STIGME.99 comment et pourquoi

publie.net, évolutions douces en temps rudes


On n’est pas hors d’eau. Si nous sommes heureux de la confiance de nos bibliothèques abonnées, et non des moindres, la frilosité est grande : pas une seule des 13 universités parisiennes à s’être abonnée à publie.net, quand Strasbourg, Nice, Montpellier, Poitiers, Angers, Québec nous accueillent dans l’ensemble de leurs campus respectifs. Et nous sommes fiers par exemple que nous aient rejoint les bibliothèques publiques de Montréal, avec leurs 43 établissements dans la ville – quel bel esprit d’ouverture. Mais en France on a aussi ces témoignages, nous ont rejoint ces 2 semaines des médiathèques comme Saint-Ouen (Seine Saint-Denis) ou Colomiers, pour la 1ère fois un point d’ancrage près de Toulouse...

Alors on ne change pas de cap : notre objectif, la littérature contemporaine, la création d’aujourd’hui. Et l’expérience qui va avec, comme les performances sonores insérées dans la version epub de David Christoffel, L’Argus du cannibalisme.

Des projets plein la table : une collection vraiment ancrée photographie, une revue avec le site Urbain, trop urbain, une collection musique contemporaine (Score) avec Kasper T Toeplitz...

Mais quand ce pari, que la littérature contemporaine c’est une lecture d’évidence, forte, dérangeante, de pleine nécessité, cassera-t-il son plafond de verre ? Partout où on entend parler de littérature numérique, c’est toujours capter le marché, marché émergeant et toute cette pacotille d’épicerie qui ravale toute démarche à la tire-lire.

C’est pour cela que je veux aussi ancrer publie.net dans ces autres terres de lecture que sont le polar, avec Mauvais Genres, dirigé par Bernard Strainchamps (2 nouveaux titres à l’approche, et des ventes d’une régularité qui fait plaisir), et nouvelle maison e-styx.net, anticipation mais aussi la réalité brute, le fantastique comme décryptage, et – secret, merci pas répéter – très vite une collection de science-fiction vintage... Pour moi, cette maison d’édition autonome que sera e-styx c’est d’abord une instance de plaisir sur vieille passion littéraire. Mais pas seulement : outils à ronger les frontières.

Nous ne sommes pas hors d’eau : énormes besoins pour financer un travail complexe de préparation, rémunérer la correction en amont, le studio epub de l’autre.

On sait bien qu’on est funambule sur un grand vide encore : l’équipement en liseuses progresse moins vite qu’à l’étranger, parce que les éditeurs traditionnels jouent la montre avec une offre dissuasive, parfaitement conscients que proposer des fichiers numériques à 15 euros ou plus c’est une aberration commerciale. Mais pour ceux qui s’équipent en iPad, en Bookeen Opus ou Orizon (qui comporte sa propre librairie), ou qui ont pris l’habitude de lire sur leur smartphone (FeedBooks avec ses chargements en un clic), ou ceux qui ont en permanence dans la poche leur Kindle avec les articles de journaux ou ce qu’on a transféré du web, la mutation est irréversible – il paraît pauvre, et seulement un choix contraint, le livre papier.

Et pour les utilisateurs intensifs que nous sommes tous, moi y compris, les pressions d’achat multiformes sont permanentes et on doit se défendre, faire le tri : nos propositions de lecture par abonnement progressent, mais il nous faudrait beaucoup, beaucoup plus de lecteurs au regard de la qualité et de l’impact des textes qu’on propose. Quelquefois j’ai honte vis-à-vis d’auteurs qui nous ont fait confiance pour des textes difficiles, sur lesquels parfois on a misé des centaines d’euros de travail préparatoire, aux résultats microscopiques de diffusion.

Alors on tiendra, c’est sûr, mais ce qu’on veut c’est aussi initier, faire découvrir. Rendre le passage irréversible, tandis que côté éditeurs papier c’est le réflexe bureaucratie, procès Google, loi sur le prix unique, chasse très onéreuse et vaine aux sites de peer-to-peer. Ou ces coups d’épingle méprisants comme le site 1001libraires.com, lancé avec tel barouf médiatique et discours ministériels (plus 500 000 euros de fonds publics) mais qui nous boycotte délibérément – on a pourtant plusieurs dizaines de libraires indépendants dans nos revendeurs –, ce qui pourrait être considéré comme pur mépris commercial de leur propre clientèle (si elle existe) mais témoigne bien de comment on est considéré par les pouvoirs publics qui les financent.

