votre chanson préférée de Led Zeppelin ?

entretiens à partir de « Rock’n Roll, un portrait de Led Zeppelin »


ça y est, c’est en librairies, FNAC, Virgin etc... - rayon musique évidemment, confondons pas le rock et la littérature !

premier agenda :
 vendredi 12, 13h, direct RTBF
 vendredi 26, Paris, 19h, librairie Pensées Classées (9, rue Jacques Coeur, Paris Bastille)
 Sauramps (Montpellier) 17 octobre, Kleber (Strasbourg) 8 novembre

 

Ce jeudi 4 septembre, avec l’arrivée de Led Zeppelin en librairie, peut-être que la principale mention du livre, pour moi, c’est à la toute fin, les deux dates : 2002-2008.

J’ai raconté comment l’idée de ce livre m’était venue un matin, dans un cimetière de Kyoto, au Japon. L’idée qu’on pouvait appeler les morts (les Stones ont beaucoup de morts sur leur route, mais il s’agissait de sculpter des vivants).

C’est une des petites curiosités mineures de l’époque : on nous propose beaucoup moins à lire de compte rendus critiques, mais beaucoup plus souvent de parler nous-mêmes, via entretiens. Je refuse les entretiens téléphoniques. D’abord je les réussis mal : soit je suis dans mon petit bureau, avec les tracas, le pianotage sur écran, les courses à faire ou la sortie d’école qui se pointe, ou je suis derrière mon grillage, avec les voisins qui saluent et les voitures qui passent, dans les deux cas, difficile de se concentrer. Et puis c’est trop les mêmes questions, ou plutôt la même technique : « Alors vous voulez dire que… » ou « Alors on pourrait dire que… » et proposition d’une phrase dont vous savez que vous la retrouverez comme si vous l’avez dite… Je n’aime pas trop non plus les émissions de radio éclair : on vous propose de parler 3 minutes, mais comme c’est déjà le temps qu’il me faut pour finir une seule phrase, je sens bien que ce n’est pas le vocabulaire de mes interlocuteurs (1, la nostalgie, 2, la chanson préférée, 3, ce qu’on pense d’eux maintenant, 4, vous écrivez sur quoi maintenant merci François Bon au revoir je rappelle votre livre…).

Quel bonheur, en revanche, au hasard d’une station FR3 de province (Tonton Sigismond à Lille !), vous voilà avec un amateur passionné qui a amené ses tickets d’entrée de tr !s vieux concerts, ou lorsque à France Culture Alain-Gérard Slama a dit son incompréhension radicale à écouter Dylan, ou lorsqu’on dérive avec Alain Veinstein, ou l’accueil et l’attention de la RTSR, ou ce studio de Radio Judaïca dans les sous-sols de la grande synagogue de Strasbourg, quand on est parti sur Dylan et la poésie, ou les tribunes imprévues qu’on se voit offrir (par le MKII, l’an dernier) et bien d’autres rencontres.

Alors je sais que c’est une rançon brève, dans trois semaines plus personne ne vous le proposera, mais quand même, un petit goût de luxe désormais, qui fait apprécier qu’on vous pose les bonnes questions. Celles qui me plaisent ? Non, plutôt celles qui me dérangent, me renvoient dans mes doutes. En tout cas, celles qui ne font pas l’économie de l’écriture, ou de la complexité qu’il peut y avoir à attraper une époque par ses fonctionnements symboliques, dans cette mutation où s’invente quand même quelque chose d’essentiel, l’amplification marchande d’une fonction populaire ou rituelle, la musique. Et qu’il y a eu mort d’homme (John Bonham).

Voici mes trois premiers entretiens par mail. D’abord pour remercier leurs trois questionneurs, Norbert Czarny pour la Quinzaine Littéraire, Olivier Menu du Républicain Lorrain, et Rémi Bonnet de L’Écho Républicain.

