mais il comprit qu’il butait sur le b, tomba sans le vouloir sur cet écho, du tragique au comique, bam ! : « Allez au diable, Barbaro, Barbe à l’eau ! » Encore un coup de Bartholo. Le Barbier. Ne pas arriver à se défaire des B, c’était surprenant, il n’avait pas convoqué cette lettre, il cherchait un pseudonyme plus seyant, et il tombait sur des noms en b, une vie de Bovary qu’il n’arrivait pas à raser. Il se dit alors qu’il était encore loin d’avoir épuisé ce monde imaginaire promis par la recherche d’un pseudonyme. Alors il retourna se tailler la barbe, avec mélancolie. Peut-être qu’il se contentera de Monsieur B . Guère mieux que le chat de la sœur.

Codicille : Partir d’un nom et le laisser résonner, en s’accrochant aux bouts de citations, de chansons ou de noms qu’il appelle, le tout mêlé à des réminiscences de réflexion sur les pseudonymes kierkegaardiens, une lecture de 2666, et une sœur qui ne donne jamais de nom à son chat, quel qu’il soit.

5. eye liner


proposition de départ
1

Sa forte myopie l’obligeait à se rapprocher très près du miroir, un petit miroir rond grossissant, pour ne pas trop louper le trait. Le grand miroir est trop loin, avec la distance imposée par le lavabo encastré dans le meuble Ikéa blanc imitation bois . La difficulté est que ce petit miroir ne tient pas tout seul, c’est un miroir à manche, héritage de l’arrière-grand-mère, personne n’en voulait, elle l’avait pris, sans savoir qu’un jour elle serait myope comme une taupe et qu’elle en aurait besoin pour se tracer les contours. Avant de faire le trait il fallait le caler, le petit miroir, contre un mur, pour libérer la main qui tendra la paupière , pour ne pas louper le trait, avec l’autre main.

2

Elle avait essayé, une fois ou deux, de changer la couleur du trait, mais à chaque fois, elle devait repasser dessus avec le crayon noir, car elle n’était pas convaincue. Ce n’était pas rien, un trait d’eye-liner. Il fallait que cela souligne, que cela swing, oui, alors les couleurs pastels pouvaient aller se faire voir ailleurs, pas sur ses yeux. Eye-liner, la ligne de l’œil, tracée chaque matin, sur les paupières. C’était compliqué, finalement, de tracer une ligne bien nette, bien droite, sur cette partie du corps où la peau est si fine, si mouvante. Il faudra recommencer demain

3

Elle savait qu’elle avait encore trop bu , la veille. Oui, elle le savait parce qu’au moment de se maquiller, la main avait tremblé, il avait fallu refaire le trait trois fois, car il était trop irrégulier, plein de gros pâtés, tout raté. Ce trait était à la fois le révélateur de ses excès, mais aussi son meilleur allié pour dissimuler la fatigues des yeux fermés trop tard, la veille.

4

Elle songeait que cette histoire de trait était assez récente. Oui, au début où elle se maquillait, les premières années, elle se contentait d’un peu de mascara. Peu de femmes dans la famille pour se maquiller, lui montrer, l’éduquer à cet art de la dissimulation esthétique .Mais aujourd’hui cela ne suffisait plus, le mascara. Histoire de l’œil que l’on souligne de plus en plus, en grandissant, en vieillissant , en se fripant. Un jour il faudra arrêter le trait, revenir au mascara tout seul, la peau sera trop flétrie, comme une feuille sur laquelle la plume ne pourra plus écrire. Trop usée. Mais pour l’heure elle pouvait encore. D’un coup sec et assuré, elle se raya la paupière.

5

C’était la quatrième étape d’un façonnage quotidien du visage. Le sérum anti rides, la crème hydratante, le fard à paupières : les préparations de fond. Le trait venait ensuite, sur ce fond étalé en gros. Une façade qu’il fallait refaire tous les jours. Préparer le fond, tracer des lignes ensuite. Avoir un bon matériel pour ce chantier de tous les jours. Parfois le petit pinceau de son eye-liner n’était pas très net, il fallait le replonger plusieurs fois dans la fiole pour que les fils indésirables partent , ou du moins s’alignent aux autres pour former un pinceau bien lisse, gage d’un trait réussi. Quand cela ne marchait pas et qu’elle n’avait pas le temps, elle en prenait un autre, un plus simple, mais moins joli. Cela dépendait des jours et de l’humeur.

