Rennes : notes brèves sur trois jours pleins

à Rennes pour "un auteur dans la ville"


Il ne s’agit pas ici de journal en images : la preuve, de tout ce qui compte, aura compté ces trois jours, je n’ai pas fait une seule photo. A quoi bon, d’ailleurs, puisque partout où on va fleurissent les numériques, dans le premier lycée j’ai même dû intervenir pour qu’ils lâchent un peu leurs gadgets et qu’on s’occupe de parler ensemble.

Des 63 photos numériques que je viens de trier et garder sur mon disque dur, il y a mes habituelles séries : série façades/immeubles/balcons, série chantiers/grues, série fenêtres et série mots/notes/écriteaux. En pensant à un dialogue entretenu avec Olivier Rolin à propos de son livre Suite à l’hôtel Crystal, j’ai aussi photographié, aux différentes heures du lever du jour et du tomber de la nuit, la vue de ma chambre d’hôtel, et ce qui s’en est induit sur tumulte (comme d’ailleurs d’un des chantiers nocturnes de Rennes).

françois rannou & jacques josse

Et puis je ne suis pas doué pour attraper les visages, sauf dans ces moments calmes, ici François Rannou (à gauche) et Jacques Josse (à droite), les organisateurs, avec qui on préparait pour lors la lecture rencontre qui s’ensuivrait l’après-midi au TNB.

Premier après-midi, deux classes de première (L et ES) au lycée qui s’appelle encore Ile-de-France (parce qu’il donnait sur l’avenue Ile-de-France, qui ne s’appelle plus comme ça) et vient d’être rebaptisé (mieux !) Victor Basch. Des questions sans pitié : "est-ce qu’il faut une responsabilité quand on écrit ?", "militer, est-ce que ça ne vaut pas mieux qu’écrire des livres ?", "si votre personnage n’est pas réel et que vous le présentez comme réel, c’est de la tromperie ?"... Alors échange très dense. Nathalie Rannou, qui me reçoit, a préparé avec les élèves et le CDI une série de livres en rapport avec ceux dont je parle sur ce site (eh oui, ça sert aussi à ça, le site) : du Baudelaire, du Rimbaud, Gargantua ou Pierre Michon... Je lis des extraits de chacun, on finira là-dessus, avant le pot auquel se joignent, en écoutant du Dylan, le proviseur et son adjointe. Le lycée reçoit aussi les "primo-arrivants", tous les exils, tous les pays, rencontre chaleureuse.

Vendredi matin, hôpital Guillaume-Régnier. Avant qu’on commence, Viviane et ses amis me conduisent à l’atelier d’art plastique : et même toute une cour intérieure recouverte au sol de mosaïques. Viviane m’amène à sa toile, un ensemble d’objets composés et collés, bribes de vêtements, photographies. Et dans ces photos, nombre portent l’étiquette "non facturée" de la FNAC. Pourtant, ce sont ces photos-là, couloirs et chambres, personnages en contre-jour, qui comptent pour elle. De cette femme sans tête et installée pieds en l’air, quand je demande pourquoi elle est comme ça, on me répond : "Parce qu’elle a perdu sa tête..." En haut de la toile, une petite boîte plastique transparente, et dedans de minces feuilles de papier découpées et un tout petit crayon. Après avoir demandé l’autorisation, j’ouvre, écrit sur une feuille et la replace sous les autres. A nous d’installer nos secrets enfouis dans le monde désenfoui de Viviane. Et puis cette réflexion plus tard sur la peur, "je mets ma main dans le courant", qui me provoquera, à deux jours d’écart, cette propagation d’onde encore côté tumulte.