J’ai déjà mis en ligne l’article que m’avait généreusement demandé Le Monde 2 en décembre 2007, à l’occasion de la reformation de Led Zeppelin. Et merci aussi aux Inrocks pour leur extrait et entretien paru en juillet, ainsi qu’à Sylvain Bourmeau pour l’entretien vidéo réservé aux abonnés de Mediapart.


  entretien avec Norbert Czarny, pour la Quinzaine Littéraire
  entretien avec Olivier Menu pour L’Est Républicain
  entretien avec Rémi Bonnet pour L’Echo Républicain

J’aime bien le principe de l’entretien mail. Je choisis le moment pour répondre, on a échangé auparavant avec l’envoyeur, et je le fais en temps réel, souvent en train, ou bistrot ou autre, mais pas à la table de travail. Et j’aime aussi l’idée d’utiliser le traitement de texte comme outil d’improvisation, le pousser à la limite de l’oral, laisser de l’ellipse.

Et je sais bien, c’est ça qui est chouette désormais avec les sites, que mes prochains interlocuteurs seront passés traîner par ici. Alors peut-être inaugurer une autre étape, questions qui s’enchaînent, se complètent, et surtout pas revenir aux mêmes : un entretien, c’est toujours un peu le match d’impro, et, s’il s’agit de rock’n roll, autant qu’on s’amuse nous aussi, des deux côtés de la plume ou du micro…


entretien avec Norbert Czarny, La Quinzaine littéraire, version intégrale

1 - Vous avez consacré une biographie aux Rolling Stones, et à Bob Dylan. Ici, c’est le mot rock’n roll que vous mettez en relief, et celui de portrait. Quelle continuité et quelles différences (singulier ou pluriel) marquez-vous ainsi entre ces trois livres ?
Pour moi, plutôt une sorte de monolithe, ou un outil optique. L’archéologie des Stones pour toucher images, objets, peau de la mutation des années 60. Dylan un peu en amont avec l’assassinat de Kennedy, le mur de Berlin et la guerre froide. Et Led Zeppelin marqueur des années 70. Ce qui est commun, c’est une possibilité sans limite de reconstituer un réel extrêmement documenté, documentation encore en phase d’accumulation, avec une large part réservée à l’enquête personnelle. Ce qui est différent, c’est évidemment ceux dont on parle : Dylan, énormément d’énigme, et par contre la littérature (Rimbaud, les surréalistes, Ginsberg) comme prime permanent. Led Zeppelin, une sorte de mon étanche, à l’art contemporain de leur temps, à la culture en général, et pourtant ils se hissent pareillement à être incarnation d’une époque. D’où briser avec la linéarité, faire marcher le livre au rythme de l’enquête plutôt que la chronologie. Il y a toujours au bout le même mystère : au départ, des types à qui nous tous on a ressemblé, la province, trois accords de guitare. Qu’est-ce qui fait que c’est sur eux que le destin a catalysé ? Et comment, de l’intérieur, au prix parfois de la littérale destruction (Brian Jones, John Bonham), leur invention s’est à son tour hissée là ?