6

Un côte à côte sans parole, chacun sur la préparation de soi. On ne s’écoute pas, on ne se regarde pas non plus. Ce qu’ils regardent, droit devant eux, dans ce miroir si grand qu’il peut être partagé sans l’être, ce sont les points de leurs visages qu’ils cherchent à sublimer, à gommer, à crémer, à raser, à maquiller. D’ailleurs, elle sentait l’odeur de sa mousse à raser qui emplissait toute la salle de bains. Facile, son maquillage , à elle, n’avait pas d’odeur. Après s’être maquillée , elle mettrait un peu de parfum, pour signaler sa présence, pour détrôner l’odeur de la mousse à raser et de l’afer shave. Eye liner contre after shave…un combat perdu d’avance.

7

La petite fille aimait voler du maquillage à sa mère. Elle pensait qu’il était plus facile d’utiliser le rouge à lèvres que l’eye-liner. Alors elle ne le prenait pas si souvent, l’eye-liner de sa mère. D’abord parce que le tiroir était toujours mal rangé, il fallait fouiller , ce n’était pas facile de trouver un tube noir parmi le fouillis . Plus facile de trouver les tubes de rouge à lèvres, bien gros , bien voyants, bien rouges. Mais aujourd’hui , la petit fille l’avait trouvé, elle avait voulu essayer, elle avait tiré un trait, là , pour faire comme maman, petite mimesis du matin. Bien sûr, elle se fera gronder et il faudra effacer avant de partir à l’école . Mais elle recommencera, deviendra une grande fille, aussi.

8

Il aimait ce moment . La touche finale, celle qui lui permettait, chaque soir, d’être comme elles. Oui, il trouvait qu’il savait bien le dessiner , ce trait-là, ce trait qui lui permettait d’entrer en scène, ni tout à fait lui, ni tout à fait elle. Juste soi, avec un trait d’eye liner bien assumé.

9

Une fois, ses yeux avaient gonflé. Non pas de fatigue, non pas d’émotion, non, rien de tout cela. Elle avait juste misé sur du bas de gamme, moins de deux euros le tube, une aubaine, elle était toujours fauchée. Un tube à un euro quatre- vingt- dix- sept ne pouvait cependant pas faire de miracle, elle avait développé une allergie, dans l’heure.

10

Ce matin , elle avait rendez-vous au tribunal, pour régler des affaires, pour ranger le passé, pour préparer l’avenir comme on dit. Alors pour paraître bien, elle serait bien maquillée, il ne faudra pas qu’il voit qu’elle avait tremblé pour tracer le trait, qu’il n’était pas venu d’un coup, parce qu’elle avait peur. Elle avait peur, mais elle se préparait des yeux sans émotion, grâce au trait, bien noir, bien épais, qui durcirait le regard, si elle avait à le regarder, au cas où, dans la confrontation. Elle n’avait plus que ça, comme arme, son pinceau d’eye liner.

Codicille : Pensée pour un geste quotidien qui demande une certaine concentration, et dont le résultat est variable, en fonction de l’humeur, de la vie .. Reprise d’un geste fait par un de mes personnages dans la proposition 2 .Lecture de certains autres textes de l’atelier, ce que je fais rarement, je préfère écrire puis lire. Mais pour cette fois j’ai inversé et j’ai choisi un texte qui m’avait fait penser à un film, avant que je trouve la référence au film dans le codicille de son auteur. Puis le jeu de l’écriture qui m’a fait mêler la plume de mon stylo Bic à celle de l’eye liner…sans trop savoir ce qu’il y a vraiment à souligner dans ces Histoires de l’œil…

