Tallemant des Réaux | le père André

pour se promener dans la littérature, s’en aller dans ses vieux âges et retrouver la vie des hommes comme devant nous tout près


Dans mes textes fétiches, il y a de longtemps Tallemant des Réaux, et longtemps aussi que j’en dispose d’une édition numérique. Voir la phrase de Céline à son propos, et comment en dix lignes celui-ci vous ligote la vie, l’argent, l’amour et toute la nuit des hommes.

Depuis douze ans que j’habite à quelques dizaines de mètres de la Loire, le petit château discret des Tallemant des Réaux, où on avait découvert les Historiettes, longtemps après lui, sous un vieux fond d’escalier qu’on vous montrait, était un de ces rendez-vous, comme Saché (moins la Devinière, mais quand même), où les livres vous semblent remonter à la surface de la terre, et vous inviter dans une page paysage. On y était bien accueillis.

Depuis trois ans que les Russes fortunés n’investissent pas seulement en Suisse ou à Nice, mais aussi en Touraine, il est barricadé, le petit château à tourelle de Tallemant, et ça me pince chaque fois que je rouvre ses récits.

 

Tallemant des Réaux | le père André


Le Père André, augustin, vulgairement appelé le petit Père André était de la famille des Boullanger, de Paris, qui est une bonne famille de la robe. Il a prêché une infinité de Carêmes et d’Avents ; mais il a toujours prêché en bateleur, non qu’il eût dessein de faire rire, mais il était bouffon naturellement, et avait même quelque chose de Tabarin dans la mine. Il parlait en conversation comme il prêchait.

Il y tâchait si peu que quand il avait dit des gaillardises il se donnait la discipline ; mais il y était né, et il ne s’en pouvait tenir. Comme il prêchait un Avent au faubourg Saint-Germain, feu M. de Paris, à cause de je ne sais quelle cabale de moines dont il était des principaux, et aussi pour le scandale que ses bouffonneries donnaient, l’envoya quérir et le retint en prison à l’archevêché, M. de Metz s’en formalisa, disant que M. l’archevêque ne pouvait faire arrêter un religieux qui prêchait dans un faubourg qui « dépendait de l’abbaye de Saint-Germain » ; et effectivement il le fit délivrer ; mais ce fut à condition qu’il prêcherait plus sagement. Il remonte donc en chaire ; mais de sa vie il n’a été si empêché : il avait si peur de dire quelque chose qui ne fût pas bien qu’il ne dit rien qui vaille, et il fut contraint. de finir assez brusquement. Il était bon religieux et fort suivi par toutes sortes de gens ; par quelques-uns pour rire, et par le reste à cause qu’il les touchait. Effectivement, il avait du talent pour la prédication. On fait plusieurs contes de lui dont j’ai recueilli les meilleurs.

Il disait que « Christophe pensa jeter le petit Jésus dans l’eau, tant il le trouvait pesant ; mais on ne saurait noyer qui a à être pendu. »

Il vit une fois de gros bras potelés à la Samaritaine, et il lui faisait dire par Notre-Seigneur : « Je te donnerai bien d’une autre eau et que tu trouveras bien meilleure. »

Prêchant un carême à Saint-André-des-Arcs, il se plaignait toujours que les dames venaient trop tard. « Quand on vous vient réveiller, leur disait : – Mon Dieu, dites-vous, quelle misère de se lever si matin ! Vous disputez avec votre chevet. Une telle, dites-vous à votre fille de chambre, je gage que la cloche n’a pas sonné ; vous êtes toujours si hâtée ! il n’est point si tard que vous dites. – Hé ! si j’étais là, ajoutait, que je vous ferais bien lever le cul ! »

Parlant de saint Luc, il disait « que c’était le peintre de la Reine-Mère, à meilleure titre que Rubens, qui a peint la galerie de Luxembourg ; car il est le peintre de la Reine-mère de Dieu. »

Il prêchait sur ces paroles : « J’ai acheté une métairie, je m’en vais la voir. – Vous êtes un sot, dit-il, vous la deviez aller voir avant que de l’acheter. »