2 - Ces trois livres occupent sans doute une certaine place dans votre travail de romancier. Pouvez-vous préciser laquelle, sachant que vous refusez le concept d’écriture rock, que vous parlez, page 105 d’ « écrire lourd » ?
Je n’ai jamais été « romancier ». Jérôme Lindon rajoutait la mention sur tous ses livres, Echenoz non plus ne l’indiquait pas. Je n’ai jamais perçu la littérature autrement que comme mise en réflexion de ce qu’on ne comprend pas du monde. Les « vies » en sont une des longues traditions, depuis l’origine. Je ne sais pas si on travaille jamais autrement que sur ou au travers de soi. Je n’ai pas d’histoire personnelle particulière. S’il y en a une, elle est entièrement dans le court texte écrit à la mort de mon père, « Mécanique ». Hors, pour ce même âge, et au même temps, pour Keith Richards ou Bob Dylan, ou Jimmy Page, on a ces mines de témoignages, photographies, documents filmés. Ils constituent une histoire qu’au même moment nous ne savions pas être histoire, même si Michel Foucault, Michel de Certeau, Roland Barthes, Georges Perec, posaient cette surface très mince, au même moment, dans son enjeu propre. Il se trouve, par ailleurs, que cette très mince couche est devenue un élément déterminant dans le chemin du monde, la domination uniformisée de l’anglais, les maisons d’édition et les télévisions aux mains des marchands de missiles ou des rois du béton. En travaillant sur l’émergence du rock, on voit tout cela se fabriquer. Alors bien sûr, pas de tentation populiste ou simplificatrice de la langue : la violence, par exemple, est une question trop complexe pour des ouvre-boîte trop simples, ou mimétiques. Mais j’écris avec ça dans les oreilles. La musique c’est quand même un tunnel spécifique : on se glisse dans l’écoute, elle vous dépose à l’autre bout du temps. Pour Led Zeppelin, c’est un mystère supplémentaire par rapport aux Stones ou à Dylan : la question du rythme, la frappe de peau de Bonham, est l’élément essentiel. Comment en rendre compte ?

3 - Ce livre est aussi une plongée dans les années soixante-dix : que représente cette époque pour vous ? Quel rapport entretient-elle avec celle que nous vivons ?
Si je le savais, je n’aurais pas besoin de l’écrire. On n’a pas encore commencé le bilan. La facilité de se déplacer, mais aussi la première rupture avec l’euphorie marchande, les 500 000 chômeurs, la 1ère crise du pétrole. Mais aussi le droit de vote à 18 ans. Les expériences limite de la drogue passant de l’élite artistique à la consommation de masse. Et pour ceux de mon âge, des virages non prémédités, rupture avec idée trop simple du politique, et sans doute grand désarroi au bout, puisqu’à Moscou, en juillet 1978, je m’achète un cahier et je mets à écrire.

4 - La technique et en particulier certains progrès en matière d’instruments ou de diffusion du son (nouvelles guitares, nouvelles batteries, apparition du 45 tours) joue un grand rôle. Quelles répercussions cela a-t-il eu selon vous ?
C’est ce qui me mettait en rage, dans la masse des livres qu’on peut déjà consulter, dans le monde anglo-saxon, sur cette naissance du rock (135 bouquins disponibles sur Led Zeppelin : preuve quand même qu’ils prennent ça un peu plus au sérieux qu’ici), c’est trop de simplification. En littérature, ce qu’on a appris aux travaux sur Flaubert, sur Proust, sur Céline, c’est l’importance de la genèse. Et l’importance du contexte. Tenter de savoir comment et pourquoi les Beatles et les Rolling Stones ont pu trouer la domination du jazz, sans s’interroger parallèlement sur la pénétration de la télévision ou l’apparition du transistor. Il n’y a qu’à partir d’un certain grossissement de microscope que tout cela devient intéressant : les voitures, les maisons, le fric. Alors oui, très concrètement, dans une constellation de points minuscules, on travaille à même la représentation du monde. Quand Jimmy Page gagne 3 sous, à partir de ses 13 ans, il change sa guitare pour une qui vaut 7 sous et ainsi de suite. Si on ne regarde pas de près la guitare, on n’entre pas dans ce qui seul nous importe, le mental.