4. pas perdus


proposition de départ
pas perdus, version dure

Coincée , envie de se carapater , plus de forces pour se cramponner. Tout était déjà cassé, brisé, plus rien à attendre. Et pourtant, l’attente, là, bloquée , sous une montée d’escalier, dans un réduit souterrain, crincrin des tracas dans la tête, mêlé au tic-tac de la montre. C’était rare d’avoir des montres à tic-tac audible aujourd’hui, ère des montres connectées, calcul de la perte de calories par kilomètre marché, voire même, décompte des marches d’escalier potentiellement grimpées, montre connectée, qu’elle n’avait pas. Prostrée sous l’escalier, plus de place ailleurs, convoquée à dix heures, retard certain, onze heures du matin, toujours rien. Banc barré, ruban rouge et blanc, place unique, solitude forcée, tribunal toute seule, bien fait pour sa gueule, qu’on dirait. Poursuite de projet existentiel stoppée. Patienter, supporter la procédure , le point final de l’histoire en cours serait retardé, c’était sûr. Attente dans l’attente, théâtre dans le théâtre, rature dans la rature, qu’elle pensa, là, coincée entre le dessous d’une montée d’escalier et les arcades d’une salle voutée. Une triste salle d’attente en souterrain de tribunal. Il faudra jouer son rôle bien comme il faut, travailler la posture, durcir la voix, noircir le regard, se serrer les coudes, sur soi, sur elle-même, déconstruire l’altruisme pour un égoïsme sans précédent. En avait assez de se serrer les coudes , l’altérité devenait l’adversité, l’entente une lutte, le désir un dégoût, le plaisir une angoisse, le train- train un tic- tac, le ronron un crincrin. Ça grince dans la caboche, ça tire dans la machine, ça boite dans l’entrain. Rien ne va plus, faites vos jeux. Tu parles d’un jeu ! Un duel déjà réglé. Seule sur un banc barré au ruban de chantier- refrain qui s’invite ….seule sur le sable les yeux dans l’eau. Tu parles, le regard coincé entre une montée d’escaliers et des arcades souterraines. Pourquoi tu pars, reste ici, ne bouge pas, attends ton tour , au pied de l’escalier. Rien ne se trame vraiment, elle traque les rares mouvements de ceux qui, comme elle, viennent acter une fissure de train-train, chacun replié sur son banc barré, avec un adversaire sûrement recroquevillé, aussi, dans un autre coin de la salle des pas perdus. Ça change de la salle du bar tabac.

pas perdus, version douce

Blottie en sous-sol, avec soif d’évasion, mais la soif d’idéal était bien étanchée. Tout était déjà délié, anéanti, plus rien à espérer. Et cependant, lovée là , sous les marches, dans ce lieu impersonnel, tagada des soucis qui emplissent l’âme, mêlé au ding-dong de la montre. Bien sûr la montre n’était pas une horloge, pas un vrai ding-dong, seulement un petit murmure ,presque imperceptible, mais en deux temps, c’était pour cela qu’elle s’autorisait cette appropriation en ding-dong personnel. Une montre molle à soi. Il se dessinait autour comme un halo, une chambre à soi imaginaire contre le mur adouci par les volutes. Venue pour dix heures, délai rallongé, onze heure du matin, toujours pas passée. Siège deux places réduit à une , mesures sanitaires obligent, solitude imposée par l’assise, commission toute seule, bien fait pour elle. Plus possible de mener les choses comme avant. Soupirer , laisser glisser les formalités, fin sans cesse ajournée. Espoir sans espoir, mutatis mutandis, tout balayer, dépoussiérer , qu’elle se disait, blottie sous les marches, dans une enceinte peu accueillante, malgré les angles arrondis. Salle morose dans les limbes de la loi. Elle se soufflait à elle-même sa propre partition , une répétition intérieure qui faisait flop ! Ne pas courber le dos, hausser le voix, soutenir la vue, se serrer la main sans émotion , laisser mourir le couple, oublier ces longues journées qui s’étiraient mollement , où les ding-dong s’assourdissaient de volupté. En avait assez de coopérer, l’amour mué en aversion, l’aspiration en dispersion, la sympathie en animosité, l’assuétude en bousculade, les flonflons en gong final. Des remous dans la tête, ça vacille, ça oscille, plouf ! La roue est lancée, et elle, comme une bille à contre- courant dans le cylindre, ballotée. Seule sur son siège solitaire à galons bicolores. Des échos s’invitent. The Sound of Silence. Oui, elle songea, I’ve come to talk with you again…Puis passa au : Tu rigoles, il n’y a plus de you , plus d’again . Elle trouva quand même un peu douceur, de l’accalmie même , dans la vue de ce ballet des corps qui cherchaient à dissimuler leurs tourments profonds, leurs gouffres invisibles, n’osant plus lever les yeux vers des accolades perdues. Éparpillées ça et là , de partout, les ombres, dans la salle des pas perdus. ..un homme attend une femme.