Et pas de geignerie : du 1er au 31 mai dernier , 875 téléchargements, mais qui ont concerné 180 titres (ça c’est nouveau), et 1297 accès abonnés (bibliothèques et particuliers) ont engendré 66 730 pages lues en streaming – pour comparaison, mai 2010 : 272 téléchargements, et 286 accès abonnés pour 7017 pages lues. L’arrivée du KindleStore en septembre devrait être aussi une bouffée d’oxygène, à égalité et saine émulation de la diffusion sur l’iBookStore qui est notre premier point d’appui désormais (l’iPad permettant d’exploiter toutes les possibilités d’invention numérique).

Donc besoin de nouveaux auteurs, besoin de leur confiance pour reprendre textes diffusés chez éditeurs papier mais laissés en semi déshérence (la SCAM l’a à son tour souligné gravement hier : les droits numériques appartiennent à l’auteur, vous êtres libres de nous les confier...). Voir ainsi Fenêtres sur le monde, de Raymond Bozier, un livre si nécessaire en atelier d’écriture, qui s’endormait chez Fayard. Besoin de textes qui dérangent et ça pour toutes nos collections, de la poésie à l’anticipation – et possibilité de diffuser textes courts ou expérimentaux, qu’auriez-vous à y perdre ?

Alors ce matin un point supplémentaire. C’est parti d’un de ces paradoxes sur lesquels le numérique nous réveille : l’écriture la plus ancienne, chez les Grecs, mais pas eux seuls, marque par un signe la séparation des mots. L’invention du point, le stigme, c’est le séparateur des mots dans l’écriture continue. Mais ensuite, pour les Grecs comme pour les Romains (et probablement d’autres), l’écriture se dispense de séparateurs – et l’espace entre les mots ne viendra s’établir comme norme que vers l’an 1000 (merci Alain Pierrot, Milad Doueihi, Marc Jahjah, Claude Favre pour la petite enquête collective en partage hier matin), le point séparant alors non plus les mots mais les phrases.

Alors j’ai repris ce terme, stigme, avec domaines stigme.fr et stigme.net (pas en service encore) pour une collection découverte. La notion de nouvelle opposée au roman n’a pas sens en numérique (merci, René Audet, de me l’avoir rappelé !). Les Américains n’ont pas cette dualité avec leur concept de short story. Non, c’est le geste et le temps de la lecture que nous voudrions faire passer en avant.

Ce matin, 27 titres sur publie.net sont proposés à un prix unique (même prix pour tous nos revendeurs, on a bien compris la loi SNE/UMP !) de 0,99 euros. Avec des auteurs qui ont envie de jouer le jeu – merci Jacques Séréna, Régis Jauffret, Jean Rouaud... – dans cette collection qui s’appellera STIGME.99.

0,99 euros TTC cela fait 0,83 euros quand l’État a pris ses 16 centimes de TVA, reste 25 centimes pour le libraire (iTunes, Fnac, FeedBooks, Bibliosurf, ePagine et les autres...), 8 centimes pour l’Immatériel-fr, et nous nous partageons le reste, 25 centimes pour l’auteur, 25 centimes pour la structure. Pas d’esbrouffe, rien de merveilleux, mais ce que nous voulons c’est que les textes vivent. Et s’il s’en diffuse 10 fois plus, on n’aura pas perdu au change.

Ces 25 premiers titres vont être révisés dans les jours à venir, dotés d’une nouvelle couverture (vous pourrez toujours mettre à jour vos achats), et bien sûr sont aussi accessibles aux abonnés.

Avec e-styx et stigme.99, c’est de la pérennité de publie.net qu’il s’agit, et de sa capacité à accueillir le contemporain.

Photographie ci-dessus : projection avec défilement de nombres, Philippe De Jonckheere pour Formes d’une guerre, Poitiers, Planétarium, 3 juin 2011 – image qui m’a servi de couverture pour reprise de Philippe Boisnard, Atome-Z.

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1ère mise en ligne et dernière modification le 7 juin 2011
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