conseil municipal d’écriture

stage académie de Versailles à Malakoff


Depuis début novembre, et pour moi jusqu’à fin janvier (après, mes mardis seront à l’école des Beaux-Arts), nous avons repris le stage annuel d’écriture de l’académie de Versailles. Patrick Souchon, qui l’organise, m’y associe pour la quatrième fois en sept ans : cela fait nombre d’amitiés et de parcours croisés.

Les enseignants viennent de toute l’académie, depuis Trappes ou Montmorency, ou Garges-les-Gonesses ou Mantes ou l’Essonne... Nous accueillons une des enseignantes du secteur femme de la prison de Fleury-Mérogis, une enseignante de Segpa, plusieurs enseignantes en début de carrière, et bien sûr pas seulement des profs de lettres ou français. Même si regrette toujours l’ambiance que confère, en Allemagne, le fait que les futurs enseignants aient toujours à se former en deux disciplines distinctes. Et bien sûr quelques enseignants pour enseignants : ceux qu’amène Joël Paubel depuis l’IUFM. 

Nous sommes accueillis par le Théâtre 71 que dirige Pierre Ascaride à Malakoff. Et bien accueillis. Nous utilisons l’ensemble du grand foyer au sous-sol. Mais ce mardi, c’est pris. Et voilà que nous nous retrouvons à la mairie qui jouxte le théâtre. Et qu’à la mairie on nous offre la salle du Conseil municipal.

Un mobilier lourd, pour le moins. Des néons au plafond. On ne ferait plus comme ça aujourd’hui, je suppose. Le fauteuil de Catherine Margaté, madame le maire, dispose d’accoudoirs : je ne suppose pas qu’elle soit à l’origine de ce genre de prérogatives !

Nous entrons plus interloqués qu’intimidés. C’est cette masse de bois et d’apparât qui sépare les corps, les met à distance, le contraire de l’exercice que nous souhaitons. Même les micros contribuent à distinguer la parole de celui qui l’énonce : c’est peut-être ce qui symbolise la parole de l’exercice démocratique, et les décisions ici prises ?

On préfèrera pour certains aller écrire en lieu plus familier...

Joël Paubel, plasticien et vidéaste, enseigne les arts plastiques à l’IUFM Versailles et en coordonne les activités culturelles. Il est présent à toutes les séances.

Pour la lecture on parvient à détourner le lieu : chacun tour à tour ira dans l’angle libre, et s’adressera à la spirale des auditeurs.

Mais cette chronique à cause de cette plaque, ici. Sous une très mièvre pastille Valda en bois de cèdre, qui se prétend sculpture. Ce n’est pas de n’importe quel bois, mais d’un cèdre planté par Chateaubriand (on en a deux autres au château d’Ussé, en Indre-et-Loire) dans sa Vallée aux Loups. De la branche cassée par la tempête, on a fait ce trophée pour les villes fleuries. Ainsi, la littérature, celle de ce temps-là en tout cas, garde force de symbole et référence même en ces lieux ?

Et ci-dessous quelques textes écrits lors de cette séance, juste quelques extraits. On comparera à ceux des Normale Sup : c’était la même consigne.


Le grand salon est immobile. Des flots de livres sur les murs. Le piano noir reste muet. Les bruits du cabinet en bas retentissent. Tout reste dans l’attente de la pianiste. La mère dans sa blouse blanche remonte les escaliers. Le son de sa voix qui crie mon nom. L’escalier du haut devant moi. Tentative d’échapper à ce monstre. Le grenier ou s’entassent les habits me fait peur. Le danger est évité. Quel délice de se cacher.

Au milieu de l’escalier, je pleure. En haut, la méchante femme me parle. En bas, mon père attend. Il fait nuit. Les fleurs dans le jardin sont blanches éparses. Derrière moi, il y a ma vie.

Réunies par la cigarette et la nuit dans cette chambre aux imposantes gravures, j’écoute des histoires de fin du monde. Tes bagues d’argent sur tes mains très longues. Dehors la pluie et le vent. Je bascule vers d’autre rives. Des carnets qui racontent ma vie. Sur une gravure, une maison naïve et des couleurs vertes et rouges
Je suis en exil.

Martine O.


