l’île pour ceux qui meurent

l’art de finir sa vie sur le plateau de Saclay


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La poche ovale n’est pas si grande : en deux heures de marche on la traverse en diagonale, de n’importe quel point à n’importe quel point.

Son peuplement est singulier : les centres de recherche protégés et dispersés sont des concentrations fortes de visages, qui surgissent avec voitures, scooters, autobus depuis les autoroutes ou les gares ou les villes en contrebas. Mais le soir ils repartent. La zone des Ulis les ravitaille.

Normalement, sur la poche ovale, au crépuscule, ne restent que ceux qui ont décidé d’y mourir (le cimetière aussi est en contrebas).

Comme tout est cultivé, de partout alentour on ne voit que cette broussaille d’arbres, et qu’elle cache des bâtiments.

Mais tous les centres de recherches qu’on a dispersés ici, aussi se cachent dans une broussaille d’arbres.

La route qui y mène est désolée. Encore faut-il prendre à droite un chemin incurvé, et c’est encore plus solitaire. D’ici ils n’échapperont pas, ne s’enfuiront pas. Qu’y font-ils ? Ce que font les personnes en fin de vie, qu’on nettoie et nourrit, et attendent en silence entre temps, une télévision allumée dans la pièce, au-dessus des têtes et que personne ne regarde.

Quel jour sommes-nous aujourd’hui, demandent peut-être chaque jour les malades Alzheimer.

Je ne sais pas, je n’y suis pas allé. Seulement, chaque fois qu’on vient, immanquablement on passe auprès, d’un côté ou de l’autre. Peut-être parce qu’autrefois le château du propriétaire agricole ? Mais les champs labourés ont rongé jusqu’à ses pieds. Ici pas besoin de parc.

Ce que je voudrais savoir, c’est le lien entre les centres de recherche, les bâtiments d’université, les zones protégées du nucléaire et de la Défense, et l’établissement gériatrique : est-ce qu’il fut implanté ici pour garder ceux qui travaillaient dans ces centres, qu’on ne peut pas laisser repartir avec leurs secrets, et une fois leur durée faite, on les aiguille ici ?

Et quand il en meurt, puisqu’ici on ne se promène pas, on ne sort pas, où est-ce qu’ils les envoient, est-ce que c’est simplement dans les minces renflements des champs labourés tout autour (j’avais vu ça à Québec) ?

Résidence d’écriture : j’ai encore du temps pour aller voir. Veillez à ce que j’en revienne.


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 14 avril 2012
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