virtuose, virtuosité

La virtuosité est un paradoxe : on n’aime pas, c’est vite creux, c’est cultiver le prodige de la langue en lui-même. Quand on lit ce grand classique qu’est L’enquête sur l’évolution littéraire de Jules Huret, on découvre bien comment la virtuosité est ce qui meurt en premier dans l’héritage de la littérature. Mallarmé était-il lui-même si virtuose : son Tombeau d’Anatole c’est à chaque mot une mise en échec, et c’est cela qui nous emporte. Étudier la littérature, et même s’il s’agit de Proust et non de Balzac, c’est les voir à chaque pas se dépêtrer d’obstacles plus lourds qu’eux. Pourtant, cela vaut aussi pour la musique, mais le paradoxe s’y exprime autrement : la virtuosité est aussi ce à quoi on en appelle pour retrouver cette confrontation à l’obstacle. Pour entendre ce que désigne l’œuvre au-delà d’elle-même, nécessité qu’on se joue de la part technique. On suit le virtuose plutôt que le maladroit, il nous emporte plus loin. C’est toute une part ici de réflexion sur le métier : ça me frappe à chaque contact avec musiciens, artistes visuels ou auteurs nord-américains, cette acceptation du métier en tant que technicité assumée, maîtrisée. C’est aussi ce qui légitime le creative writing : on analyse, et si possible on cultive, l’ensemble des aspects techniques parce qu’on sait qu’ils seront annulés et dépassés dans le moment d’écrire. Ça me console de n’être pas virtuose, je ne sais pas : dans cette maladresse la voix, le grain. Ça reste pourtant, dans le moment d’écrire, comme un deuil, on voudrait tant s’arracher à tout ça, surplomber et voler, ou jongler. La littérature italienne autorise peut-être plus le virtuose que la littérature française.