Led Zeppelin : si la littérature périscope

entretiens sur bio, roman, écriture


Complément du 31/1 : toujours très curieux de constater combien, lorsqu’il s’agit d’un fait de légende comme les Stones ou le Zeppelin, chacun peut témoigner de sa propre histoire, et combien et par quoi elle est datée : ainsi de Kill Me Sarah, titre d’un blog où réciproquement, tout au long du chantier du livre, j’ai découvert tant et tant de musiques pour moi continents inconnus...

Il n’y a pas : la tâche d’écrire s’est toujours confondue pour moi avec les inconnues de la représentation du monde. M’a toujours fasciné dans l’illusion littéraire là où elle reconstruit un monde, depuis tout gosse aux Jules Verne ou au Meaulnes, puis ensuite la chute Balzac, ou la présence Kafka. Après, j’ai coupé. Justement parce que l’époque que nous traversions, au sortir de l’adolescence, mettait en avant d’autres fétichismes, nos guitares, les tracts sur la Gestetner et les grandes manifestations. J’ai rembrayé tard à la littérature, 10 ans de coupe : 26 ans, c’est Flaubert intégral, Proust comme médiation globale, puis Blanchot (dans le genre de la petite note dans Faux Pas : « Les quelques-uns qui ont lu Au-dessous du volcan savent ce que je veux entendre... » et voilà, on s’en va chez Lowry, on ne revient pas). Mais, dès tout gosse, et pour lien autobiograhique, la même chose à Georges Simenon...

Même Rimbaud, hors les souvenirs scolaires balisés du Bateau ivre ou du Dormeur du val (qui devraient être d’usage interdit, avec La Métamorphose de Kafka et (L’albatros ou autres baudelaireries de service, pour obliger à aller voir ailleurs), ma première vraie lecture c’était Prague en 1979, en chantier à l’usine de moteurs d’avion Motorlet : simplement, je ne l’ai plus quitté depuis, pas plus que mon Proust, ou que j’aurai la chance, vers 1990, de commencer à lire Saint-Simon.

C’est indivisible. C’est cette vieille phrase d’Aristote en tête de sa Poétique : « Qu’est-ce qui pousse les hommes à se représenter eux-mêmes ? » Ou ce qui nous relie indissolublement à la notion même d’épopée, et l’instance du tragique.

Alors, où est-ce qu’on peut aller le prendre, nous autres, pour qui l’adolescence a été ce bruit électrique qui tout d’un coup nous sortait de nos horizons de village, venu avec la perception du monde en couleur, et nos premiers apprentissages du surréalisme ? Il y a cette phrase de Roland Barthes : On écrit toujours avec de soi et ce magnifique usage à faux du de.

Alors c’est comme de pratiquer le web à temps complet, le seul lien qu’on puisse avoir à la littérature, nous autres, à tâtons, dans l’obscurité où on est, et le minuscule établi, c’est d’obéir. Grand comme un timbre-poste, disait Faulkner, une lucarne, disait Kafka. J’ai trouvé la mienne il y a très longtemps, infiniment longtemps : une photo de Keith Richards affichée dans ma piaule, avec collage du titre d’un article découpé je ne sais où : le véritable visage de William Shakespeare.

Mon travail sur les Rolling Stones a commencé en 1983, pour être publié en 2002. Il m’a lesté de bien d’autres parcours (de même qu’il a été traversé par d’autres écrits de traverse, pour un meurtre en sortie de prison, pour le décès de mon père etc.). Là où je n’ai rien pour documenter mon propre réel, l’excès des projecteurs mis sur la jeunesse de ceux-là nous ouvre le chantier de l’histoire. Mais c’est un récit qui n’a pas encore été tenu : qui se constitue par fragments, dans des livres bizarres et pas forcément fiables, et puis, plus récemment, par l’infinie machine à voir et entendre qu’est le Net, hors toute géographie. Mais cherchez sur Google Earth les vues aériennes de Hibbing, où Bob Dylan fut gosse, et ce qu’il voyait de la fenêtre de sa chambre, désormais exposée à la bibliothèque municipale du lieu : c’est par ce biais qu’on peut rejoindre cette instance de l’épopée et du tragique, et entrer – la musique y autorise, il suffit de repasser le morceau (écoutez pas exemple les 3 versions de Mississipi dans l’ultime Bootleg Series 8 que vient de nous offrir le même Dylan, 67 ans : The only thing I’ve done wrong / Was to leave one day too long).

