campagne électorale, 13/15

ma vie chez les insectes (titrait Michaux)


Moi je dis : ce flic il se la coule douce.

Moi je dis : si c’est ça le boulot de flic, je peux vraiment en faire autant.

On s’y était habitués. Cinq ans, on avait eu, pour s’habituer. Tu descendais à Denfert-Rochereau, et à la sortie du métro dix, quinze camions garés et dedans ils s’équipaient avec leur tenue d’insecte et les machins à taper sur les gens (tu as le flash-ball pour taper dans l’oeil, et le bâton à poignée pour taper sur le reste, en haut, en bas, partout). Et toi tu savais les dégâts : tu savais le fils de l’ami, son oeil arraché comme s’il t’avait été arraché à toi, et pas un jour depuis lors que tu n’aies pas pensé à l’oeil arraché du fils de l’ami. Si on avait la rage, aujourd’hui, ce n’est pas pour la politique : la politique on s’en fout, longtemps qu’on a appris à vivre contre eux, malgré eux, sans eux. On n’a pas d’illusion. Mais ces types étaient dangereux – pas eux, les flics, des exécutants, dressés pour, laissés mariner dans leurs camions pour, équipés de joujoux pour – mais ceux qui les autorisaient, ceux qui les expédiaient à l’assaut. Et la limite définitivement franchie. Pour chacun de nous, savoir dans sa chair et son sang où ç’avait été franchi : moi, dans l’oeil arraché du fils de l’ami.

Et donc tu longeais les insectes grouillant dans leurs camions, pendant que sur la place devant le métro quelques dizaines de porteurs de banderoles chantaient, et hissaient quelque visage : le mot accueil bafoué...

Pareil sur l’autoroute – dizaines de camions croisés. Ils les baladaient d’une ville l’autre. Partout où il allait, il les envoyait en avant de lui. Il fallait lui débarrasser le chemin. Il fallait nettoyer avec les flics en noir avant que lui il arrive, avec les caméras, les télés et les petits jeunes en tee-shirt qui l’acclamaient, il n’en fallait pas beaucoup : suffisait juste de les mettre au bon endroit.

Mais que ce soit systématique, marre. Mais que ce soit cogner au nom de ce pouvoir rabougri, malsain, discrédité, marre.

Restaient les inventions. Donc, ce type, là, au fond : il fait quoi ? Il lève haut le bras avec son petit camescope. Pour mettre ça sur YouTube, vu comme si on y était ? Pour montrer à ses collègues comment ils s’étaient bien amusés, tous ensemble, au repas de Noël de la division de CRS ? Pour attraper les visages et les ficher ? Pour avoir de quoi passer au tribunal, dès qu’ils en auraient chopé un ou deux (de préférence pas les plus virulents, on prenait ce qu’on trouvait, de toute façon on avait force de loi pour tout lui coller sur le dos, et chacun des exemples et des noms à fournir...).

Les flics sont toujours à l’image de qui les utilise. Mais moi je dis : celui qui filme, en levant le bras, bien peinard à l’écart, ça c’était nouveau quand même. La maladie allait jusque-là. La maladie allait jusque chez les insectes.

 

Photographie : meeting Sarkozy à Saint-Rambert, Haute-Loire, 08/03/2012, © AFP – utilisé sans permission, c’est pour la cause.


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1ère mise en ligne et dernière modification le 9 mars 2012
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