Stones, 4 | arrivée de Bill Wyman

et de savoir qui fut le batteur du 1er concert des Rollin’ Stones quand même Mick Jagger ni Charlie Watts ne s’en souviennent


Ce 7 décembre 1962, Brian a à nouveau réservé l’arrière-salle de pub, au Wetherby Arms, tout près d’Edith Grove où ils habitent et où, moyennant quelques dizaines de cents, on peut s’installer pour répéter – il y a un piano. Pour les quelques concerts ou passages au Marquee, ils jouent avec un des batteurs du circuit, Carlo Little. Mais pour les répétitions, et avoir son propre batteur, Brian a fait passer une annonce dans Melody Maker. S’est présenté Tony Chapman [1], un gars du nord-est de Londres, qui joue avec qui le prend, aussi bien de la variété que du rock à la mode. Chapman n’est pas un bon batteur, ça ne marchera pas mais voilà, pour quelques semaines il est là. Des fois qu’il progresse.

Dick Taylor n’a pas renoncé, mais a décidé de rejoindre un autre groupe d’anciens copains de Dartford. Depuis six mois, côté Rolling Stones, que des plans miteux, jouer sans être payé, des salles où on est plus nombreux sur la scène que le public lui-même. Les cavales à travers Londres, la fatigue. Alors, pour le remplacer, Chapman propose d’amener un copain à lui, le bassiste des Cliftons. Un de plus pour les essais, et exit Taylor le trop pressé, tant pis pour lui.

Les premières minutes ce n’est pas brillant. Ce type porte une mèche façon Elvis et un blouson de mod, ce n’est pas leur monde. Pour eux, un monde de plouc. Et ils le feront trente ans durant payer à Bill Wyman, qu’ils surnomment Ernie. Pourtant, c’est le plouc qui paye les bières. On ne se parle pas, mais pourquoi se parlerait-on : ça fait tellement plus rebelle d’être des muets.

Puis on passe à côté. Pendant cinquante minutes, ce sera blues sur blues. Pour Bill Perks, un emmerdement majeur : douze mesures, même plan d’accords, et tu recommences. Il a sept ans de plus qu’eux, lui vingt-six, eux dix-neuf, et ça contribue aussi à la distance.

Seulement, en fana de matériel qu’il est, il a débarqué de la voiture un Vox AC650. Les autres ne savent pas qu’il l’a acheté à crédit, et peine à rembourser. C’est lourd comme une armoire. Brian et Keith ont leur deux guitares branchées sur le même petit ampli de rien du tout : — Si un de vous deux veut se brancher là-dessus, dit négligemment le banlieusard.

Probablement, sans l’ampli Vox acheté à crédit, qu’on l’aurait remercié dès le soir même. Pas leur monde, pas leur âge, pas leur musique. Un type qui s’ennuie en jouant du blues, dehors.

On se retrouve au comptoir, et on commence les opérations d’élimination rapide. Qu’est-ce qu’il aime comme musique ? Fats Domino, Jerry Lee Lewis. Les Rollin’ Stones de moins de vingt ans font la grimace. Mépris. Wyman, qui n’est pas encore Wyman, la joue diplomate : Chuck Berry...

Chuck Berry ? C’est bien le genre de Brian. Tu dis que tu aimes Chuck Berry, mon gars ? On va te montrer. On repart dans la petite salle derrière le pub. Brian et Keith ont leur numéro de duo rôdé. Ce type prétend qu’il sait jouer Chuck Berry, tu vas voir. On se le prend un tempo plus vite, avec des cascades d’accord.

Seulement voilà : Bill Perks a six ans de bal derrière lui. Et, sur l’ampli Vox 650, la guitare rythmique de Keith et la basse donnent au groupe de Brian Jones un son et un volume qu’ils n’avaient jamais connu avant. — Ce type-là savait jouer, condescend Richards.

Ils se revoient la semaine suivante, le 14, d’abord dans l’appartement miteux (une seule chaise, qu’on offre généreusement à l’invité, et qui s’effondre rituellement sous lui quand il s’assoit), puis à nouveau au Wetherby Arms : le 15 décembre, premier concert des Stones avec Wyman.

Seulement, après le concert, Brian prend Tony Chapman entre quatre z’yeux : on ne veut plus de lui, merci, il joue trop faux, ou à côté de ce qu’eux recherchent.

Tony Chapman interpelle son pote, celui qu’il a amené ici : — Viens, Bill, on se tire. — Non, je reste.

Jusqu’en 1993.

[1L’annonce passée dans Melody Maker invalide totalement la théorie, que semble valider aujourd’hui Charlie Watts, de Tony Chapman batteur des Stones dès juillet 1962. Comme il n’y a pas de raison de mettre en cause la toute récente déclaration de Mick Avory, annoncé comme batteur de la formation ce 12 juillet 1962, lorsqu’il dit avoir effectivement participé à des répétitions, mais jamais à un concert, je rectifie ainsi le passage de Rolling Stones, une biographie :

Ajoutons que cela ne lève pas tous les mystères Bill Wyman s’est appuyé sur l’annonce pour valider la présence de Mick Avory. Mais celui-ci dit à présent qu’il n’a fait avec les tout nouveaux Rollin’ Stones que deux répétitions, que vraiment le rythm’n blues ce n’était pas son truc, avalisant que le batteur, pour ce premier concert était Tony Chapman. Lequel ne fait pas partie du cercle Ealing Marquee, et apparaîtra seulement en novembre dans l’orbite du groupe. Considérer alors comme le plus probable, et ce sont des pratiques toujours en usage, que le batteur du groupe principal (Charlie Watts joue ce soir-là avec Korner, il ne peut témoigner), donc Graham Burbidge, l’accompagnateur de Long John Baldry, qui aurait tenu la batterie dans ce morceau d’histoire qu’aucun d’eux ne considérait, ce soir-là, comme grande histoire, ou tout simplement Carlo Little, avec qui ils joueront désormais le plus fréquemment ?


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1ère mise en ligne et dernière modification le 16 juillet 2012
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