J’ai mis du temps à trouver, et la forme, et la technique. Puis le culot de ne pas se résigner à l’empreinte, la bio, mais de penser ça en fresque, avec des grossissements, des zones blanches, des dérives et des listes. Donc voici mon terrain, et, dans les rencontres librairies, j’entends un peu moins le mot roman : oui, l’illusion littéraire, mais cette contrainte de réel (on parle de vivants...), c’est toucher l’instance palpable d’un battement d’imaginaire, comme à Jules Verne et au Grand Meaulnes, ce qui est lié, pour l’imaginaire, à la palpitation d’une époque, via le destin d’un nombre restreint d’êtres, dont la phrase a pour tâche de rendre le mouvement, le relief, le non dit.

Je sais bien, pour trouver mes bouquins, il ne faut pas chercher dans le rayon littérature des amis libraires, mais aller dans d’autres voisinages, rayon musique. C’est d’autant plus surprenant que ça marche aussi bien, alors que, croyez, quand on est au mastic on ne voit que les défauts, la machinerie en surplomb du vide.

A Jean-Louis Kuffer, je crois que c’est par notre partage Internet que j’ai osé le dire : ça va plus loin que tous les romans possibles. Parce que, comme pour Internet, maintenant c’est tant pis pour ceux qui restent à la traîne : on leur offre assez de portes ouvertes...

Ces derniers jours, deux entretiens, que je tiens à insérer dans ce blog trace. Comme par hasard, les deux auteurs concernés sont eux aussi blogueurs. Un bien connu, Jean-Louis Kuffer, depuis Lausanne, parce que son blog est une accumulation multiple, avec peintures, photographie, écriture personnelle. L’autre, Daniel Morvan, depuis Nantes et plus discret : mais, quand je l’ai pris à la gare d’Angers, qu’on a aperçu ces deux religieuses grimpant en deux-chevaux, pas pu m’empêcher de grommeler que je n’avais pas mon appareil-photo, c’est lui qui a blogué (il a bien aussi Michon en pape)...

Donc, pas seulement pour la question Led Zep et littérature, ce billet : mais parce que témoignage ici aussi d’une petite bascule, elle s’appelle Internet. Ci-dessous les questions telles que transmises par Jean-Louis Kuffer, et, ensuite, sélection articles à télécharger, dont la rencontre avec Daniel Morvan de Ouest-France.

Photo du haut : je crois que je l’ai déjà mise sur le site quelque part, mais c’est décidément la plus belle photo de Led Zep parmi les 2000 et quelques que j’ai sur l’ordi, et fais tourner en aléatoire dans les perf, celle de Jean-Pierre Leloir (loge, Montreux, 1970) : voir son site...

 

comment le métier de vivre et le métier d’écrire s’articulent-ils ?

ou : art de poser les questions, réponses à Jean-Louis Kuffer

A retrouver sur site Jean-Louis Kuffer : Aiguilleur du ciel numérique (il en est un autre... !)

 

1. Que ferez-vous aujourd’hui ? A quoi de personnel travaillez-vous ces jours ? Dans quel ensemble de travaux cela s’inscrit-il ?
Aujourd’hui : voiture pour emmener la petite dernière au collège, il faudra aussi s’occuper du ravitaillement parce que beaucoup absent ces temps-ci, et ce soir lecture avec Bernard Noël à Poitiers. Publier un livre, après 2 ans ou plus de boulot, c’est une façon d’enterrer ce qu’on vient de faire, les nouveaux projets naîtront progressivement…

2. Comment ces trois livres, sur les Stones, Dylan et Led Zeppelin, s’inscrivent-ils dans la suite de votre travail ? Quel fil rouge à travers celui-ci ?
Tout est parti, dans une rue de Marseille, il y a très longtemps, en achetant d’occase un livre écorné sur les Stones : la photo de couverture était la même photo que j’avais, punaisée, à l’intérieur de mon casier d’interne au lycée de Poitiers. Tout d’un coup, je pigeais que si je voulais partir à la recherche de ma propre adolescence, avec si peu d’événements, et quasi aucune trace, objets, photos, il me fallait entrer dans ce tunnel-là. Mais, une fois le chantier fini, il y avait tout ce qui venait en amont : la guerre froide, l’assassinat de Kennedy, les manifs Vietnam, ça m’amenait à Dylan, et, symétriquement, les années 70 : on avait nos voitures, on migrait vers les grandes villes, et ça c’était Led Zeppelin. Et la découverte que la contrainte du réel, quand il s’agit de légende, ça va bien plus loin que tous les romans possibles.