C’est Frédérique Niobey qui anime l’atelier d’écriture de l’hôpital de jour. Ils ont travaillé sur le thème de la ville, on lira les textes, on s’attardera sur les phrases qui nous interpellent au plus central, au plus dérangeant, au plus beau - et je porterai pour longtemps les visages de Gaël, d’Alan et leurs amis :

ville polluée qui manque d’air pur
ville où tout le monde va se coucher après les choses de la vie
ville où il ne faut pas sortir le soir par crainte d’un homme embusqué
ville d’insûreté où l’on erre dans des rues trop structurées
ville où se promènent la nuit tombée des femmes et des hommes assez dénudés
ville comme des cubes carrés ou rectangulaires ornés de grands panneaux transparents
ville vue d’en haut comme des morceaux de Légo légers, côte à côte ou séparés
extraits, merci à Frédérique Niobey et l’équipe du Chant de l’Hermine

Il y avait aussi celui qui trois fois m’a appelé Monsieur Fromage Blond mais très gentiment et parce que cela lui semblait exactement les mots de mon nom. Et celle qui a posé comme question : — Est-ce que vous vous sentez de la schizophrénie quand dans un livre vous faites parler plusieurs personnages ?

Entre temps, je suis passé au Triangle : le travail commencé par Charles Pennequin sur les mots qui concernent nos rapports sociaux est évidemment déjà une attente, de retour à l’hôtel, via le modem 56k, j’installe cette affiche sur remue.net.

Autre visite qui n’est pas de politesse : la Maison de la Poésie. La Golf de François Rannou, où je redécouvre les "rehausseurs" frères de ceux récemment évincés (ouf) de mon propre véhicule nous fait longer ce canal échappé au temps, même si les immeubles pointent leur tête. Je repense à Rimbaud : "La ville avec sa fumée et ses bruits de métiers, nous suivait très loin dans les chemins. O l’autre monde, l’habitation bénie par le ciel, et les ombrages !" Bénie je ne sais pas, mais les ombrages et le ciel y sont, et le silence qui tient très loin le bruit de la ville. Au premier étage, l’appartement habité (je dis bien "habiter" et non "résidence") par la québecoise Denise Desautel, et au rez-de-chaussée, on est samedi après-midi pourtant, Cécile Ménard et son Mac tout blanc. Alors pourquoi pas encore un vrai site, les amis ?

Escapade Vitré, cette fois organisée par Yvon Inizan, qui y enseigne la philo. Les 35 kilomètres du retour sembleront brefs tandis qu’il me raconte (que je l’oblige à) ses travaux sur la notion de présence chez Bonnefoy. Lycée Bertrand d’Argentré, une classe de terminale L, apparemment rapport de grande confiance avec Jean-Richard Dumanoir, un ex Ulm, on parlera Proust et Beckett comme si c’était de parfaite évidence, beau moment. Et puis, dans la chapelle au rétable classé (devant le "sauveur" et sa brebis, au grand désespoir d’Yvon, mais avec une sono impec), devant moi trois classes de Terminale ES : boum. On parlera Daewoo, à l’énergie. Ecoute dense, j’essaye de proposer quelques perspectives de traverses.

Le lendemain samedi, on conclut au TNB. François Le Pillouër, son directeur, a invité Daewoo pendant 3 semaines en janvier, et il paraît que presque toutes les représentations sont déjà réservées, cela m’impressionne. Le TNB est en travaux pour deux ans, mais a réaménagé ce gymnase, quartier Maurepas, où nous aurons plus de deux heures de débat, Daewoo encore, et près de Rannou, Josse et moi-même Jean-Marie Michel, qui a coordonné la belle résistance des employé de la ST Microelectronics, et Xavier Le Brun, qui s’est attelé à en tenir le récit. Belle rencontre que celle de ce duo soudé, et l’énergie et la faconde de Jean-Marie, tout entière vouée à ce qui compte. On peut être marin même dans les luttes les plus dures...

Reste une énigme : la raison de cette immense affiche place du Parlement de Bretagne (en haut de page) ? D’où vient ce "communautée" en 5 m sur 6, sur la place la plus prestigieuse de la ville ?

Et pour moi, autre souvenir ici : en 2000, avec ma première webcam, une petite boule de marque Philips, j’avais fait à pied le tour de cette dalle commerçante et son Champion, mon iBook (le coquillage bleu) tenu à plat dans les deux mains, lentement, à la grande surprise des passants, pour préparer un atelier d’écriture avec les étudiants de la fac... Comme si je visitais d’un seul coup mon archéologie personnelle du Net...

Retour nuit 2h1/4, écoute Tony Rice du début à la fin...


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1ère mise en ligne et dernière modification le 16 octobre 2005
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