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résidences


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Les résidences se sont imposées, en France, comme une modalité de la commande publique aux auteurs. Ça n’est pas venu d’un coup : le modèle mental on l’avait dans la tête — à la villa Médicis, de nombreux « pensionnaires » venaient en famille, et nous les célibataires on avait juste de minuscules logements, ma piaule avec terrasse sur le Pincio, plus exotiques. Idem pour les séjours ultérieurs à Berlin (Berliner Künstlerprogramm du DAAD) ou Stuttgart (Robert Bosch Stiftung). En 1986, quand on inaugure avec Didier Daeninckx et Bernard Noël le dispositif « Écrivains en Seine Saint-Denis », c’est une rupture : Didier habite déjà le 9-3 et aura un laissez-passer pour Roissy, Bernard s’implantera régulièrement dans l’imprimerie du journal Le Monde, nous on vient habiter tour Karl Marx, avec quelques matelas et planches sur tréteaux, trois étagères à livre (tout ça tient dans une camionnette, un an plus tard on l’emportera à Berlin, avec quelques Playmobil et lit d’enfant supplémentaire) dans un logement dont loyer, électricité, téléphone sont pris en charge par le département ou la mairie. Ce modèle s’est développé ensuite, avec une ambiguïté très lourde, à mesure de sa multiplication et institutionnalisation : ce n’est pas un contrat de travail, mais l’auteur doit prendre à sa charge une série d’interventions et d’ateliers, alors que dans mon propre parcours, le pacte même de l’atelier, et la place de l’auteur qui le mène, constitue de fait un travail, dans la pleine acception juridique et sociale du terme. Ainsi, dans les contrats standards de ces résidences, on a vu apparaître une formule indiquant que l’auteur devait consacrer « un tiers de son temps » à ces actions de terrain, ateliers ou rencontres. Mais un tiers de quel temps ? Comme je l’ai souligné à plusieurs reprises, et parfois vertement (n’étant pas concerné, la parole m’était plus facile), cela me vaut encore aujourd’hui quelques blackistages, y compris dans ma propre région — heureusement je joue en national et même en international, pas en deuxième division, mais je subis encore le contrecoup des propos diffamatoires d’un des ayatollahs de la chose. Résidence, on a obligation de venir dormir, manger, travailler dans le logement attribué, parfois on doit cependant fournir la voiture. Un tiers de ce temps c’est huit heures par jour, sept jours sur sept ? Ah non, on nous a répondu : « un tiers des trente-cinq heures »... ah bon, les trente-cinq heures ça concerne le temps de l’auteur ? Lire, écrire, réfléchir, correspondre ça ne doit pas dépasser trente-cinq des cent soixante-huit heures de la semaine ? On a vu ainsi fleurir une génération d’auteurs (le masculin pour simplifier) dont l’activité principale est d’être auteur en résidence professionnel, dans un circuit relativement clos, où elles et ils se succèdent. À noter l’exception de la Région Île-de-France, à l’initiative de Xavier Person, et dont le modèle a désormais plus ou moins essaimé : binôme de l’auteur et d’un établissement culturel (ou pas : même si trop rares, une entreprise peut en tenir le rôle). J’ai ainsi été associé aux médiathèques de Pantin, Bagnolet ou Argenteuil (expériences dont chacune a été marquante, et en plein noyau dur de mon travail — la Région impose cependant aux auteurs, et c’est normal, un temps de latence entre deux projets), à l’association scientifique S(cube) du plateau de Saclay (quelle belle expérience), en ce cas nulle contrainte de loger sur place, ni même de rendu d’un manuscrit, juste expérimenter ensemble. J’ai pu bénéficier de plusieurs autres initiatives comme celle-ci : une semaine sans quitter la Défense, ou bien, avec le Pôle des arts urbains de Saint-Pierre des Corps, mes expérimentations sur les ronds-points de l’agglo. Avec le lac de Grand-Lieu, où Arnaud de la Cotte invite des auteurs en les logeant, on a pu facilement et en amitié détourner la règle du jeu : mon lieu de résidence c’était ma voiture et différents bistrots, mais m’enfermer la nuit de peu d’intérêt pour ce Où finit la ville, publié chez Joca Seria. Mes expériences des résidences, avec charge de famille, ont donc été très limitées en trente-cinq ans de métier. Puis mon propre lieu de travail, ma propre bibliothèque et mon petit studio audio-vidéo, est-ce que ce n’est pas ma résidence principale ? Dernièrement j’avais candidaté à une prestigieuse fondation suisse, dans l’idée un, de me consacrer à une traduction inédite de Vilèm Flusser, dans un contexte mêlant vraie bibliothèque et croisement de langues européennes, deux un petit film d’hommage à un auteur frère et ami, Philippe Rahmy, décédé justement dans cette fondation alors qu’il y était en résidence. On m’a accepté, c’était super, j’aurais pu y être cinq semaines, dans un cadre exceptionnel. Las, on m’apprend que le nombre de nuitées avec partenaire est limité à trois consécutives sur cinq semaines : on inspecte vos lits (caméra ?), on surveille vos petit-déj. Je n’aime pas ça, je les ai envoyés bouler et tant pis pour la bourse confortable. On n’est pas encore sorti de préhistoire, avec les « résidences ».

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1ère mise en ligne et dernière modification le 6 mai 2021.
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