3. Quelle place la lecture prend-elle dans votre travail ? Qu’elle vous est vitale ?
J’habitais un village très à l’écart, en dessous du niveau de la mer (on apercevait la digue de la fenêtre de la cuisine), et les livres, c’était la révélation de tout ce qui était au-delà de l’univers visible. Chez mon grand-père maternel, une armoire à porte vitrée, avec Edgar Poe, Balzac… ma grand-mère, côté paternel, servait son essence à Simenon, pendant l’Occupation. J’ai lu énormément jusqu’ l’âge de 16 ans, c’est allé jusqu’à Kafka d’un côté, les surréalistes de l’autre. Puis plus rien jusqu’à mes 25 ans. Là j’ai repris via Flaubert et Proust, puis Michaux, tous les autres. Aujourd’hui, j’ai toujours une lecture d’accompagnement continue, Saint-Simon en particulier, fondamental pour la phrase. Sinon, moins de temps dans les livres, mais beaucoup plus d’interpénétration lecture / écriture dans le temps ordinateur.

4. Comment le métier de vivre et le métier d’écrire s’articulent-ils ?
J’allais dire qu’ils se cachent soigneusement l’un de l’autre. Ecrire c’est en secret, violence contre soi-même, fond de nuit . Et le métier de vivre, même si aucun des deux n’est un métier, c’est essayer de garder rapport au concret, à l’immédiat présent.

5. Pourquoi l’atelier ? Et comment ? Quel bilan actuel ?
Toujours la même fascination : on peut vivre au même endroit, et le réel nous reste en large partie invisible. Il s’agit de multiplier les énonciateurs, et on y joue son rôle, puisque la langue est nécessaire, vitale, mais qu’on rend possible d’y recourir. Cette année, projet avec un collège d’un tout petit village rural, et de gens en grande précarité dans la petite ville d’à côté, en plein pays du Grand Meaulnes. Pas un métier, un poumon.

6. Quelle relation entre l’atelier et le site ?
Toujours pensé à un ami luthier, sa petite vitrine sur rue, et comment c’était relié à son travail. Le site, c’est juste vue en direct sur mon ordinateur. L’atelier personnel.

7. Comment Tumulte s’inscrit-il dans la suite de votre pratique, perception et modulation ?
Pendant un an, je m’étais donné cette discipline d’écrire tous les jours un texte, et le faire en ligne, comme ça pas de retour possible. ça amène à fréquenter des zones dangereuses, pas mal d’inconscient. ça m’a permis pour la première fois de ma vie de fricoter avec le fantastique. J’y retournerai, mais il faut être intérieurement prêt.

8. Et Rabelais là-dedans ?
Période où tout est bouleversé d’un coup, apparition du livre. Multiplication de l’inconnu à mesure qu’on fait le tour de la terre, renversement du ciel, il est possible qu’on ne tourne plus autour du soleil, pas encore de moi je, ça viendra seulement avec Montaigne, mais émergence de la notion de sujet par le corps. On ne sait rien, alors on y va avec la fiction. Rabelais nous est urgent, aujourd’hui, parce qu’on se retrouve en même secousse.

11. Comment, pour vous, le livre actuel et le livre virtuel s’articulent-ils ?
Dans ma pratique quotidienne de l’information, des échanges privés, du plaisir aussi de la lecture, beaucoup passe par l’ordinateur. Rien d’incompatible entre les univers. Mais un gros défi : est-ce que, à l’écran, on peut construire les mêmes usages denses que ceux de notre génération doivent uniquement au livre ? C’est ça ou la réserve d’indiens, j’ai choisi.

12. Qu’est-ce qui défait ? Et qu’est-ce qu’on fait ?
Peut-être qu’on ne fait pas assez attention aux permanences : le monde s’est toujours défait en permanence, simplement c’est plus ou moins brutal. Et la littérature, là, a toujours la même très vieille tâche. Question d’Aristote en tête de sa Poétique : « Qu’est-ce qui pousse les hommes à se représenter eux-mêmes ? » On le fait.

 

une sélection d’articles sur Rock’n Roll, un portrait de led Zeppelin

 Ouest-France :

 La Croix :

 Quotidien du Médecin :

 L’Express :

 Libé :

 Quinzaine littéraire :


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1ère mise en ligne et dernière modification le 29 octobre 2008
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