vraiment un café avec des morts

enquêtes sur la réalité présente (quotidienne)


En fait, avec mes mauvaises lunettes (du moins, lunettes rayées et mauvaise vue), et aussi parce que c’est le matin tôt que je passe devant cette place, plusieurs fois que j’ai l’hallucination que ce café s’appelle Café de la mort. C’est idiot, jamais un patron de bistrot n’appellerait son établissement café de la mort. Mais ce n’est pas la première fois que j’ai cette impression-là. Ou alors, parce que ça m’est venu une fois, pour un rêve, pour un matin de pensées tristes, ça resurgit ainsi, au hasard des passages. Je sais le nom de la place : place de la Résistance. C’est un grand café classique, mais la ville a déplacé ses circulations, ses places de stationnement, ses centres nerveux : il y a quelques années, on s’abouchait volontiers sur cette petite rue piétonne, qui mène au centre. L’autre jour, j’y suis passé à pied : il reste quelques boutiques, de fringues pour la plupart, et plus du tout ces choses un peu curieuses d’autrefois, avec le bouquiniste qui a fermé, et la librairie qui a déménagé. Et la place, on ne peut plus s’y garer. Cette fois, j’aurais pu vérifier, mais je n’ai même pas dû le voir, au passage, le café. C’est en voiture, au feu, dans cet angle. Je ne parviens pas, sur la peinture sombre, à déchiffrer l’enseigne. Ce n’est pas, bien sûr, café de la mort. Pourtant, dans cette idée précise et liée pour moi à ce rêve fait une fois et dont je n’ai plus le détail, c’était une grande salle sombre qui correspondait bien à celle-ci, comme du dehors on l’imagine. De la distance entre les gens, mais les gens sont des morts. Ils attendent. Il semble important, dans la ville, qu’existe pour les morts un lieu qui ne soit pas de simple relégation, de mise sous terre, ou le crématorium de ciment, à double four. Dans le rêve, vaguement, on pouvait avoir rendez-vous, avec ses morts : on venait là, à leur table. Je me souviens des yeux : on reconnaissait ses morts, mais on ne pouvait en fixer les yeux. Dans l’idée du rêve, aussi, on ne parlait pas tant que ça. Ou bien, c’était soi, qui parlait, et l’autre écoutait, intensément écoutait, mais sans répondre – et pour cause. Mais c’était important, de venir là et dire. Ce matin encore, je me suis promis qu’un de ces jours j’essayerai, à pied, de venir passer dans la vitrine sombre, du bistrot désert, et tâcher de repérer une bonne fois comment il s’appelle. Pourquoi, pourquoi celui-ci et nul autre ? C’est un pressentiment, forcément une raison là-dessous.


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 19 mars 2008
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