5 - Vous parlez du rock comme d’un « mode de destruction naturelle » (p 45). Pouvez-vous éclairer cette expression ?
C’est dans Artaud qu’il faut chercher la solution, s’il y en a une. On n’invente pas, en art, sans une posture excessive. La posture excessive ne suffit pas, à elle seule, à garantir que cette invention vaille. Passionnant comment la vieille Angleterre fait des 6 Rollin’ Stones, à leur début, alors qu’ils sont des garçons sages et des puristes du rythm’n blues, des mauvais garçons, bien avant que l’idée leur en vienne. Ils découvrent tellement jeunes, et pareil pour Dylan, les Who, le Zeppelin, et idem pour Morisson, ou Hendrix, ou Janis, ou plus tard Clash et tant d’autres, avoir été projetés dans l’absolu d’être artiste. Le corps tient le coup, et il est confronté à une expérience extrême. Le plus passionnant dans les interviews des Zeppelin c’est peut-être ça, l’expérience non maîtrisable de la foule, la violence à exercer sur soi pour l’excès du concert. Peut-être que Keith Richards, qui aura 65 ans à Noël, est en mesure aujourd’hui de réfléchir en quoi l’excès, qui aurait pu mille fois le détruire, n’était pas une condition nécessaire à sa posture de guitariste et sa part de génie propre, une certaine raideur dans le rythme. Bien certainement qu’il répondrait, darling, qu’il referait la même chose exactement… Reste que nous on doit passer par les morts.

6 - Led Zeppelin, ce sont aussi quatre créateurs, des univers très forts, si l’on pense au guitariste Jimmy Page, et à sa fascination pour l’occultisme. Quel lien feriez-vous avec ce qui constitue votre quotidien, l’écriture ?
Pour Led Zeppelin, une grande partie du travail a été de déconstruire la légende pré-déterminée. Dont l’occultisme, les partouses, l’héroïne et autres. Ce qui ne veut pas dire que cela n’a pas été : mais il faut le situer dans une temporalité, des échelles plus précises. Ce qui caractérise aussi Jimmy Page, c’est une forte oscillation entre l’univers des beaux arts et la musique, c’est le fait d’avoir été fils unique un peu trop gâté par des parents absents, qui compensaient par les électrophones et les orgues électriques, avec au-dessus de la tête le bruit des avions de l’aéroport proche. Et le lien, toujours, un seul : on s’acharne au travail, mais pas de garantie, d’aucune sorte. On prend plutôt des coups, on se fait snober sur la démarche, retour à la question de départ : on a toujours une ou deux catégories à réviser – non pas « romancier qui écrit sur le rock », mais que l’écriture, à un moment donné, puisse vous appeler dans ces zones limites du réel. Alors oui, à cet endroit, les musiciens sont des guides. Ils vont plus avant que nous dans la nuit.

7 - Dans ce livre comme dans celui sur les Rolling Stones, on est frappé par la fin, ou plus exactement par le fait qu’il n’y a pas vraiment de fin. C’est comme si vous renonciez (c’est surtout le cas pour les Stones). Pourquoi ce renoncement ?
Dans le livre sur les Stones, la jouissance à l’écriture biographique c’est qu’elle est circulaire. A un moment donné, et là c’était en racontant leur brouille de 1983, la totalité du portrait présent a déjà passé, ne serait-ce qu’en négatif, image à écarter, dans les chapitres précédents. Et fin ouverte, parce que ces types vivent, travaillent. Peut-être qu’à la sortie du 2ème tome des « Chroniques » de Dylan je devrai remettre mon livre sur le métier. Ce que j’ai perçu, de façon aigue, c’est d’avoir à ouvrir une porte, un chemin, vers ce nœud d’intensité. Il n’a pas de frontières. Pour Led Zeppelin, si, la stèle sur la tombe de Bonham, à la fin du livre, où un zigoto est venu, un jour, piquer les cymbales scellées par la famille dans le ciment. Travailler sur une fin ouverte. Phrase récente de Stephen Hawking : « l’univers est un objet fermé sans frontières ni bords ». De même il reste tellement de mystère sur l’enfance, et tellement de murs de silence. Dire à la fin : Robert Plant, mais baladez-vous à Barbès, vous avez une chance de le croiser, continuez vous-même…

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Entretien avec Olivier Menu pour l’Est Républicain, version intégrale

