démolition place des Arts

arrangements techniques pour traverser la ville


On regardait cela ensemble. Ils travaillaient, on apercevait même les silhouettes, dans les cases ouvertes sur le vide, à l’étage.

Juste auprès, puisque cela s’appelait dès à présent Place des Arts, il y avait le musée d’art contemporain tout neuf, et un grand théâtre qui faisait aussi bien palais des congrès ou capable d’accueillir les grands ballets et spectacles de variété.

Il restait cette rangée des anciennes maisons de briques, et comme ils les levaient l’une après l’autre, les gravats à terre de la première s’opposaient à la face verticale et trouée.

Le type contre le grillage ne bougeait pas. Et il me parlait dans une langue que j’avais du mal à identifier. Dans quelle langue finalement étions-nous arrivés à échanger ? Mais on était là tous deux, devant ce grillage, avec le vent qu’avait fait naître ici la nouvelle et trop grande place avec ses bâtiments neufs pour les arts, il s’y mêlait en ce début d’hiver des rafales de pluie mêlée de neige, et moi, ce que me disait ce type, je n’y comprenais rien.

Des gravats, à l’horizontale, qu’il me montrait, j’avais répondu : « Vous avez vu, les couleurs disparaissent, il n’y a plus de couleurs… » Mais j’étais bien persuadé qu’il n’avait rien saisi de ce que je lui répondais.

Et puis, des cases vides, « C’est comme un tableau, j’avais dit, tout suspendu, tout accroché, la vie qu’on laisse, de soi, sur les murs… » Il avait semblé approuver. Le vent et la pluie s’étaient faits plus violents, et maintenant le soir tomberait vite, il n’y aurait bientôt plus rien à voir. Plus, de toute façon, les engins remisés sur le parking dessous auraient vite raison de cette maison-ci comme de la première.

« Les trous ? », j’avais demandé : puisque c’est ce qu’il semblait me montrer. J’avais vu des photographies de guerre civile, Beyrouth probablement, où les ouvertures à l’horizontale dessinaient, laissant percevoir ces escaliers-jouets, les mêmes perspectives qu’ici. Le type bougeait drôlement ses doigts, marmonnant cette langue incompréhensible, étrangère.

« On pourrait marcher comme cela dans toute la ville, traverser tous les immeubles, je lui ai dit, en montrant les trous, et l’escalier mis à nu. » C’était cela qu’il fallait dire, du moins il était content, apparemment, que je le comprenne.

Oui, une série d’ouvertures, ainsi, dans les étages de la ville, qui puissent la rendre continue. Est-ce que, ici, ce n’est pas ce qu’ils avaient tenté en partie, dans les élévations neuves qui remplaçaient une à une, peu à peu, les anciennes rues ? La nuit tombait, je devais entrer au musée, lui le type regardait au grillage sans plus se préoccuper de moi, aujourd’hui je ne sais même plus son visage, à peine un fragment de profil sous la capuche lourde.


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1ère mise en ligne et dernière modification le 27 novembre 2008
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