Codicille : j’ai « tiré » ou plutôt étiré un personnage présent dans la 2, parce que la solitude y résonnait déjà…une version a été plus facile à faire qu’une autre…Là encore des musiques se sont invitées…Peut-être parce que la solitude est propice à un laisser-aller des échos, des refrains familiers..

3. frotter les murs


proposition de départ
quitter la ville, rythme nouvelle

Je ne sais pas vraiment pourquoi je dois quitter la ville, parce que je n’ai pas choisi, mais je fais comme si. Je fais souvent comme si. Pour l’heure, il faut frotter les murs, besoin de récupérer la caution. Zaza tu pues, mais j’t’aime quand même . Je pense au chien, principal responsable de la crasse qui avait sali les murs. Il sera bien à la campagne, je n’aurai plus besoin de ramasser ses besoins. Une raison de partir. La seule. Pour le reste je ne vois pas bien. Envie de retenir ces lieux, ces odeurs de ville, le métro, les bars, même les bars qui puent les regards moisis. Voix de Piccoli qui récite Le chien et le flacon. J’ai gardé le CD avec moi, pour pouvoir le mettre dans la voiture, sur le trajet, tout à l’heure. Quitter Paris en écoutant Baudelaire, ça mettra un coup, mais tant pis. Nostalgie des ordures soigneusement choisies , une fois arrivée là- bas. Je le sais car j’ai déjà dû quitter une ville, c’est la deuxième fois. Il faudra se décoller de cette vie, la traiter en irréel du présent. Mes meubles sont déjà partis, le chien aussi, le mec aussi. Il ne me reste qu’à frotter les murs, rendre cinquante- neuf -mètres carrés pour en trouver deux-cent-vingt. Sur le papier, la vie rêvée. Mais ce qui sur la feuille se dessinait comme un retour aux sources sonnait déjà comme un point de non-retour. En attendant, je frotte les traces de bave et les traces des meubles partis, sur les murs blancs. Quelque chose vient de tomber Sur les lames de ton plancher . Oui il faut le cirer lui aussi. Récupérer la caution. C’ est toujours le même film qui passe . Encore un départ de ville. T’es toute seule au fond de l’espace…T’as personne devant. Oui, personne, frotter, cirer, et partir, personne devant, toute seule.

