Louise_Imagine | le cahier

vases communicants : avec Louise_Imagine


Le rapport images/texte, l’irruption de la photographie dans le carnet de notes ou dans l’espace même du livre, prennent acuité encore plus grande avec le web.

Louise_Imagine, c’est le pseudo et le nom du site de quelqu’un qui est photographe elle-même, et a longtemps été responsable éditorial d’un magazine photographique.

A paraître bientôt, dans publie.net Hors collection, notre atelier d’invention et recherche, sous la houlette de Gwen Catala, son Instant_T et discussions avec elle sur la mise au point d’une collection photographie sur publie.net.

C’est tout cela à la fois qu’on concrétise par ce vase communicant, avec croisement sur un point tout particulier et central : le cahier d’écriture.

Lire sur son site L’hospitalité du berger.

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Pour la liste mensuelle des vases communicants, merci bien sûr à Brigitte Célérier. Le mois prochain, j’accueille Didier Da Silva.

 

Louise_Imagine | Le cahier


Il restait son cahier, ouvert en son milieu, sur le bord de la table. L’écriture, étroite, minuscule, ressemblait de loin à de simples traits serrés, tirés à la règle sur des feuilles sans carreau. Chaque ligne parfaitement équidistante de sa suivante, symétrie surprenante sur un papier laissant tant de liberté. A côté, un verre d’eau, quelques miettes de pain, un stylo…

J’avais frappé à la porte, mais pas de réponse. Yeux fixant avec intensité le bout de mes chaussures, j’avais attendu longtemps. Trop peut-être. Suffisamment pour sentir le froid me mordre les oreilles, suffisamment pour maudire encore et encore mon indécrottable perfectionnisme (quelle idée, venir ici, après tout c’était à lui de faire le premier pas, après tout, je n’avais rien, pour ma part, à me faire pardonner). En m’éloignant, pieds trainant sur le gravier, j’entendis un bruit qui retint mon attention : ticatic… tic tic… ticatic… Cela venait d’un peu plus loin, derrière la maison, à moins que les brusques rafales de mistral ne me trompent ? Un tintement familier, musical et léger. Je m’avançais, absorbée, contournant les murs mangés par le lierre. La porte-fenêtre de son bureau était entrebâillée. Le carillon suspendu à son côté chantait, au rythme du vent entrechoquant ses cylindres argentés. Quelques secondes me suffirent pour comprendre. La maison était presque entièrement vidée. Ne subsistaient que de rares meubles, une télé oubliée, une pile de journaux, un frigo ronronnant avec force, deux trois vêtements abandonnés.

Et son cahier, ouvert en son milieu, sur le bord de la table.
Alors même que je me refusais obstinément à déchiffrer son écriture, je ne pus m’empêcher de feuilleter, succession de pages noircies à saturation, lettres à peine esquissées, mots reliés les uns aux autres par la pointe du stylo, aucun espace, non, une continuité délicate, fragile et surprenante, un fil refusant de se rompre dessinant le silence plutôt que le laisser filer. Combien de pages, alors ? Le cahier était plein, combien de pages pour autant d’histoires, de pensées, d’échanges qu’il m’avait refusé ? Lui qui ne parlait jamais.

Je ne lirai pas, non. Plutôt crever.

Au loin, dehors, le carillon chantait. Le vent redoublait de force. Le ciel se voilait d’une noirceur lourde et électrique. Bientôt plus une lumière ici, les détails de la pièce s’estompaient déjà dans la pénombre. Air chargé d’humidité. J’avais froid. D’un coup sec de la paume de la main, je refermais le cahier. Pas un regard en arrière, je m’éloignais.

 


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1ère mise en ligne et dernière modification le 4 novembre 2011
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