Didier Daeninckx sur publie.net : ENFIN.

de la difficulté parfois à convaincre ses propres amis de nous rejoindre dans une aventure pourtant complémentaire et synergique à celle du livre...


Ce n’est pas qu’on se voie souvent : les routes ne sont pas les mêmes. Mais je sais où il est, et je sais ce qu’il fait – puisque je le lis. Didier Daeninckx est un de mes plus anciens amis d’écriture (après sortie quasi simultanée de nos 1ers livres respectifs, avoir partagé 1ère invitation de librairie, en septembre 82).

Mais c’est une fraternité qui s’ancre dans bien plus profond. La rigueur de Didier quant à ses origines politiques, côté anarchisme, la lucidité de son regard sur une société dont il démonte les rouages complexes (suivre, pourtant pas forcément des plus apparents, le fil concernant la télévision dans l’ensemble de ses romans et nouvelles), la façon aussi – et c’est tellement lié à l’histoire de la littérature –, dont ce type-là a pu nous redonner dignité dans les zones sombres de la mémoire collective, les assassinats de Charonne en février 1962, ou l’indispensable Cannibale à propos de l’insulte aux Kanaks lors de l’exposition universelle de 1935.

A louer sans commission n’a pas pris une ride : on dirait que le Daeninckx, il danse.

Probablement que tous les auteurs connaissent ça : on est sur un point sismique, un détail concret (à Didier, ici, pour tout embrayer, il suffit d’une annonce de journal) à partir de quoi tout va converger pour que le livre impose sa loi autonome : les magouilles d’urbanisme pour virer les locataires d’un vieil immeuble, avec la complicité tacite des services municipaux (on est en 1991, dans le Paris de la Chiraquie), le contexte du racisme ordinaire, tiens déjà la montée du FN et Le Pen à la télé, les tags et graphs sur les murs.

Puis les balades dans ce nord-est de Paris que Didier Daeninckx, natif d’Aubervilliers et qui y vit toujours, a arpenté dans tous ses recoins. Ici, on remontera le canal de l’Ourcq depuis la Villette et sa Cité des Sciences qui bouleverse le quartier, jusqu’à une maison de retraite plus haut dans Pantin, toujours au long de l’Ourcq, et les placements d’office en psychiatrie.

Puis la mémoire du polar lui-même : une figure de libraire bouquiniste qui fait penser au Chédenat du Bourlinguer de Cendrars, mais aussi l’histoire du journal à scandale Détective, opportunément racheté par Gallimard début des années 30 avec les plumes anonymes de ses propres auteurs, pour relancer la maison littérature.

Mais tout simplement, façon Daeninckx, ces gestes d’humanité simples, ces accrochages de bistrot ou conversations d’escaliers qui vous bâtissent un monde en cinq lignes : le nôtre, comme il est, comme on voudrait qu’il soit, comme il faut qu’on soit nous-mêmes pour être à l’interstice.

A louer sans commission était paru chez Gallimard, dans l’étonnante collection Page blanche dirigée par Claude Gutman. Le livre, il fallait d’abord le retrouver : Michel Fauchié a bien voulu nous confier celui de la bibliothèque municipale de Toulouse, et Alain Pierrot, de I2S-Polinum, se l’est approprié avec ses stagiaires édition et patrimoine de Bordeaux pour la numérisation : comme le Paysan de Paris d’Aragon, manière d’exprimer sa dette surréaliste, le livre de Didier est lesté d’encarts avec anciennes publicités, extraits d’annonces de journaux, affiches de music-hall – et quelle joie pour le numérique de s’en ressaisir.

L’artisan de cette chaîne : Bernard Strainchamps, le fondateur du site pionnier de la littérature noire, Mauvais Genres, devenu collection indépendante sur publie.net, et c’est le dixième titre de cette collaboration. C’est d’ailleurs chez Bernard Strainchamps qu’on trouvera les renseignements les plus complets sur le parcours de Daeninckx, y compris une cartographie de l’oeuvre – là aussi, le numérique (le métier de médiation qu’est celui du libraire) ça s’invente.

Parce que figurez-vous, là je passe à autre chose, que ce n’est pas faut de l’avoir sollicité moi-même, le Didier Daeninckx : le numérique, ce serait faire insulte à mon passé d’imprimeur, qu’il m’avait officiellement répondu dans un mail, il y a moins de 2 ans de ça. Je n’avais pas insisté. C’est que j’en ai d’autres, des auteurs que je considère comme des frères d’armes, et ce n’est pas une question de génération, de Pierre Bergounioux à Tanguy Viel ou Philippe Vasset, qui font les gentils avec moi mais se garderaient bien de me confier un seul texte – hou la la, on court à notre perte avec le numérique, on a l’impression que ce serait les forcer à manger eux-mêmes leurs livres de papier. Mais on n’est déjà plus les seuls à diffuser du Daeninckx en numérique (dont l’étude que lui a consacré Gianfranco Rubino dans la collection de Dominique Viart chez Belin).

Alors merci à Bernard de nous l’avoir amené en douceur, le frère. Tu vas chercher les autres ?

Et deux post-scriptum, avant de vous laisser avec A louer sans commission :
 Mauvais Genres, la collection de polar de publie.net, c’est déjà une belle cavalcade de textes hors-normes, Marc Villard, Dominique Manotti, Stéphanie Benson, G@rp, Lilian Bathelot... Mais allez donc faire connaissance avec Philippe Porée-Kurrer et son bateau fou direction À l’est de minuit.
 A louer sans commission, pour moi, c’est aussi ce texte de Jean-Marie Ozanne m’avait demandé, ces années-là, pour Folies d’encre, sa librairie de Montreuil : avec L’atelier du crime, nous vous proposons une visite de cette étrange chambre louée sous un faux nom où l’auteur venait pour écrire ses livres...

Et, si tu passes là, Didier, prêt pour 29 autres...


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1ère mise en ligne et dernière modification le 12 mars 2011
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