quitter la ville, rythme roman

Encore une fois, elle n’avait pas vraiment choisi. Les meubles non plus, ils ne choisissaient pas, s’était-elle dit, en voyant partir le soixante mètres cubes à moitié rempli. Oui, il n’était pas bien dense le chargement, parce que l’appartement n’était pas grand, cinquante-neuf mètres carrés, pas un de plus . Elle pensa aux mètres cubes rapportés aux mètres carrés . Elle songea que les meubles allaient être un peu perdus, une fois arrivés, là-bas, dans la grande maison, deux cent vingt mètres carrés. Comme elle, perdue. « Allô Paris tout est fini, Et putain Je suis fatigué…J’aurais voulu quelque chose de bien…J’aurais voulu que tu me dises viens… » Sa vie aussi était une succession de conditionnels passés, de j’aurais voulu. Parfois, elle expliquait à de jeunes pré pubères, la valeur modale du conditionnel passé, c’était le programme : exprimer un souhait ou un regret, évoquer un monde imaginaire ou possible, et surtout, l’irréel du présent, une hypothèse dont on est certain qu’elle ne peut pas se réaliser dans le présent…Une fois encore, elle n’avait pas vraiment choisi ce départ. Elle le vivait sur ce mode -là, son irréel du présent mêlé de regrets, les valeurs du temps se mélangeaient , c’était stupide, d’ailleurs , de faire réciter aux élèves les valeurs des temps dans un tableau Excel. Elle ne faisait jamais réciter, ne vérifiait jamais les cahiers, abhorrait les tableaux Excel. Chacun son réel, chacun son irréel. Chacun sa merde, débrouille-toi avec ton cahier. « Allô Paris tout est fini, Et putain Je suis fatigué…J’aurais voulu quelque chose de bien J’aurais voulu que tu me dise viens… » Les meubles étaient partis, il lui restait à lessiver les murs. Passer notre amour à la machine. Faites bouillir , oui, effacer les traces de ces quelques années de vécu, celles du chien surtout, bave séchée, un peu de partout, la sale bête. Il sera mieux, à la campagne. Il n’y a que pour lui que quitter la ville serait une bonne raison. Elle pensa : voix active, le sujet fait l’action, voix passive, il la subit. Ça aussi, elle l’expliquait , sans faire réciter . Voilà où on en était. Un départ à la voix passive, avec des conditionnels passés, sauf pour le chien. Dans toutes les villes où elle avait vécu, il avait fallu ramasser les crottes du chien, sauf parfois, quand personne ne regarde et qu’on a pas de sac. Quitter la ville, avec pour seule raison valable celle-ci : à la campagne, plus besoin de sac à crottes. Oui, elle n’avait pas du tout choisi de partir. De venir non plus. Elle avait résisté longtemps, pleuré beaucoup, quitté le mec pour ne pas quitter la ville numéro un pour la ville numéro deux. Puis elle avait cédé, repris le mec, déménagé de la ville numéro un à la ville numéro deux, sans savoir pourquoi. Aujourd’hui, alors qu’elle était bien enracinée dans la ville numéro deux- la numérotation des villes comme jalon existentiel : née à la campagne, partie étudier à la ville numéro un, puis partie malgré elle à la ville numéro deux. La vie en étapes, pas vraiment la vie en rose, mais un tour de France à son rythme. Sauf qu’on ne gagnait rien dans la course. Aujourd’hui ; Il fallait repartir, de la ville deux pour cette campagne native, faire une boucle, l’idée était insupportable, la vie en boucle-elle détestait courir en boucle-, boucler la boucle, revenir aux sources, foutaises, vu et revu, les franciliens retournent chez eux, pas très original le parcours, on tourne en rond. J’aurais voulu quelque chose de bien. S’accrocher aux conditionnels passés, regarder avec nostalgie ces lieux aimés, sur lesquels s’inscrivait déjà la mention « départ imminent ». Comme pour les meubles qui étaient déjà partis, les lieux aimés allaient se décoller d’elle. Surtout ces lieux dont elle aimait la densité- plus tassés que les meubles dans le soixante mètres cubes à moitié rempli- la ligne treize surtout, connue pour ça, collé serré. Même l’odeur partirait, elle devrait y penser pour la garder un peu avec elle, l’odeur de ville, se rappeler les plus vives, comme ce matin du premier janvier où elle avait été indisposée par cette clocharde puante qui empestait le wagon qui la déposait à Montmartre, un premier janvier, au matin. Envie de vomir. Et comme chaque soir je te raconte…l’histoire des larmes de rue…Dans les bars qui puent les regards moisis…Et les corps meurtris.
Là-bas, après le départ, il n’y aurait plus de rues, plus de bars, plus de corps qui puent, plus rien. Dans la salle du bar tabac de la Rue des Martyrs…Ici chacun douc’ment oublie l’ombre d’une vie passée ….. Elle tenta de se convaincre . Elle oubliera cette vie citadine, il faudra car elle n’aimait pas vivre dans la nostalgie, elle oubliera, quand elle aura fini de lessiver les murs de l’appartement.

Codicille : Des échos et des odeurs qu’on cherche à retenir quand on part et qui se sont invités dans le texte… Mano Solo et Baudelaire surtout , car ils sont Paris. Et puis le chien, qui aide à dire le départ difficile.