1 - Après les Stones et Bob Dylan, vous avez préféré vous attaquer à Led Zep plutôt qu’aux Beatles, ce qui aurait été une manière logique, mais aussi peut-être trop classique, de boucler la boucle. Est-ce à dire que vous placez le Dirigeable au dessus des Fab Four ?
Je n’ai pas raisonné de cette façon. Je crois que je pars de ma propre adolescence, et que la musique c’est une sorte de tunnel pour trouer le temps. Led Zeppelin, on l’a vraiment beaucoup écouté. Et c’est aussi une musique qui m’a accompagné en permanence. Les Stones c’étaient les années 60, Dylan ce qu’il y avait en amont, et Led Zep une façon d’aborder les années 70. Je ne crois pas que je me lancerais dans un tel travail sur les Beatles. Ou alors sur la vie de John Lennon. Mais je n’ai pas encore les éléments, cet enfermement de la fin, comme une renonciation.

2. Comment expliquez-vous le formidable succès rencontré par Led Zep dont les membres n’avaient pourtant rien de glamour ? Au charisme du frontman et ses pantalons moule-burnes, à leur énergie, au talent de guitariste et de compositeur de Jimi Page ou à l’absence d’adversaires dignes de ce nom ? Car pour en revenir aux Beatles - on en revient toujours - la concurrence des 60’s (Stones donc, mais aussi Kinks, Who, Beach Boys, Creedence, Doors, etc.) était autrement plus relevée...
C’est pour ça que c’est un matériau extraordinaire pour comprendre ce qu’est la musique : aucun des quatre ne peut seul atteindre au génie. Mais en quatuor, constitué pourtant arbitrairement, avec beaucoup de hasards, ça devient hypnotisant. Je n’ai pas l’impression de concurrence, entre eux tous : plutôt la force du blues, cette façon de jouer plus fort. On avait l’impression de percer la peau de la variété, de la chanson toute prête, d’avoir à faire à la matière.

3. Question stupide : quelle est votre chanson préférée de Led Zep, sinon votre album, préféré, et pourquoi ?
Ce qui m’impressionne, pas seulement pour Led Zep, mais pour Hendrix et d’autres, c’est qu’on aborde seulement maintenant ces parcours comme une œuvre, une construction. Pas quelque chose de volontaire, mais qui s’invente à mesure. Tout le temps qu’on travaille sur un groupe, on écoute plutôt les alentours, les versions studios, les brouillons, les ébauches, pour Black Dog c’est impressionnant : c’est le bassiste, John Paul Jones qui invente le riff. Le premier album est inusable. Physical Graffiti reste celui auquel je reviens le plus souvent. J’aime beaucoup Presence, enregistré en dix jours à Munich, et les chansons jouées en direct à la BBC (BBC sessions). Mais, je répète, le chemin compte plus que les effets best-of. Je déteste les compils. Et, même quand je repasse le IV, la plupart du temps je zappe Stairway to heaven.

4. Le groupe s’est reformé exceptionnellement en décembre dernier pour un unique show. Faîtes vous partie de ceux qui attendent fébrilement une nouvelle tournée, voire un nouvel album, ou pensez-vous que le passé, c’est le passé, et que le groupe n’aurait rien à y gagner, sinon s’offrir deux ou trois nouveaux manoirs de plus ?
Non, pas de fébrilité, et pas de nostalgie non plus. J’ai toujours l’impression que la musique, le fait de l’avoir tellement écoutée autrefois, permet de voyager dans le temps. De revenir voyager avec eux dans cette nuit à rouler de Lyon à Nancy, le 26 mars 1973, ou de cette incroyable nuit qui a suivi, Bonham enfermé par la police et les roadies de Led Zep attaquant le commissariat. J’ai retrouvé un article d’André Greiner, du Républicain Lorrain, sur les coulisses du concert. Et dans les bouquins sur Led Zep, une erreur de Richard Cole avait remplacé Nancy par Nantes : le plaisir de la biographie, c’est d’aller reconstruire tout ça. Pour le présent, j’ai un immense respect pour l’itinéraire de Robert Plant, son ouverture aux musiques d’Afrique. Je n’ai pas essayé d’aller au concert de décembre.

