Bozier, Cillaire

limites de la communauté et de la relation urbaine


Cette fin du mois d’août, par rapport à fin août 2009, grand plaisir à voir dans notre navigation antarctique plusieurs autres navigateurs affronter les terres inconnues. Tant mieux, parce que les enjeux seront plus visibles si on est plus d’artisans – et chacun saura prendre au voisin quelque leçon, de graphisme, d’accompagnement du texte, d’adaptation aux nouveaux usages et matériels de lecture.

Tiendra le coup, le brave bateau publie.net, de vieilles planches et déjà pas mal de traversées, par rapport aux rutilants équipages qui surgissent ? Confiance : on connaît la mer. Une grande récompense, pour notre petite équipe, ce sont ces liens qui se constituent, auteurs eux-mêmes lecteurs, lecteurs eux-mêmes blogueurs, et c’est peut-être en cela le déplacement essentiel. Confiance, aussi, parce que compte surtout – ce serait même mon principal axiome dans cette navigation quand même parfois épuisante (comme toute navigation, il faut pas mal d’heures à la barre ou aux winches, ou à écoper les soutes, même sur les meilleurs voiliers), c’est l’intérêt et le caractère nécessaire des textes qu’on met en circulation.

Il y a une littérature de loisir, et tant mieux, il y a d’immenses réussites avec la littérature populaire, ou les formes de fiction, fantasy etc, tant mieux. Moi, ce qui me mène, c’est les textes dans lesquels j’ai envie de rester, d’inaugurer un rapport dense, les textes qui me collent à la peau et qui laissent après eux une rémanence. Pas la petite histoire et au revoir, pas le feuilleton à la découpe.

Confiance aussi parce qu’on s’éloigne résolument des routes connues, en privilégiant le cabinet de lecture, accès illimité à la totalité du catalogue, pour découvrir et partager, via notre abonnement annuel, et la pluralité des formats (sans DRM bien sûr, beurk).

Alors, ce soir, si publie.net s’est enrichi de deux textes difficiles, voire sauvages, voire cruels, pas à se tracasser pour savoir si notre bateau ira aussi vite que les fringants nouveaux.

Ce qui compte, c’est que ce qui se lira ici puisse révéler une part inédite du monde. Et que, sollicitant ce monde là où il nous interroge, là où il peut même nous faire violence, en tout cas – pour reprendre René Char, dans le Comment vivre sans inconnu devant soi –, comment ces textes neufs pourraient se satisfaire des formes déjà repérées de la littérature, dont l’histoire a constamment été une invention par sauts, à mesure que le dehors la contraignait à ce saut ?

Alors voilà Bozier qui parle de la guerre, de notre répugnance à la guerre, notre détestation de la guerre : qui de nous pour être indemne du vieux démon qui organise toute l’histoire des hommes et continue de venir battre tout proche, parfois exercé en notre nom ? Invite à lire
Abattoir 26.

Et c’est l’occasion de reprendre, de Bozier aussi (version augmentée par l’auteur, nouvelle mise en page), ce qui en est l’autre versant : là où la ville agit sur notre langage même, celui de l’ordre, de l’obéissance consentie, du corps disponible, de la parole en saignée. Invite à lire L’Être urbain.

Et Sarah Cillaire. Celles et ceux qui lisent son blog ont suivi ce que la perte d’un proche travaillait en rebours, et en temps réel, à cette écriture rapportée chaque soir. Le deuil est un creusement profond. Il réinterroge la biographie, non pas pour l’exhiber, mais pour en déceler les points d’intensité, ceux peut-être où se joue une transmission, une reconduction, ou bien où soi-même on a été dans le même doute, la même errance. Dans le troisième volet de ce texte, une relation parents-enfants quand les normes sociales ont perdu leurs repères : alors c’est tout un portrait d’époque qui vient, émissions de télé, menus de cantine, voyages et vacances, conversations et politiques. Invite à lire Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ?.

Dans les deux approches, qui n’ont pas de point commun énonçable (encore que), peut-être le sourd travail d’une même violence, celle que nous avons tous à surmonter pour surgir à la relation.

Fier que ma vieille barque, vieille au regard des nouveaux arrivants (ah, les blogs en sont remplis, des tout nouveaux tout beaux, on ne leur en veut pas : mais savoir que nous aussi, sur publie.net, il y a du beau et du nouveau !), ait sa justification en cela : des formes de littérature là où il n’y a pas de préalable, parce que le monde non plus – dans l’ici maintenant, nos peurs et les dangers – n’a pas de préalable.

Image ci-dessus : une toile de Hubert Saint-Ève (voir son site, et bientôt j’espère vrai PortFolio, tant communauté de sens, et âpreté), confiée pour accompagner la mise en ligne de Raymond Bozier.

Suite des mises en ligne lundi, depuis Numer’Île à Ouessant.


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1ère mise en ligne et dernière modification le 13 août 2010
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