2. hic


proposition de départ

La femme , du dehors, moins tendue que l’homme. Un sourire s’esquisse même sur son visage, à elle, peut-être pour tenter d’apaiser la situation, peut être aussi pour paraître détachée de lui, peut être encore pour ne pas laisser penser qu’elle pourrait s’effondrer, ou peut-être même qu’elle avait vraiment envie de sourire, pour en finir, pour sortir, pour partir, pour mourir. On ne sait pas. D’autres peut être pourraient flotter aisément autour. Mais de petites brèches , en y regardant de plus près, viennent menacer cette apparente maîtrise. Masque de maquillage mal mis, oui, le trait d’Eye liner n’est pas bien dessiné, ce qui arrive quand la main tremble. Le fond de teint aussi, mal étalé, main pressée, sûrement pour ça. Le col roulé inégalement plié, pas bien lissé, mal repassé. Les cheveux non plus, pas peignés, pas soignés. Le réveil avait dû être dur, ce matin-là, avant l’audience, on imagine, en la voyant. Hic et nunc, un face à face qui ne fonctionne plus. Remplacé par un côte à côte institutionnalisé. Rassemblés par convocation. Avec l’avènement des analyses ADN, les secrets de famille se fissurent. L’homme avait gratté, il avait trouvé. Le hic. La vérité souterraine. Un bâtard. Une faute. Colère. Accusations. Droit comme un I qu’il est, là -quoique la situation imposerait plutôt raide comme la justice - Il semble gonflé par la fierté de sa trouvaille, cette botte secrète qu’il avait sortie pour gagner le duel, porter le dernier coup, peut-être aussi se redresse-t-il pour ne pas montrer l’humiliation qui perle à la surface de sa virilité, ou peut-être encore qu’il s’effondrera, mais en sortant, pas maintenant, pas devant, pas avant. On ne sait pas. Ne pas rompre la tension du côte à côte en la regardant, ne pas pivoter d’un degré, empêcher la prise du regard autrefois aimé. Avant ce hic sorti d’on ne sait où. Non, il fixe droit devant lui le stylo Bic bleu de la juge qui consigne les faits sans rien dire. Du dehors, la scène est réglée, temps de parole de monsieur, temps de parole de madame, avocats respectifs. Chacun a travaillé son rôle, ses répliques, ses mimiques. L’affaire sera réglée, le bâtard renommé. On ne sait pas quand. Procédures toujours longues. Mais pourtant il restera un hic, et pas un petit. A l’échelle de l’humanité, rien qu’un petit ,un hic presque imperceptible, un hic du je-ne-sais-quoi-et- du -presque-rien. Banal Conte de la folie ordinaire. Mais là, devant, à l’échelle de leurs Vies minuscules, une bien sombre histoire. Fin du conte de fée. Hic.

« Cet homme derrière un tapis vert : le juge d’instruction... encore lui... Il sait bien pourtant que l’affaire est arrangée. Sa tête remue de gauche à droite : l’ordonnance de non-lieu ne peut être rendue, il y a un fait nouveau. Un fait nouveau ? Thérèse se détourne pour que l’ennemi ne voie pas sa figure décomposée. "Rappelez vos souvenirs, madame. Dans la poche intérieure de cette vieille pèlerine - celle dont vous n’usez plus qu’en octobre, pour la chasse à la palombe —, n’avez-vous rien oublié, rien dissimulé ?" Impossible de protester ; elle étouffe. Sans perdre son gibier des yeux, le juge dépose sur la table un paquet minuscule, cacheté de rouge. »Mauriac, Thérèse Desqueyroux

Des difficultés à amorcer la manière de dire la tension, plusieurs essais, pas de référence précise , du moins au début. La pensée du passage de Thérèse Desqueyroux n’est venue qu’à la fin, une fois le texte écrit. J’ai d’ailleurs hésité à le placer avant ou après le texte. Les quelques titres présents sont simplement des titres qui m’ont aidée à déplier la plume. Rien que les titres, les contenus des ouvrages ayant peu de rapport avec la scène décrite, mais ils m’ont servi de bouées de sauvetage…Pas mis pour faire bien, mais pour m’accrocher aux livres familiers dont les titres résonnent sans qu’on les appelle. </div<