5. Dans votre livre, vous semblez manifester une grande affection pour John Bonham, alors que le gaillard n’avait rien d’un enfant de choeur, de même que Peter Grant, leur catcheur-manager. Cette image sulfureuse du groupe a-t-elle servi, selon vous, à asseoir sa notoriété ?
On ne travaille pas à l’affection. Bonham, avec Hendrix, Morrison, Brian Jones, c’est le cimetière du rock, par où a passé la légende. Et surtout un mystère : le fils d’un maçon charpentier de la banlieue de Birmingham, qui quitte l’école à 16 ans, joue dans des petits groupes du coin, et devient tout à coup, avec un guitariste vieux routier du pop, la marque d’un son exceptionnel, un renouveau complet de la batterie… Et, pour Peter Grant, que la meilleure musique du monde ne saurait pas s’imposer s’il n’y a pas, derrière, comme Brian Epstein pour les Beatles ou Andrew Loog Oldham pour les Stones, un coup de poker côté finances et production. Et, dans ce cas-là, ce géant, ancien catcheur, ça mérite d’y aller voir de près. Y compris sur comment on nous fabriquait de la légende, bien excessive, bien sulfureuse, bien noire. Mais la légende sans la musique ça ne suffit pas.

6. La drogue et les excès en tous genres ont marqué la carrière du groupe : comment expliquez-vous cet entêtement à l’autodestruction alors qu’ils se trouvaient sur le toit du monde ? Ou formulé inversement : auraient-ils eu la même carrière et la même veine créatrice sans l’usage de substances illicites ?
Ça c’est le mystère. Ça m’avait frappé pour Keith Richards : à 26 ans, un immense accomplissement musical, et s’enfoncer dans la drogue. Pour Led Zep, l’enfoncement dans la cocaïne, puis l’héroïne pour Page, n’est pas lié à l’invention musicale, comme elle peut l’être pour Hendrix. Mais des gamins de 24 ans soumis à une telle pression, comment ils peuvent s’en défendre ? L’excès en tout est lié au rock’n roll : alors ils acceptent cet excès, Bonham va y laisser sa peau, Page frôlera, et par contre Plant et Jones restent à distance. Ça veut dire que personne ne règlera cette question, elle nous traverse tous à égalité, pour tout ce qui concerne la traversée de notre propre adolescence. Mais l’histoire individuelle des musiciens d’un groupe comme Led Zeppelin permet de travailler sur comment on résiste ou pas. Et le lien que ça peut avoir avec la part de génie en soi-même, pour eux la musique, et quelle musique…

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entretien avec Rémi Bonnet pour l’Écho Républicain, version intégrale

1 - Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire sur Led Zeppelin ? Une nostalgie de votre adolescence ?
Le besoin de revenir voir de plus près les années 70. En France, c’est toute une suite de changements : le droit de vote à 18 ans, le droit à l’avortement, la première crise du pétrole, les 500 000 chômeurs, la télévision couleur. Led Zeppelin, c’est exactement le marqueur des années 70, alors que les Stones à ce moment-là accèdent à une sorte de coquille dorée. Pas de nostalgie, mais, pour chacun de nous, bien sûr l’obligation de travailler sur sa propre adolescence. Et c’est vrai que Led Zeppelin a beaucoup compté, on les a énormément écoutés, attendus.

2 - Vous écrivez sur le rock alors que vous avez l’air de croire que rock et littérature ne peuvent pas se mélanger. N’est-ce pas un peu paradoxal ?
J’ai seulement dit qu’il n’y avait pas une façon, populiste ou argotique par exemple, de parler du rock avec la langue. Ce sont des destins complexes, violents, qui demandent toute la ressource de la langue française. Et il ne s’agit pas d’en parler parce que c’est le rock, mais bien parce qu’à un moment donné le rock devient symbole de la mutation qui s’amorce.

