le slam comme littérature à part ?

Basketville de Félix Jousserand au Diable Vauvert


Le feu passe au rouge c’est parti.

Quelquefois, ça m’énerve : ça revient trop régulièrement. Ça nous arrive le plus souvent de l’éducation nationale, ou des institutions culturelles départementales ou régionales. Il faut toucher les jeunes alors il faut leur donner du slam. Donnons du slam aux jeunes, qui n’ont pas droit à la littérature. Venez parler dans notre colloque sur le slam. Vous feriez un atelier d’écriture sur le slam ? Merci nous conseiller écrivains slammeurs pour...

D’autres fois, c’est plus vicieux : je viens de terminer une lecture, soit seul, soit avec Dominique Pifarély, et sous prétexte que je transpire et que ça bouge, on me demande avec la meilleure intention « Ce que vous faites alors c’est du slam ? » Il y aurait donc la littérature pour ceux de mon âge, et s’ils utilisent leur micro autrement que derrière pot de fleur et carafe d’eau c’est qu’inconsciemment ils veulent faire du slam.

L’autre jour, dans une librairie, me suis fait agresser sur le thème : « on ne peut pas faire de la littérature sur Internet parce que c’est une poubelle ». J’ai répondu qu’il y avait bien 40 livres sur Sarkozy dans les kiosques de gare et qu’on allait pas supprimer les éditions Verdier pour ça. Parce qu’évidemment, comme toute catégorie littérature, tendre le langage et en faire une force ça se travaille, et c’est rare – l’étiquette slam en elle-même n’est gage de rien, l’étiquette roman sur un livre pareil.

Il faut regarder la situation en face.

Félix Jousserand, là, c’est d’une autre trempe. Pas besoin de faire sciences-po pour se coller à dire la périphérie, le visage d’une caissière de supermarché, une fête sous les immeubles, mais lui c’est ce qu’il a fait, sciences-po, avant de tout larguer pour la scène.

Alors la seule question pertinente serait : étant donné l’objet, la ville, la dégradation du monde, et l’intériorisation de la violence par ceux qu’on parque sur les bords, étant donné leurs circulations, leurs paroles, quelle forme de récit pour s’en saisir, en faire chant, renverser les contraintes sourdes de domination ? Et est-ce que cette tâche, si elle accepte de se mouiller dans le dehors, s’appelle ici aussi littérature ?

Jousserand en fait une littérature debout. Dans les trois extraits que je lui ai volés, jeudi dernier, aux Trois Baudets, deux sont dits en acteur, c’est-à-dire mémorisés, et pourtant ce n’est pas du théâtre. Les dernier est dit texte en main, et ce n’est pas simplement de la lecture lue.

Le décor se noie dans le paysage.

Slam c’est une suite de codes : la rythmique de la langue est une rythmique écrite. Je peux lire en public Basketville, je l’ai fait plusieurs fois, en atelier d’écriture, et quand je m’approprie les textes de Félix Jousserand, je ne les dis pas selon les codes du slam.

Ce qui me frappe, quand je l’entends (la difficulté à lire Basketville, c’est l’incroyable densité que prend la forme écrite de son travail : là où on développe à la phrase, il percute image par image pour que la modulation rythmique de la parole sois sans cesse nourrie de la coupe d’images), c’est la présence concrète d’un monde, le nôtre, porté au toucher.

Je le rapproche de Masséra ou Mauche : casser des vitres, des écrans formels, pour que ce qui nous entoure au plus près, dans sa charge symbolique de cinétiques, de violence supportée et de révolte non faite, avec les objets de la consommation courante, devienne matière récit.

on dirait qu’on a réduit la taille des photos à l’infini si on a eu la mémoire à un moment maintenant c’est fini –

Félix Jousserand a choisi l’écart de la scène littéraire : il arpente les scènes du slam, les scènes tout court. Il est debout, il a une partition texte.

N’empêche que le livre est édité, c’est au Diable Vauvert, et s’appelle Basketville, vente en ligne, 5 euros, commandez en quatre, un pour vous, les trois autres pour offrir, voire distribuer anonyment.

On peut aussi le visiter sur son MySpace Chez Félix. On y trouve d’autres vidéos, seul ou avec son Spoke Orchestra.

Ci-dessous les trois morceaux volés, et un bref extrait de Basketville ensuite. Plus message perso : que ça fait du bien quand tu viens de notre côté de la littérature, Félix.

FB

 

Félix Jousserand, vidéo 1 | j’enlèverai pas mes lunettes de soleil, 1’56

 

Félix Jousserand, vidéo 2 | Le jour où on a dynamité la barre, 2’56

 

Félix Jousserand, vidéo 3 | Une journée à la mer du nord, 2’25


Félix Jousserand | Basketville, extrait

 

l’interphone marche plus – les boutons sont collés par des coulures de peinture séchée – on attache les volets avec du scotch enroulé ou alors avec la moustiquaire puisqu’on s’en sert jamais – avec le temps les couleurs des papiers plastifiés qui ont été laissés par terre dehors depuis longtemps finissent par passer – les parcelles aussi – on a les palettes industrielles – entasses – les tuiles orange alvéolées – et un cédez le passage bien en vue – les auto-écoles qui font faire des tours aux candidats ou qui organisent des journées test dans le quartier – des bornes d’arrêt – des dos d’âne – des bandes rugueuses – des démarrages en côte – sans oublier un loueur de compresseur pour une utilisation domestique installé depuis peu de temps – tout ça ici et plusieurs cabines téléphoniques qui n’ont plus de tonalité – et l’appartement témoin d’un complexe livrable avant fin 1996 – devant l’appartement témoin le défense de déposer des ordures sur [le personnel n’a pas accès aux fonds] les conducteurs de scooters qui acceptent encore de livrer à domicile [sont la cible de guet-apens de plus en plus violents de la part de certains habitants excédés par la récente explosion du prix des baskets] – 

Et voilà ce qui ne nous est pas permis côté littérature : J’ACCEPTE, vidéo de Félix Jousserand avec le Spoke Orchestra. Ne pas hésiter à le passer en boucle :


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1ère mise en ligne et dernière modification le 24 mai 2009
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