les mains dans la terre

de l’argile, d’où elle vient, de ce qu’on en fait


J’ai découvert à Pantin, en 1985, parce que j’avais une voiture et qu’un ami sculpteur, Frédéric Bleuet, m’avait demandé de l’y accompagné, le marchand de terre pour les sculpteurs. Une cour de vieille fabrique, des tamis, et ces empilements sous plastiques, où toutes les couleurs se rejoignaient, de la plus noire à la plus blanche en passant par les rouges et celles qui tiraient sombrement sur le bleu, ou la dorure du sable.

En 2005 j’y étais repassé : la cour et l’argile toujours là, mais bien délaissées, comme un abandon. Personne donc encore qui sculpte ?

Depuis ces trois mercredis, beaucoup de réflexion sur cette matière noble et malléable. Les gamins se sont pris à sa magie. Le fil à couper le beurre fait largement usage, mais on ne gaspille pas, et on reconditionne à la fin de chaque séance la terre coupée mais non utilisée.

Quelle est ma matière à moi ? Les mots ne sont pas une matière. La phrase obéit à des lois complexes comme celles de la musique, mais une musique sans instrument. Ici, leurs instruments sont des plus sommaires. Les mots se composent dans la tête, et j’apporte avec moi non plus même un stylo mais mon ordinateur à touches de plastique. La matière serait plutôt l’histoire, le temps qu’on la raconte, et l’écoute qui vous est donnée en retour. Les livres de Claude Ponti s’insèrent dans ce processus : mots pour être vus lus dits. C’est probablement pour cela que je n’ai pas hésité quand il m’a suggéré de les accompagner ici, lui et Armelle.

Par exemple, mon étonnement : ce silence des enfants quand leurs mains sont dans la terre.

Ce qui pourrait passer par les mots s’en va par les doigts (c’est probablement une définition aussi de l’écriture) et revient dans cette plasticité qui nous étonne, si souvent, dans la dureté des poèmes.

Plusieurs fois, j’ai pris un bout de terre dans les doigts, l’ai roulée en sphère : et pourtant voici, ici, en cet instant, ceci que j’en sculpte. J’appartiens aux mots. Mais c’est ici-même que revient soudain, dans ces mercredis de Fontevraud, le plus intime bousculement.


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1ère mise en ligne et dernière modification le 23 mars 2012
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