le roman de Stewen Corvez

–> AUSSI DANS CETTE RUBRIQUE
Stewen Corvez est musicien, YouTubeur et photographe en pelouse à suivre sur le site www.defilmince.com, et sa chaîne YouTube ou sous diverses mutations Instagram.

2. du dehors


proposition de départ

Du dehors, on devine la petite vieille qui prépare du riz au lait dans sa cuisine. La petite vieille quitte sa maison au moins quatre ou cinq fois par jour. Ses cheveux colorés ne volent pas au vent mais s’écroulent à la moindre averse. On lui souhaite aucun bonheur. Chaque fois qu’elle traverse sa rue, elle enchante son mort de mari. Elle parle du temps, parce que le temps n’est jamais bon. Elle a toujours traversé sa rue, mais sa rue est de plus en plus large. Elle s’essouffle un peu, parfois. Ça revient vite, le souffle, parce que ça l’oblige à se taire et à respirer. De l’autre côté de sa rue, il y les anglais fraîchement débarqués. Ils ont le même âge que la petite vieille. Eux, ils n’ont jamais travaillé dur comme elle. Elle, elle a souffert, on ne l’a jamais aimée, qu’elle raconte. Tout le monde le sait, mais c’est important de le répéter jusqu’à ce que mort s’en suive. Les morts ne la suivent pas, c’est elle qui leur court après. Eux, les anglais frais, ont eu la vie facile. La preuve, ils sont bien mieux rasés, surtout l’homme. Mais la femme doit s’épiler. Parce qu’elle a les moyens pour ça et parce que c’est sa culture. La rue se termine là et commence ici. La petite vieille traverse quatre ou cinq fois par jour le seuil de la véranda. Lui, il dort dans le canapé plusieurs heures par jours. Elle, elle traficote dans le jardin. Souvent, un voisin vient les aider. Mais la petite vieille est toujours là. Du matin au soir. Même quand elle n’est pas là. Son mari n’est plus là. Mais son fils, si. Ou peut-être pas. Plus ou moins. Il a un creux dans l’épaule, on dirait une cascade. Il a le visage rond, comme sa mère. Il vend du bois sur dossier pour l’hiver. Il faut montrer patte blanche. Sa mère ne se chauffe qu’à l’électricité, ce qui apaise les relations. Il ne met jamais les pieds chez les anglais. C’est un truc entre eux et elle. La haie n’a pas été taillée depuis longtemps. Le maire leur en parle de temps en temps, parce que dans un virage, on ne peut pas dire garantir qu’il n’y aura jamais d’accident. En trente ans, il n’y a jamais eu d’accident par ici. Il n’y en aura peut-être jamais. Mais on ne peut pas prendre le risque se dit le Maire. Il sera ferme, un jour. La petite vieille n’a pas de chien, parce que les chiens mordent et qu’il ne lui reste pas assez à manger après les repas. Ce n’est pas faute d’efforts. Avec une maigre retraite comme ça, on ne va pas loin. C’est pour cela que les anglais ne viennent jamais chez elle. Eux, ils ont une bonne situation. Elle, elle est pauvre, surtout depuis que son mari est mort. Il est trop mort pour la nourrir encore aujourd’hui, qu’elle raconte partout. Les anglais le savent. Surtout l’anglaise. Juste ne face de la maison des anglais, il y a la maison des allemands. Les anglais traversent jamais la rue pour aller prendre le café avec les allemands. Les allemands ne traversent jamais la rue pour aller boire un thé avec les anglais. La petite vieille traverse toutes les rues. Une bien sombre histoire !

À propos de voisinage, il m’a suffit de penser au mien en tricotant un peu autour. J’aime bien l’idée de ne pas se fixer de limites dans l’interprétation de ce qu’il peut se passer autour de nous, au quotidien.