1. Aire d’autoroute, Portes-lès-Valence


Allongé, sans sucre. Bouton, sélection, sans contact, dégustation. Attendu pour 18h. Retard certain, il opterait pour la densité du trafic, au besoin un accident, tout le monde sur la même file, ralentissements sévères. Le motif ne serait, finalement, sûrement pas entendu. Vaguement écouté, au mieux. On se demanderait plutôt combien de kilos, sortes d’enchères, à qui mieux mieux, au plus juste, comme dans les kermesses de village. Estimer au plus près le poids du cochon pour repartir avec. Puis on ferait le cochon, boudins , saucissons, côtelettes. Les saucisses de Maurice. Il aimait bien cette chanson. C’était toujours comme ça. On ne l’écoutait pas, on le soupesait du regard. En passant les mains dans la soufflerie des toilettes, marque Dyson, élimination des bactéries garantie ,quatre-vingt-dix-neuf pourcent selon l’étiquette, oui c’était mieux que les rouleaux de tissus à usages multiples , elle prit le temps de s’étonner de légères craquelures qui commençaient à apparaître. Non bien sûr elle n’avait pas encore des mains de vieille, mais elle mesurait le temps. Épaisseur de la durée. Et puis il y avait la carte chronotachygraphe. Elle avait découvert l’existence du mot la semaine dernière, se réjouissant de pouvoir encore découvrir ces souterrains langagiers. Arrêt obligatoire, temps saisi, bloqué , consigné. Qu’aurait pensé Bergson de la carte chronotachygraphe ? Besoins pragmatiques envahissant la perception du temps, ou une réponse de ce genre. Inventer les réponses anachroniques possibles. Le client devait être livré avant dix sept heures. Pas gagné, axe pollué par des voyageurs sans raisons valables, qu’il pensa, le chauffeur . Il fallait attendre pour régler l’essence. De toute façon, dictature du disque chronotachygraphe, quarante cinq minutes d’immobilisation. Autant retourner dans la cabine, tout confort, petit chez soi, bien partout. Devant lui, un corps massif, dégoulinant, essoufflé, il l’entendait d’ici, cette respiration empêchée. Trois cinquante le coca zéro du gros. Pas donné. Il avait eu du mal à le trouver , son soda, perception limitée par le panneau de l’entrée : stock réduit. Restrictions, distanciations. Ses amies aimaient se moquer d’elle. Tiens, regarde, il a de l’embonpoint celui-là, il te plaira. « Et leur yeux se rencontrèrent », elle aimait penser la rencontre , se trouvait des points communs avec Frédéric, souvent à contre-sens elle aussi. Oui, au rayon soda, ce fut comme une apparition, dans le contre-sens de l’allée fléchée pour des besoins sanitaires. Dans cette allée à sens unique, il avait envie de le compresser, son corps. Il savait qu’il occupait trop d’espace, trop de temps aussi, lourd, lent, essoufflé. Là pour rien. Enfin il allait voir la mer, honteux de la minceur de son motif et de l’épaisseur de sa matière. En passant dans l’allée, le médecin à la retraite pensa. Obésité morbide, pas pour longtemps, pourtant l’air jeune, pas plus de quarante-cinq ans. Rien n’y fera, constat d’un praticien retraité désillusionné, qui, pour l’heure, prendrait, comme chaque semaine quand il rentrait pour une nuit sans sa femme, un sandwich triangulaire, thon mayonnaise, avec résidus d’œufs. Savait pas cuisiner, pas de son temps les hommes aux fourneaux. Son disque chronotachygraphe , au gros, il ne tournerait pas longtemps. Il avait, pour une fois , osé demander. Avec ses mains à peine ridées, elle lui avait attrapé, son coca zéro, laissant passer derrière eux, le médecin, le routier, et puis d’autres, surement, auxquels elle n’avait pas fait attention. Perception sélective. Il avait été écouté, pas soupesé ,le temps d’ un atome d’insoutenable légèreté, le temps d’une phrase, oui, seuls leurs yeux se rencontrèrent, elle avait à faire, l’embonpoint dépassait les limites de son goût, il allait voir la mer, le disque chronotachygraphe ordonnait le départ, le sandwich triangulaire allait se réchauffer, ce ne fut pas vraiment une apparition. Juste une aire de passage. Mais ils allaient tous dans le même sens, emmenant avec eux les contre-sens souterrains de leurs existences gonflées d’épaisseur de durée.

Mêlés : pensée du temps , Bergson , pensée de la rencontre : quelques bribes de Flaubert, une aire d’autoroute, dans laquelle un grand-père s’arrêtait toujours pour rejoindre sa maison de campagne, et puis ce jeune qui a passé son CAP conducteur routier, mais n’a toujours pas de carte chronotachygraphe, et quelques autres pensées sur les corps qui se croisent, sur une aire d’autoroute…

 



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1ère mise en ligne 20 juin 2020 et dernière modification le 6 octobre 2020.
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