archéologie Dylan : les copains du folk

les amis Dylan des premières années, élargir le mystère qui fait qu’un seul est choisi


Dylan, archéologie : les copains du folk

en hommage donc à Tony Glover, sans lequel jamais nous n’aurions pu connaître musicalement la genèse de Dylan

Pour en avoir réécouté plusieurs aujourd’hui, et parce que mise à jour des réserves audio du site, je replace en Une ces extraits de ceux qui étaient les plus proches amis de Dylan dans ces années 61-63, plus en avant que lui souvent dans la démarche artistique, mais que sa propre fulgurance a comme occultés. Pour nous, toujours décisif d’aller démêler, dans ces surgissements comme nés d’une explosion, ce qui participait du collectif, de l’échange, d’un magma de l’époque, soudain résolu dans un seul.

Pour situer, aussi (pas le droit de les mettre tous en ligne, mais bon, je crois bien que je vais le faire quand même), quelques épisodes de mon feuilleton France Culture de 2006 avec Claude Guerre et Jean-François Néollier, rediffusé deux fois. Ceux qui concernent l’arrivée à New York et cette galaxie de musiciens du début...

 Feuilleton : Comment pousser les bords du monde, épisode 2, New York :

 Feuilleton : Comment pousser les bords du monde, épisode 3, Woody Guthrie :

 

Et ces archives très rares, pourtant de la belle guitare et des voix :

 John Koerner, My little woman.

 John Koerner, Southbound train, avec Tony Glover, harmonica.

 Dave Van Ronk, Bad dream blues.

 Marc Spoelstra (12 cordes), She’s gone.

 Eric von Schmidt, Blow whistle blow, avec Tony Glover, harmonica.

 Danny Kalb, I’m troubled, avec Tony Glover, harmonica.

 Geoff Muldaur, Downtown blues, avec Bob Landy et Eric von Schmidt, piano.

 

et c’est qui, quoi ?


Introduction d’octobre 2007 : la semaine dernière, à Lille, reçu à France Bleu dans l’émission rock qui est à l’écoute des musiques telles qu’elles se pratiquent sous le ciel Nord, l’animateur a pour surnom Tonton Sigismond, qui lui vient d’une chronique tenue dans ses tout débuts professionnels. J’ai souvent des réticences à ce ton radio qui se veut de proximité, rempli de cool et de tout à fait, quelques-un de ces rendez-vous radio région (et même Paris) se sont passés assez mal parce que je le suis pas, moi, cool tout à fait, et là je tombe sur un passionné de terrain, aimant sa région et son métier plus toutes les vadrouilles, et comme on a le même âge les références musicales sont évidemment les mêmes.

Il a apporté avec lui, pour me montrer, un disque Vogue de 1964, pochette traduite en français, où figure, à son étonnement, un certain BOB LANDY.

Ce disque, Blues project, je l’avais croisé dans le chantier du livre, mais jamais pu le trouver, même pas à la discothèque de Radio France lors de notre feuilleton pour France Culture (extraits), alors qu’on y exhumait des trésors comme l’intégrale de la revue Broadside...

Je reçois quasi chaque jour des mails de lecteurs redécouvrant Dylan à travers une histoire encore pleine de zones inconnues. Question première du livre, celle qui touche au hasard et au destin : qu’est-ce qui fait que, de tant de musiciens de même âge et même origine, jouant les mêmes musiques, un tel phénomène rejoint l’un d’entre eux et pas les autres ?

La première (et seule) année d’université de Dylan à Minneapolis, ses premiers mois à New York, sont un chemin rempli de visages, de musique partagée, où Bobby tient le second rôle, ou pas de rôle du tout.

Une fois l’explosion advenue, un de ces guitaristes chanteurs de Greenwich Village, Geoff Muldaur, obtient d’Elektra l’enregistrement d’un disque collectif, où il rassemble toutes ces voix qui n’ont pas percé encore, en attente du même miracle que pour Dylan.

Et Muldaur obtient que Bob lui-même participe. Il vient d’enregistrer son troisième disque (Times they’re a-changin’), il sera présent sous ce pseudonyme quelque peu transparent : BOB LANDY. Il jouera pour Muldaur un duo de piano avec Eric von Schmidt.

