nocturnes BU Angers | et le sang qui sort la tête en bas

atelier d’écriture avec live blogging et voyage à Ramallah


Pourquoi on fait des ateliers d’écriture ? Pour la récompense qu’on en tire.

C’est quoi la récompense qu’on tire des ateliers d’écriture ? Pas difficile : la beauté des textes, leur in-ouï.

Depuis le début de nos rendez-vous du jeudi soir, Daniel Bourrion et moi-même prenons comme une chance les textes que nous offrent, séparément, Seb Ménard et AnCé t., deux étudiants qui l’été dernier ont décidé de partir à la rencontre de la Palestine, et ont séjourné à Ramallah.

Parfois ma proposition d’écriture les contraint à travailler d’autres territoires, et Seb a mis en place un site (d’abord un blog, et maintenant un spip), diafragm qui accueille l’élaboration virtuelle de ce voyage d’écriture à Ramallah.

Hier, en préparant ma séance sur les visages, j’espérais bien que ce soit déclencheur d’un nouveau pan de réel, comme l’autre jour l’accumulation à partir de Tarkos avait déclenché cet hallucinant passage de douane en Israël.

Mais ils ont répondu par l’écart, s’isolant à leur habitude dans la BU (ouverte la nuit, répétons-le !) mais cette fois écrivant à deux, se relayant pour le fil narratif, et lisant de façon pareillement croisée.

J’avais posé simplement mon iPhone sur la table pendant leur lecture, le son n’est pas terrible, mais donne le rythme très lancinant de cette balade visage. Je me permets de la reprendre ici, mais pour inciter à inclure dans vos flux rss le site Diafragm et suivre cette aventure, désormais indépendante de l’atelier.

Dans Diafragm, l’alternance des deux écritures est signalée par l’italique, pour déplacer le regard j’insère tout comme une seule voix.

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Image ci-dessus : Ramallah, été 2010, © Sébastien Ménard.

 

et l’sang qui sort la tête en bas


Tu n’as jamais vu son visage mais un rabbin dans le bus à Jérusalem – elle te l’a dit

Le vendeur de boucles d’oreilles – vieille ville de jérusalem – petit

Il a dit que c’était intifada il a aussi dit qu’le vendredi il passe le mur en sautant au d’ssus avec une corde (avec un oeil de travers et la cicatrice sur le front)

Nelly – CCF – chaussures vertes dégotées dans un p’tit magasin d’la rue à côté

La gueule d’une vache ça t’revient aussi bien qu’un visage et l’sang qui sort la tête en bas

Fathi – ses deux filles en photos sur son téléphone – sa voiture comme un partner ou une kangoo – sur l’épaule gauche une cicatrice de balle

Avec son chien et les ch’mises ça t’revient les verres de vin rouge c’est quoi le nom d’ce bar aussi quand il pose sa main contre son menton

May adolescente au camps d’Jalazone – le voile assorti aux vêtements les grands yeux qui r’ssortent

Tellement maigre jusque dans les joues et la cigarette tout l’temps t’as jamais osé lui d’mandé pourquoi il marchait pas

Je n’sais plus son nom tant pis – sa main qu’il t’a tendue la première fois se présentant il essayait de mettre en place les cours de français au camps d’Al Amari à côté d’la maison – les cheveux bien noirs la barbe de deux jours et une chemise bien r’passée

Sa gueule tout en long quand il fume des clopes pendant ramadan les canettes de coca et comme on parle assez avec des sourires quand on n’a pas d’langue

Le type avec ses mains de pianistes et des ongles de guitariste à l’acceuil du centre social de Jalazone – cheveux longs regard résigné et pourtant là

Leurs gueules avec des fusils mitrailleurs en carton contre-jour ça donne rien

Orabi tu n’trouves pas les mots ce soir pourtant y’a quelque chose

Quand elle avait dit que t’allais au camp et qu’tu mettrais tout en place ça s’voyait sur son visage mais tu sais pas dire comment

