on avait tenté ces puits

29 | la solution pouvait être de superposer les deux villes


On avait tenté ces puits dans la ville. Ils étaient larges et commodes. On avait tenu à ce que la communication depuis la surface vers ceux du fond manifeste une continuité, une solidarité.
Ainsi, ceux du dessus avaient la pluie, les soucis, les moteurs et les bâtiments, tout ce qui concernait les soins, l’administration, l’éducation. Ceux du dessous avaient leurs ordinateurs aux écrans bleus, les livres dans les galeries de souterrains, la paix de l’étude et la lumière artificielle.

Les puits servaient à ce que les deux mondes, la ville, et la ville sous la ville, puissent échanger. Parfois, ceux du fond avaient à monter vers les lycées, les hôpitaux, les grandes administrations, les usines, ou passer les examens habituels. Plus souvent, on accueillait ceux du dessus, on leur expliquait ce qui tenait de la mémoire collective, et ce qu’on gardait là, pourquoi il était bon que la ville, prise à ses activités modernes, dans l’hostilité du monde environnant, dans l’hostilité de ce qu’étaient désormais les éléments climatiques, dans la vitesse à quoi contraignait désormais l’économie, la production, les échanges – puis, il faut bien le dire, le désintérêt global pour ce qu’on faisait nous, là-dessous.

Toutefois, on manifestait par les puits, et les points de passage ménagés ça et là dans les lieux principaux d’activité, que la collectivité était une. Ceux du dessous régulaient une partie des échanges, des loisirs, puisque même là-haut tout passait par les ordinateurs. En échange de quoi on voulait bien, ceux d’en bas, les nourrir. On n’avait pas voulu des anciens modèles de cloître et d’abbaye : d’abord parce qu’on avait laissé tout ça au rayon vieilleries, et les églises et cathédrales servaient seulement de repères illuminés pour se figurer l’infrastructure des villes. On ne voulait pas être à l’écart, on voulait être au même endroit : la ville nous superposerait avec précision, indissolublement. Et aussi parce que rien n’était figé : on accueillait pour quelques années quelqu’un du haut qui souhaitait s’instruire ou écrire, ou renvoyait dans l’activité extérieure ceux qui, en bas, se sentaient assez forts pour une période missionnaire.

Ces derniers temps, cependant, il fallait souvent des requêtes, des pressions, et on constatait des négligences, des attentes : ils ne les entretenaient plus, les puits. Ils ne remplaçaient plus les lumières, ne s’occupaient plus des élévateurs. Si la ville sous la ville se coupait définitivement du monde extérieur, qui y perdrait ?


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 2 décembre 2008
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