1. ailes noires, ailes rouges


proposition de départ

Les ailes noires et rouges sont prêtes à se déployer. L’idiot attend à ses pieds que le vent cesse d’agiter ses cheveux pour approcher du cockpit et parler au pilote. Mais ce dernier n’est pas encore installé. Pour tout dire, il n’est même pas encore sur la piste. Il cuve dans sa chambre d’hôtel. Il ne veut pas revenir, pas retrouver ce petit monde, pas nourrir les vautours qui lui suce le cerveau à chaque voyage. Il pourtant faudra bien qu’il se lève pour combler le sentiment d’insatisfaction qui le ronge quand il pilote l’engin pour un commanditaire quelconque. L’homme qui l’a engagé cette fois n’en peut plus d’attendre. Son téléphone à la main, il s’agite, s’agace, parle fort, prend à partie ses voisins de table dans le café où il est assis. À travers la grande baie vitrée, il n’en finit pas de maudire le cargo qui doit emporter la marchandise. Il pourrait tout perdre. Il rage tellement dans son monde perdu qu’il renverse une partie de son café sur la femme assise juste à côté de lui. Il lui crie dessus, c’est de sa faute, elle n’avait pas à s’asseoir si près de lui. Elle ne se contente de se lever, sans rien dire, prend l’escalier en direction du premier étage, celui du dessus. Son amant l’attend. Ils ne se sont pas vus depuis douze minutes. C’est précis parce que c’est long, douze minutes. Mais elle avait besoin d’un café. Lui non. À force de côtoyer du monde dans les transports en commun, l’amant sature, s’agace dès qu’une main frôle son dos à moins de quelques centimètres. Il porte une nouvelle cigarette à sa bouche et disparaît soudainement dans un profond câlin qui le berce. Dans sa tête il est nu. Ce n’est qu’entendant la voix de son amante qu’il s’aperçoit qu’une autre femme abrupte l’observe du coin d’un l’œil qui se déplace d’homme en homme. Jamais un arrêt sur une femme. Celui qu’elle cherche est blond, mais l’autre est fascinant. Elle se reprend, remue les yeux, la tête. Se met à déambuler pour éviter de s’endormir et d’attirer l’attention sur elle. Elle voudrait être loin. Tuer des gens, ce n’est pas son truc. Elle préférerait être morte. Ou mieux, vivre sans culpabiliser, sans épée Damoclès. Elle doit faire avec. Elle prend soudainement conscience qu’elle a une forte envie d’uriner. Dans les toilettes, elle croise un homme au visage très maigre, livide. Il s’est trompé. Ça n’a aucune importance, ça fait longtemps qu’elle se dit que les toilettes mixtes est l’idée la plus stupide de la terre. Lui aussi ça lui passe complètement au-dessus. Mais pas pour les mêmes raisons. Tout son corps lui fait mal. Il pense que s’il reste à l’hôpital on lui fera encore plus mal. Si ce n’est pas au corps, c’est à la tête. Encore plus douloureux. Alors il a pris un billet qu’il sert dans sa main droite. Il a encore pissé du sang, mais il croit qu’il pourra tenir jusqu’à bout. Après tout il est capable de garder les yeux ouverts, d’articuler quelques mots sans montrer trop de sa souffrance. Et même de sourire comme il vient de le faire à la femme qu’il a croisée en sortant des toilettes. Le problème, ce sont ses yeux qui se couvrent de larmes. Des larmes qui débordent de son visage. Lui qui respire de plus en plus mal, tombe à genoux. Il va dormir un peu. De toute façon on le contournera, comme le fait à l’instant même le gamin en short rouge. Sauf qu’il est bleu. Ses parents le lui ont acheté pour l’occasion, parce qu’ils savent que l’oncle Tomas va encore gentiment leur râler dessus s’ils le laissent transpirer sur le sable dans un pantalon. Lui, il le trouve très moche. À dix ans, on ne met plus de pantalons bleus avec des éléphants imprimés dessus c’est ridicule. Mais pour aller voir l’oncle qui s’en fiche royalement. Mais il pourrait y avoir d’autres personnes et pourquoi pas d’autres enfants de dix ans n’attendant que l’occasion de rire à gorge déployée. Il sait que c’est seulement du short qu’on rira, mais ça fait quand même mal. Peut-être qu’il pourrait se faire la malle. Mais comment vivre, se nourrir, gagner de l’argent, s’acheter des jeux ? Il ne les aime pas tant que ça, il pourrait s’en passer. Et puisqu’on ne le regarde pas, il laisse ses parents prendre un peu de distance en croisant les doigts très forts pour qu’ils ne remarquent rien. Quand ils disparaissent de sa vue, il fait demi-tour et se dirige vers la sortie. Le chemin du retour est plus complexe que ce à quoi il s’attendait. Tant pis, toujours tout droit. Il marche vite, de plus en plus vite et se retrouve nez-à-nez avec une pancarte qu’il n’avait pas vu : « strictement interdit aux enfants non accompagnés ». Il se dit qu’on finira par lui tomber dessus, que c’est peine perdue : la sortie est introuvable. Un autre enfant, aussi perdu que lui, vient de l’apercevoir, justement. Il se dit qu’à deux ils pourraient être plus malins que les adultes. Ils se rejoignent rapidement car ils ont très bien compris ce qui se joue en ce moment, qu’il en va de leur liberté. L’autre porte un pantalon sans fioriture. Aucune raison de déserter, a priori. Mais les bleus qu’il cache sous ses manches lui disent le contraire. C’est une question de vie ou de mort. Ils pourront s’aider, trouver de quoi vivre. Il paraît qu’on peut chasser en forêt. Et ça tombe bien, on la voit à travers la baie vitrée.

Commentaire de l’auteur : J’ai écrit ce texte en repensant à un scène du film « Solo » qui se déroule dans un aéroport spatial. Mais à part ça, il n’y aucun rapport entre les deux. Aucun des personnages, aucunes des situations ne se ressemblent. Le reste, je ne sais pas d’où ça vient.

 



Tiers Livre Éditeur, la revue – mentions légales.
Droits & copyrights réservés à l'auteur du texte, qui reste libre en permanence de son éventuel retrait.
1ère mise en ligne 28 juin 2020 et dernière modification le 1er juillet 2020.
Cette page a reçu 307 visites hors robots et flux (compteur à 1 minute).