À la fête de la Madelaine, il se mit à décrire les galants de la Madelaine ; il les habilla à la mode : « Enfin, dit-il, ils étaient faits comme ces deux grands veaux que voilà devant ma chaire ». Tout le monde se leva pour voir deux godelureaux qui, pour eux, se gardèrent bien de se lever. Un jour, il lui prit une vision, après avoir bien harangué contre la débauche de cette pauvre pécheresse, de dire : « J’en vois là-bas une toute semblable à la Madelaine ; mais, parce qu’elle ne s’amende point, je la veux noter, et lui jeter mon mouchoir à la tête. » En disant cela, il prend son mouchoir et fait semblant de le vouloir jeter : toutes les femmes baissèrent la tête. « Ah ! dit-il, je croyais qu’il n’y en eût qu’une, et en voilà plus de cent. »

Cela me fait souvenir d’un conte qu’on fait d’un prédicateur du temps de François 1er. « La Madelaine, disait, était pas une petite garce, comme celles qui se pourraient donner à vous et à moi ; c’était une grande garce comme madame d’Étampes. » Cette madame d’Étampes lui fit défendre la chaire. Quelques années après, ayant été rétabli, le jour de la Madelaine, il dit : « Messieurs, une fois pour avoir fait des comparaisons je m’en suis mal trouvé. Vous vous imaginerez la Madelaine telle qu’il vous plaira. Passons la première partie de sa vie, et venons à la seconde. »

Le père André comparait une fois les femmes à un pommier qui était sur un grand chemin. « Les passants ont envie de ses pommes ; les uns en cueillent, les autres en abattent : il y en a même qui montent dessus, et vous les secouent comme tous les diables. »

Il disait aux dames : « Vous vous plaignez de jeûner ; cela vous maigrit, dites-vous. Tenez, tenez, dit-il, en montrant un gros bras, je jeûne tous les jours, et voilà le plus petit de mes membres. »

Il faisait parler ainsi une fois les soldats d’Holopherne, après qu’ils eurent vu Judith : « Camarade, qui est-ce qui, en voyant de si belles femmes, tam, decoras mulieres, n’ait envie d’enfoncer la barricade ? »

Je lui ai ouï prêcher sur la Transfiguration. « Cela se fit, dit-il, sur une montagne. Je ne sais ce que ces montagnes ont fait à Dieu : mais quand il parle à Moïse, c’est sur une montagne ; il ne montra pourtant que son derrière, et parla à lui comme une demoiselle masquée. Quand il donne sa loi, c’est encore sur une montagne ; le sacrifice d’Abraham, aussi sur une montagne ; le sacrifice de Notre Seigneur, encore sur une montagne. Il ne fait rien de miraculeux que sur ces montagnes ; aussi la Transfiguration, n’était-ce pas une affaire de vallon ? »

Voyant des gens jusque sur l’autel, il dit en entrant en chaire : « Voilà la prophétie accomplie : Super altare tuum vitulos. »

Il prêchait en un couvent de Carmes sur l’église desquels le tonnerre était tombé sans en blesser un seul. « Ah ! dit-il, regardez quelle bénédiction de Dieu ; si le tonnerre fût tombé sur la cuisine, il n’en fût réchappé pas un. » On dit Carme en cuisine.

À la fête de Pâques, il se faisait une objection. « Mais un mari et une femme qui couchent ensemble un si bon jour, que feront-ils ? À cela il faut répondre par une comparaison. Si le jour de Pâques un débiteur vous apporte de l’argent, il est bonne fête ; mais les gens ne sont pas toujours en humeur de payer ; je suis d’avis qu’on le reçoive. Faites l’application, Mesdames. »

À propos de romans, il disait : « J’ai beau les faire quitter à ces femmes, dès que j’ai tourné le cul, elles ont le nez dedans. »

Parlant de David, il dit que, quand il alla en paradis, Dieu dit, le voyant venir de loin : « Qui est-ce ? » et puis, quand il fut plus près : « Ah ! c’est mon bon serviteur David ; bras dessus, bras dessous, camarades comme cochons. »

Le jour de l’Ascension, décrivant la réception qu’on fit à Jésus-Christ au Ciel, il dit que Dieu dit à David : « Tenez la musique toute prête, voici mon fils qui vient. »

