Cheval Blanc (hospitalité du berger)

visite clandestine et respectueuse, avec vue sur écriture



 ce texte a d’abord été écrit dans le cadre des #vasescommunicants et publié en novembre 2011 sur le site de Louise Imagine
 on trouvera d’autres images du Cheval Blanc ici sur tiers livre
 et des textes et images nés de cette montagne sur abadon.fr

 

Août 2011. C’est un rendez-vous avec soi-même : la montagne parce qu’elle est là. Pas une montagne méchante, je ne saurais pas. L’important, c’est d’y revenir, de reprendre ses propres traces. La fois précédente, à la bergerie, c’était une fille, avec ses chiens. Pas envie d’approcher, pas envie de déranger, mais, même de loin, c’est elle qui avait sorti un appareil photo numérique, et crié : « Tout le monde me photographie, alors moi je photographie tout le monde. » On avait filé.

Cette année, la bergerie est vide. On a marché déjà longtemps, on s’assoit sur le banc de bois pour une pomme, de l’eau. Sur la porte, un carton invite à entrer si on souhaite, qu’on est les bienvenus : « Avis aux randonneurs, l’été un berger habite la cabane, c’est tellement mieux de rentrer dans une cabane propre. »

Le berger, nous ne l’avons pas vu. Dans la cabane silencieuse et ensoleillée, les affaires en désordre, le pull qui sèche, la cafetière telle qu’elle a servi, le sac à dos prêt comme pour repartir demain.

Bien sûr, dans ce cas-là, on ne va pas plus loin : c’était plus une sorte de salut, de partage, juste se retirer sur la pointe des pieds, et reprendre la marche vers l’avion mort, et la crête au loin.

Et les livres. Sur la table, le cahier d’écriture, un dictionnaire allemand-français, et l’étrangeté : un Faulkner en allemand, et ce Belle du Seigneur que je n’aime pas. Expliquer ? On ne saurait pas, c’est ce qui est bien. Sauf dans Don Quichotte, berger à 2000 mètres d’altitude ce n’est pas une occupation dans laquelle peut s’improviser un étudiant pour ses vacances. Et pas question de toucher les notes, le cahier fermé. Juste voir de loin et repartir. Je n’oserais même pas écrire cela dans mon propre blog, je profite de l’invitation.

On ne s’immisce pas dans la table d’écriture d’un autre. Mais on reconnaît le cahier, la page de notes, le dictionnaire, les livres. On a cette complicité. Au mur, des photos d’autres montagnes : faites par lui-même ?

En reprenant la montée vers la crête, c’étaient d’autres pensées : ma table de travail, par exemple à Marseille en 1983, ressemblait à la sienne. Aujourd’hui, l’ordinateur l’avale en entier, et lui donne une autre dimension, d’autres accès. Pourtant, ces soirées seul sur la montagne, le ralentissement du temps, la présence de tous bruits, la fatigue du corps et les tâches obligées pour les bêtes, est-ce que ça ne compte pas aussi pour l’écriture, l’infinie patience de la lecture : quel risque à s’en séparer ?

 

Lieu : Alpes de Haute-Provence, crête du Cheval Blanc. Peut-être qu’un jour, le berger que nous n’aurons pas croisé trouvera cette page et répondra.


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 17 juin 2012
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