Malt Olbren | Il vivrait seul désormais...

"Maisons intérieures d’écriture", la première traduction française des "Inside Houses" en français, n° 1


Il vivrait seul désormais. Cette maison à quelques centaines de mètres de chez lui s’était révélée à vendre ces années-là, plus petite que celle qu’ils avaient occupé avec elle ces quinze ans, et déménager avait été l’occasion de faire le point, se débarrasser de ce qui encombrait, réorganiser : le temps pour lui ne serait peut-être pas compté, mais du moins mesuré. Ou bien : ce qu’il aurait à rajouter au travail effectué ne modifierait pas en profondeur le dispositif de son oeuvre établie. Ces dernières années, il s’attacherait plutôt d’ailleurs à l’élimination des traces, la disparition relative des récits, articles et romans des premières années. Les livres, les photographies même – tout ça benné sans regret, comme le vieux skis ou le premier micro-onde. Ce qu’il avait apprécié dans cette maison, dès la première visite, c’était sa froideur rationnelle. Le luxe : un sous-sol avec piscine et gymnastique, et c’était bien nouveau alors. Même si, dans ses dernières années, il s’en était peu servi en fait : l’idée en était plus intéressante que la discipline. Donc il vivrait seul désormais : tout en haut, les livres dont il n’avait pas voulu se débarrasser – « ce sont l’histoire personnelle de nos lectures », disait-il. Mais il montait peu souvent dans ces trois pièces étroites, probablement au départ conçues comme chambres d’enfants. La grande pièce à vivre de l’entresol se terminait par un balcon surplombant la vallée, les lumières de l’autoroute au loin de l’autre côté, et à peine quelques lumières au loin, de ce côté de la ville. Sa chambre donnait sur la grande pièce, mais il n’y tolérait rien qui concernât le travail. Dans la grande pièce, d’abord ce qu’il fallait pour la fiancée [1]. Deux baffles, des micros, son tabouret et (dit-on) il aimait bien un miroir aussi. Ses amis parlaient beaucoup de ce pupitre à écriture qu’il avait placé juste devant le balcon donnant sur la vallée, les baffles de concert bourdonnant à même son dos. En fait, disaient ses proches, il quittait peu son lit, ni pour la piscine au sous-sol, ni pour la grande pièce avec l’ordinateur et l’écriture. Il se contentait de son lit. C’est là qu’on l’a trouvé mort, quatre ans plus tard. Il montrait à ses amis, dans le local du sous-sol jouxtant la piscine, un réduit de ciment avec une ouverture rectangulaire : « C’est là que je serai enterré, disait-il, et la maison cadeau à ceux qui l’accepteront avec moi dedans. » En fait sa nièce a tout vendu très vite.

 

Inside Houses, © Olbren Archive, traduction FB & Sz

[1En français dans le texte. On verra que sous le terme fiancée ou old lady Olbren fait référence dans chaque micro-récit à un instrument de musique différemment identifié, mais qui peut être chaque fois interprété comme addiction particulière indéterminée.