3 - Tout au long du livre, on sent une certaine fascination pour John Bonham. Pourquoi lui ? Parce qu’il est mort jeune ?
La littérature a toujours d’abord affaire aux morts. On doit franchir des miroirs, entrer dans le passé. C’est une opération longue, un peu magique. On convoque les morts, et on les suit. Si la littérature c’était un boulot de bibliothèque et d’archiviste, mieux vaudrait faire autre chose. C’est notre saut à l’élastique à nous, d’appeler les morts.

4 - Jimmy Page semble être un personnage très mystérieux. Il rechigne beaucoup à évoquer son passé...
Page refuse, en effet, toute élucidation de son propre itinéraire : les simplifications qu’on leur a collées aux basques n’ont pas dû être toujours faciles à vivre. Alors, à nous de nous débrouiller avec les pistes accessibles, le guitariste prodige exhibé en tournée à 16 ans, le choix de s’inscrire en école des Beaux-Arts à 18 ans, la tentation de l’occultisme, avec le rachat des reliques de ce mage un peu faisandé, Aleister Crowley. Mais il y a d’autres volets à la personnalité de Page : n’avoir jamais conduit une voiture, avoir été un des premiers collectionneurs des pré-Raphaëlites comme Burn-Jones… A nous de mettre ça en relief, de composer le puzzle, même s’il nous en refuse la clé.

5 - Led Zeppelin n’est-il pas une relique des années 70, archétype parfait du groupe de rock, avec le style de vie qui va avec ?
Si c’était une relique, on n’écouterait pas aujourd’hui cette musique comme on le fait. Ce qui est spécifique au rock, c’est cette amplification à échelle de la planète, cet excès mis sur les épaules de types de vingt ou vingt-cinq ans. Et, paradoxalement, sans cet excès, ils n’auraient pas accédé à leur propre invention. C’est ça, qui mérite d’être démêlé, parce que le succès a entraîné une énorme profusion de témoignages, d’archives : comme un chantier de fouilles archéologiques, sur une question qui évidemment nous concerne tous.

6 - Le punk qui a déferlé n’a-t-il pas rendu obsolète Led Zeppelin et son aura mystique ?
J’adore écouter Clash ou Sex Pistols, et la naissance de ces groupes est assez similaire à celle de Led Zep. C’est aussi un point curieux à regarder : les nouveaux venus leur prennent leurs propres symboles, jouent dans des endroits où ils n’ont plus accès, condamnés à leurs immenses stades. Et l’inverse aujourd’hui : Robert Plant participant avec Tinarimen au festival du Désert…

7 - N’y a-t-il pas une cassure après Led Zep IV ? Comment l’analysez-vous ?
La cassure, dans ce cas, s’appelle Physical Graffiti, qui est leur plus grand disque. Dans ces douze ans qu’a duré le groupe (1968-1980), il y a une sorte d’explosion préliminaire, avec ce Led Zep IV, le disque sans nom, une sorte de monolithe d’un seul bloc, composé à la campagne, à Headley Grange, en plein hiver, chacun dans une pièce, le camion des Rolling Stones accolé aux fenêtres du salon pour enregistrer, et qui les oblige ensuite à déployer autrement leur musique. La dernière partie de l’histoire du groupe est marquée par l’accident de voiture de Plant, la perte de son fils Tarak, les problèmes d’héroïne de Page, mais c’est bien après le IV.

8 - Vous accordez beaucoup d’importance aux marques d’instruments (guitares, batterie...), comme si vous décriviez une armée en guerre. Pensez-vous que ces détails soient si cruciaux ?
Guerre ? Je ne crois pas. Ce qu’on a à comprendre, c’est impalpable : ça concerne le destin, les hasards, le génie ou l’invention. Alors il faut mettre à son service le moindre renseignement technique. Bonham est quelqu’un qui révolutionne l’usage de la batterie, et Page un vieux requin de studio (c’est lui qui produit le A tout casser de Johnny Halliday) qui change les règles des enregistrements de studio. L’histoire de ses premières guitares, c’est une des façons de suivre avec un peu de précision son parcours : il y a des biographies qui passent en dix ou douze lignes sur ce qu’il fait à 18 ou 19 ans, alors que c’est probablement à cet âge que l’alchimie est principale.