I
C’est l’été et les orties poussent sur les tombes. Les journées s’allongent jusqu’à l’or et les bruissements de saison se suffisent pour paresseusement habiter de présence. Mais les itinéraires indéfiniment répétés ne savent pas révéler. Le mot trou est à jamais inquiet. Les questions n’en finiront pas de fouiller sauvages au creux des silences.
Le Secret Majuscule devra un jour se retourner.

II
La mer est électrique, la houle charrie déjà l’ivresse. Cachée si proche, cherchée si loin, c’est l’évidence de l’Instant jusqu’alors dérobée. Nous embrassons l’éclair du réveil, et les images, naïvement coloriées surgissent : Magnificat de cheveux roses, envolée de cloches effervescentes. Alors les rames ouvriront toutes vannes retenues : pour la première fois un avenir se dresse, rayonnant.

Anne F.


I
Au milieu des tours aux couleurs criardes se dessine un espace de respiration. Ronde infernale de plots autour de la pyramide grise. L’halètement me poursuit et réduit imperceptiblement la distance entre nos deux souffles. L’excitation de cette course maudite m’oblige à hurler : cri strident ricochant sur les barres ! Mes enjambées engloutissent de plus en plus de vide. Vacillement. Tourbillon des immeubles, du ciel, des arbres, du sable. Equilibre précaire. Le vide finit par happer mon pied. L’arrêt du béton tranche ma chair. Douleur exquise de l’arrêt subi !

II
Jeune fille, cette rencontre changera sa vision. Imaginer la première parole, le premier mot, le premier geste.
Inévitablement, à 9h15, ta chaussure quitte la fulgurance pour s’arrimer. Tout cesse de tanguer. Odeur salée et lumière franche du soleil matinal. Inspirer en gonflant le bas ventre puis les épaules. Expirer sans faire le moindre bruit. Trois fois aérer consciencieusement toutes les parcelles de ton corps. Ta pupille se rétrécit jusqu’à l’insoutenable. Ta peau transparente frémit. Ton pas de funambule est malhabile. Les frôlements des autres ne doivent pas te faire chavirer !
Enfin dehors, son allure de viking apparaît. Imaginer la première parole, le premier mot, le premier geste...T’oubliant, ils se rencontrent. Devenue femme, tu cherches encore le geste à accomplir pour les rejoindre.

III
Ma sœur, ma sorcière, ma fée aime à m’inquiéter. Une fois seules, le moment est propice à ces jeux sadiques. Son visage se ferme ; ses mains se crispent ; sa bouche se tord ; son dos se voûte. Sa voix crée autour de nous un univers de maléfices, de monstres avides de sang prêts à me dévorer ! Mes mains deviennent moites, mon cœur s’emballe...Elle redevient belle et douce. Notre mère, par mégarde, a ouvert la porte.

Pauline O.


I
C’est exactement sur le clocher que s’ouvrent les persiennes le matin. C’est la cloche qui m’a arrachée au lourd sommeil des semaines passées à la campagne. Pourquoi regretter la douceur et l’ennui qui s’étire dans le vert infini de la prairie et le parfum piquant des foins ? Aimer voyager peut-être tout simplement dans l’habitude d’un paysage -toujours le même- malgré les étés qui s’enfuient. La route conduit à l’autre village aussi perdu. Le dimanche dans la salle de l’auberge, on se parle. Que se dit-on ? L’eau glisse sur les pierres de la rivière. Ma sœur et moi nous amusons à en remonter le cours en équilibre sur les plus grosses. Elle aimait cueillir les framboises comme de délicates gouttes de sang suspendues dans les haies.

II
Dans la lumière criarde, est-ce moi qui ai crié ? Dans l’épreuve extrême de la naissance se grave la souffrance de l’agonie. J’essaie de me souvenir, mais c’est inutile. L’enfant est né mais il est trop petit, trop faible. Nous sommes séparés par la paroi translucide du sarcophage de verre. La lumière de son premier regard- serait-il bleu ? - importe seule. Le monde est oublié ou soudain si changé. L’énigme de ta naissance reste à jamais indéchiffrable et saintement incompréhensible.

Christine C.