Ahmad – rapidité à comprendre ça t’sidérais toujours –forêt ça s’écrivait forest comme en anglais on a remplacé le ’s’ par l’accent circonflex alors ’est’ on peut l’écrire e accent circonflex t

Ça t’avait un peu dérangé d’manger sous leurs visages mais c’est parce qu’ils sont en prison qu’on les a accrochés là

Manar ta tutrice toujours une grande tenue noire le voile aussi et toujours un peu de doré – tu t’demandais comment s’était possible par 43° dehors

Il pouvait changer d’voiture ce taxi sa gueule à travers la vitre qui t’prenait toujours trois fois plus cher mais tu montais quand même parce qu’il était tard

Les p’tits cousins à la piscine et leur mère avec qui t’as discuté lunettes de soleil dior ou D&G – cheveux châtains – ils vont à l’école aux émirats arabes moitiée des cours en anglais – grands yeux noirs tous les trois

Parce qu’elle devait avoir 18 ans et qu’elle te demandait avec sa peau bronzée d’expliquer clairement ce que tu faisais là

Elle va chercher un type immense why did you go to tunisia ? where you alone ? Are you shure ? where were you ? where did you spend your time ?

En caleçon tu vois sa gueule dans la glace il te passe la main sur les fesses et dit don’t move après il rajoute please

Le grand-père qui vient chercher ses petits à Al Kamandjâti et se rendre compte de l’occidentalité de la ville

Avec ses grandes lunettes il dit bonjour mr sébastien aujourd’hui c’est manifestation on va entendre du bruit il faudra lire le journal

Le type à ce déjeuner-là à Al Kamandjâti à parler allemand anglais et essayer de comprendre l’arabe – il avait une moustache

Avec son voile rose elle dit j’aimerais bien me baigner moi aussi mais ça c’est une autre histoire

Les chats errants gueulants affamés sur l’asphalte

Leur gueule sur cette photo et tu es là derrière l’objectif on te voit aussi ça doit être une glace mais personne pour se souvenir c’était où

Les types aux cafés, les hommes – le narguilé – les traits marqués par la vie

Avec sa barbe il dit qu’il est vieux maintenant et que c’est trop tard parce qu’avant il était premier d’la classe et qu’il a dû arrêter il tire sur son clope

Les vendeurs d’oiseaux ça ça t’a marqué t’a même enregistré l’son une fois en passant

Ses cheveux bien en arrière quand il regarde une colonie et qu’il dit qu’c’est vraiment une belle journée – une jeep elle file là-bas

Le jeune qui nous a vendu les galettes de pain sur l’trottoir – son t-shirt noir plein de farine ou de crasse on n’sait pas – sa tête ronde comme son ventre

Sa main qu’il te sert et après elle te dit service secret

Assis là à boire des taybehs et dîner elle débarque c’est la voisine - elle parle vite fort en arabe tu n’comprends rien obligé d’appeler Latifa pour traduire et sa détresse de mère quand elle comprend que ça n’mène à rien

Le premier taxi qui t’as pris à jéru pour ramallah mais s’est arrêté au checkpoint parce que trop d’problèmes et quand il dit que là c’est le mur et le béton immense

Christina et juste hi frenchies en rentrant à la maison

Vraiment très grand et jusque dans’l’front quand il demande pourquoi ça sonne dans’l’détecteur d’explosifs

Le vendeur de ballons - baloon baloon dans la bouche d’ce gosse tous les jours sur l’trajet tu l’as vu – tous les jours pareil baloon baloon et tu r’vois sa bouche

Il dit avec ses cheveux en arrière que c’est 80 shekels pour la journée et le soir c’est 3 shekels sur chaque vente et qu’c’est bien parce qu’en prison il a appris l’anglais

Le gosse 6ans tout juste qui apprenait à écrire le français il n’avait pas encore appris à écrire l’arabe – ses mains noires son t-shirt usé

Sa gueule à lui ça non encore qu’c’était comme un fusil mitrailleur

SebMen - AnCé t.


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1ère mise en ligne et dernière modification le 21 janvier 2011
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