Prêchant des religieuses qui avaient fort pressé de leur donner un sermon, il leur dit : « Eh bien ! me voilà ; à cause que je suis Boullanger, vous croyez que j’ai toujours du pain cuit ; mais vous ne songez pas combien j’ai de choses à faire. » Il se mit à leur conter toutes ses occupations. Après, il compara une fille qui entrait en religion à un peloton. « Une novice, dit-il, c’est comme un morceau de bureau ou de papier sur lequel on commence à dévider les premières aiguillées ; mais quelque bien qu’on fasse, il reste toujours un petit trou qu’on ne saurait boucher. »

À Poitiers, les Jésuites le prièrent de prêcher saint Ignace ; il voulut leur donner sur les doigts. Il fit un dialogue entre Dieu et le saint, qui lui demandait un lieu pour son ordre. « Je ne sais où vous mettre, disait Jésus-Christ : les déserts sont habités par saint Benoît et par saint Bruno. » Il faisait une énumération des lieux occupés par les principaux ordres. « Mettez-nous seulement, dit saint Ignace, en lieu où il y ait à prendre, et laissez-nous faire du reste. » En sortant, il dit à un de ses amis : « Je n’ai voulu prêcher céans qu’après dîner, car je savais bien qu’autrement on m’y aurait fait méchante chère. » Une autre fois, à Paris, il en donna encore aux Jésuites en pareille occasion. « Le christianisme, dit-il, est comme une grande salade ; les nations en sont les herbes ; le sel les docteurs ; vos estis sal terroe ; le vinaigre, les macérations ; et l’huile les bons pères Jésuites. Y a-t-il rien de plus doux qu’un bon père Jésuite ? Allez à confesse à un autre, il vous dira : Vous êtes damné si vous continuez. Un Jésuite adoucira tout. Puis, l’huile, pour peu qu’il en tombe sur un habit, s’y étend, et fait insensiblement une grande tache ; mettez un bon père Jésuite dans une province, elle en sera enfin toute pleine. » Les Jésuites se plaignirent à lui-même de ce qu’il avait dit. « J’en suis bien fâché, mes Pères, leur dit-il ; mais je me suis laissé emporter ; je ne saurais que vous dire ; dans quatre jours c’est la fête de notre Père saint Augustin, venez prêcher chez nous, et dites tout ce qu’il vous plaira, je ne m’en fâcherai point. »

Il disait que Paradis était une grande ville. « Il y a la grande rue des Martyrs, la grande rue des Confesseurs ; mais il n’y a point de rue des Vierges : ce n’est qu’un petit cul-de-sac bien étroit, bien étroit. »
« 
Un catholique, disait une fois, fait six fois plus de besogne qu’un huguenot ; un huguenot va lentement comme ses psaumes : Lève le cœur, ouvre l’oreille, etc. Mais un catholique chante : Appelez Robinette, qu’elle s’en vienne ici-bas, etc. » Et, en disant cela, il faisait comme s’il eût limé. J’ai ouï dire que ce conte vient de Sédan, où du Moulin ayant dit à un arquebusier qui chantait Appelez Robinette, qu’il ferait bien mieux de chanter des psaumes, l’arquebusier lui dit. « Voyez comme ma lime va vite en chantant Robinette, et comme elle va lentement en chantant : Lève le cœur, ouvre l’oreille, etc. »

On dit encore qu’un artisan lui dit que : qui au conseil des malins n’a été empêchait sa lime d’aller, et qu’il faisait beaucoup plus d’ouvrage avec Jean Foutaquin pour du pain et pour des poires, Jean Foutaquin pour des poires et pour du pain.

« L’Évangile, dit-il une fois, est une douce loi : Jésus-Christ nous l’a dit ; il le faut croire. » Deux Jésuites entrent là-dessus. « Tenez, dit-il, voilà deux des camarades de Jésus, demandez-leur plutôt s’il n’est pas vrai. » Cela me fait souvenir d’un nommé du Four, qui, dans les guerres des huguenots, ayant trouvé des Jésuites à cheval, leur demanda qui ils étaient : « Nous sommes, dirent-ils, de la compagnie de Jésus. – Je le connais, dit-il ; brave capitaine, mais d’infanterie ; à pied, à pied, mes Pères. » ; et il leur ôta leurs chevaux.


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1ère mise en ligne et dernière modification le 19 novembre 2010
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