I
Soudain du creux de la vague naît le corps de l’enfant dans les bras hasardeux d’un jeune homme. Le cou désarticulé par des mâchoires trop puissantes, les bras ballants de pantin humain, le ventre ballonné : de quel mystère est-il vide ? Ses yeux d’aveugle ont la couleur blanchâtre de la mer qui coule encore de sa bouche. Une femme est poussée au premier plan enveloppée dans ses voiles d’écume. Debout, elle s’effondre, clouée au ciel par la houle de la foule. Elle laisse la mort lui arracher encore une fois des entrailles le corps de son enfant. Elle cingle des lanières de ses cris le visage obscène des survivants.
Tu revois longtemps, te dévisageant, les yeux vitreux de celui qui aurait pu être toi. Cet enfant, pourquoi le Vieux de la Mer, pourquoi l’Ogre Océan l’a-t-il mangé à ta place ?

II
Au centre la Place Rouge se dresse la statue du Roi Soleil. Dans l’ovale de ses bras, dans les boucles coupantes de ses cheveux, sur la queue de son cheval, accrochées à ses talons sans étrier, des nuées d’enfants vivaces. Ils se moquent de l’agonie des passants comme s’ils étaient vivants. Quand on a l’audace de le respirer, le bronze sent le plastique brûlé. En bas, le goudron fond. Seuls ceux qui ont encore la force de jouer ne finiront pas englués. Le ballon reste en l’air, fiché dans la chaleur juste à côté du soleil. On n’a que le souvenir, là-bas, dans les récits, de fontaines lointaines.

Christophe B.


I
Une bousculade de voix résonne dans l’entrée de l’appartement du rez-de-chaussée. Les casques parlent fort : « Où est le téléphone ? ». Les bottes claquent sur le linoléum. Fumée, flammes, danger. Les vestes de cuir poussent, bousculent. Une main m’agrippe, me tire. Un mur de suie se pose devant moi, deux éclairs d’argent me griffent : le cuir noir bouche la porte de notre trou à rats. Agitation ; hésitation ; bande-son qui tourne en rond.
Mais tout part en fumée : casques dorés, bottes sonores et tuyaux dépliés, tout s’est volatilisé.

II
Le ciel est si grand, si vaste, si brillant... Tu t’allonges sur le dos. Jamais une veillée n’a été si douce... Les autres sont là, tout près de moi, sur l’herbe juste un peu humide. Pas de jeu ce soir, pas de course dans le noir ni de rires entre garçons. Juste le silence et les étoiles. La courbe de la colline touche celle du ciel. Tu te tais, subjuguée : peu importe où est la Grande Ourse qu’on te demande de chercher...

III
La mère, toujours debout, toujours au vent, qui guide, qui gronde et qui dirige, est-ce bien elle, là, allongée, recroquevillée, dans un coin du lit gris ? S’avancer ? Vérifier ? Elle garde les yeux fermés. Mais elle sait la présence. Impossible de bouger. Toute parole est muette. Lui sait sans savoir : il sait les larmes avant de les entendre, avant de les voir.
L’enfant a grandi d’un coup.

Christine C.


I
Le vent colle les cheveux sur les yeux et les joues. Autour, des silhouettes se meuvent dans des jeux de ballon ou de sable. La mer n’est pas belle dans son agitation grisâtre. Les pieds s’engluent dans la patte molle. Au loin, deux formes assises. Un homme pleure.

II
Cartons, boîtes et chaussures s’empilent et forment un labyrinthe.
De lourds manteaux tournent autour de jambes inconnues. Il y a dans l’air un mélange de clochettes et de voix confuses. Le regard est traversé d’éclairs, de rouge, de noir. Le cœur de chaton s’accélère dans la poitrine. La tête enfin se niche dans un pardessus beige qui s’arrache et s’enfuit. Une main ignorante des désordres du monde attrape puis emporte.

III
Le violon résonne à travers les arbres - la grand-mère apporte les verres frais de boisson - les filles autour de la table papillonnent dans des sourires - des objets s’écrasent dans le jardin - le sourire des jeunes filles se fige sur la nappe fleurie. Sourires, visages, grand-mère, violon, tout devient flasque et se retire.

Géraldine B.


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1ère mise en ligne et dernière modification le 18 décembre 2005
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