Mais, pour comprendre le contexte musical de New York à l’arrivée de Dylan, c’est un chantier de fouille à ciel ouvert.

Voilà John Koerner : Speedy Koerner, celui qui a fondé le folk-club de Minneapolis, en est le guitariste de pointe. Dylan s’enfonce dans les vieilles partitions, les vieux enregistrements, souvent ils chantent à deux voix. Koerner est un des premiers croisements professionnels de Dylan.

A Minneapolis, le début de la 2ème année, son copain le plus proche c’est Tony Glover : c’est lui, Glover, qui fait changer à Dylan son harmonica diatonique acheté par erreur contre un petit Marine Band Hohner avec les notes blues. Glover aussi qui enregistrera les Minnesota Tapes, les 3 séances avec près de 70 chansons du Dylan d’avant son premier disque. Glover fondera avec Koerner et Dave Ray (sur la pochette du disque, 2 très beaux morceaux de Dave Ray sont attribués par erreur à Dave & Ray !) un trio guitare harmonica. C’est Glover qu’on entend ici sur le disque à l’harmonica, derrière Von Schmidt ou Koerner.

Eric Von Schmidt, c’est le Koerner de Boston : celui qui tient la première place au club folk du campus d’où est issue Joan Baez, petit monde. Dylan apprendra plusieurs chansons de Von Schmidt, l’accompagnera à l’harmonica, et ils se retrouveront en décembre 1962 à Londres pour ce disque alcoolisé enregistré avec Richard Farina.

Et puis deux autres qui ont l’âge de Dylan presque exactement : il croise Danny Kalb à Wisconsin en janvier 1961, alors que parti de Minneapolis à Chicago il fait mystérieusement demi tour. Danny Kalb a appris directement de Dave Van Ronk, et pour Dylan c’est une accélération formidable. A New York ils se retrouveront souvent sur les mêmes scènes (après le disque, Kalb fondera un groupe auquel il donnera ce même nom, Blues project). L’autre, Marc Spoelstra, c’est le copain, l’alter ego, on se retrouve au bistrot le matin, on répète ensemble, c’est en duo avec la 12 cordes de Spoelstra que Dylan aura ses premiers engagements de festivals. Lorsqu’il décolle, il tente d’emmener Spoelstra avec lui, mais Marc préfère les circuits du blues rigoureux. Un autre étrange croisement entre les 2 musiciens, c’est que Spoelstra a été le boyfriend de Joan Baez avant Bob.

Enfin le patron, le "maire" du Village, Dave van Ronk qu’admirait tant Dylan, et qui le premier lui obtient un passage au Gaslight. Ici, un Van Ronk plus fragile que ce qu’il joue d’habitude, une chanson qui pourrait venir de Mississipi John Hurt (un des rares bluesmen noirs à jouer en résidence dans les bistrots du Village).

Non concernés par le folk, ne pas perdre de temps ici. Ces morceaux posent énormément de questions : souvent plus affutés techniquement que Dylan, ces musiciens rigoureux ne trouvent pas l’écart qu’il leur faudrait. On reconnaît les croisements, Reverend Gary Davis, John Lee Hooker (dont Dylan fera la 1ère partie, pour son 1er engagement au Gerdes Folk). Chacun d’entre eux aura une carrière plus qu’honorable, mais limitée au folk, alors que l’Angleterre en ce moment invente le rock.

Disque sans avenir, sauf dans la réserve personnelle de Tonton Sigismond à Lille, qui l’a numérisé pour nous, Blues project permet de traverser le tunnel du temps, revenir à Minneapolis avec Koerner, Dave Ray et Tony Glover, et à New York avec Van Ronk, Kalb ou Spoelstra... Les voici donc, pour eux qui ont déjà lu mon livre, mais sans les connaître musicalement.

 rappel : liens vers les musiciens cités plus haut
 photos : à France Bleu Lille, avec Tonton Sigismond : merci à lui du partage, avec quelques bons craquements des vieux 33 d’avant le vinyle...


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1ère mise en ligne 13 mai 2008 et dernière modification le 30 octobre 2010
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