9 - Quels sont les souvenirs personnels les plus forts que vous voulez conserver de Led Zeppelin ?
De mon côté des manettes, on a moins à travailler avec tel ou tel souvenir marquant, que de les assembler en fresque. De Robert Plant jeune cantonnier torse nu, que ses copains surnomment Elvis, à celui qui apprend en tournée, en 1977, au fond des USA, le décès de son fils de 5 ans, ou à cet homme qui passe sans transition d’une ferme isolée dans le pays de Galles à la pression d’un stade et tous ses décibels dans la voix, notre travail c’est plutôt de ne pas choisir, et les faire tenir ensemble.

10 - Vous abordez aussi en partie le thème de la mémoire, notamment les souvenirs que l’on garde d’un concert, plus de trente ans après, comment certains détails restent... Comptez-vous aborder ce thème plus profondément dans un prochain livre ?
C’est là où la littérature garde sa force : si on prend cette semaine folle de 1973 où Led Zeppelin joue à Lyon, à Nancy et à Saint-Ouen, on va retrouver des photographies prises en coulisse, des bouts de film pirates de ce qui se passe sur scène, des souvenirs de copains qui y étaient, des articles de presse locale. Et puis aussi les souvenirs du groupe : à Lyon, ça se passe mal, la police charge, alors ils louent deux voitures, une Volvo et une Mercedes, et partent tout droit à Nancy en pleine nuit, avec le problème que Bonzo est soûl et veut conduire quand même. Alors, progressivement, on voit se recomposer une époque, alors que nos propres souvenirs sont partiels, et très flous.

11 - Quelles correspondances voyez-vous entre vos héros : les Stones, Dylan et Led Zep ?
Je n’écris pas depuis un choix extérieur. Mais simplement parce que , quand j’écoute ces trois-là, ou Jimi Hendrix, je retrouve immédiatement les sensations éprouvées à la première écoute. On a chacun quelques passeurs de temps, comme ça. En fait, j’avais commencé le Led Zep bien avant d’écrire sur Dylan, mais à un moment je bloquais : les paroles sont frustrantes, eux-mêmes pas du tout bavards, et c’est comme si l’histoire intellectuelle et artistique de leur époque ne les concernait pas. Alors je suis parti dans Dylan, qui était tout le contraire. Je suis revenu à Led Zep plus fort, en me disant que c’était dans ce côté physique qu’il fallait que je les pêche.

12 - Et les Beatles dans tout ça ?
L’enfance et la vie de John Lennon c’est aussi une de ces grandes tragédies où on retrouve les forces vives du siècle, la guerre, comme sa poésie, le surréalisme, ou son engagement dans le mouvement pour la paix. Mais j’ai du mal à démêler ses dernières années, on n’arrive pas à croire à un tel renoncement, un tel abandon. Et, musicalement, c’est pourtant lui seul qui m’intéresse : les 4 ou 5 versions successives de Strawberry Fields. Tandis que les Stones, je peux toujours les écouter…

13- Contre toute attente, Led Zeppelin s’est reformé récemment pour un concert. Comment voyez-vous une telle réunion ? Si une tournée était annoncée, iriez-vous les voir ?
Il semble que Robert Plant ne participe pas aux séances d’enregistrement qu’a organisé Jimmy Page, avant d’aller représenter l’Angleterre aux jeux olympiques à côté du footballeur Beckham. L’an dernier, il semble que Jeff Beck et Page avaient travaillé ensemble pendant une période, les retrouvailles des deux copains de lycée ça m’excitait plus. La force de la littérature, c’est de pouvoir réouvrir et revivre les tournées de 1969, d’être plus fort que le présent.

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1ère mise en ligne et dernière modification le 10 septembre 2008
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